AIEA : En Iran, les stocks d’uranium enrichi dépassent de 30 fois la limite autorisée
Le chef de l'agence onusienne a fait part de son inquiétude quant aux intentions de la République islamique ; les discussions suspendues
L’AIEA, qui espérait débloquer le dossier nucléaire iranien après le récent voyage en Iran de son chef, va devoir patienter, la mort du président Ebrahim Raïssi ayant mis en suspens les discussions, selon un rapport de l’instance onusienne.
Cela au moment même où « l’inquiétude s’accroît » quant aux intentions de la République islamique, souligne le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique Rafael Grossi, dans ce document confidentiel consulté lundi par l’AFP.
Il évoque « de nouvelles déclarations publiques en Iran sur les capacités techniques du pays à produire des armes nucléaires, et de possibles changements de la doctrine nucléaire ».
Téhéran a toujours nié vouloir se doter de la bombe mais dispose désormais de suffisamment de matière pour en fabriquer trois, au moment où le Moyen-Orient s’embrase.
Au retour d’un séjour en Iran début mai pour renouer des liens fortement distendus, M. Grossi avait demandé « des résultats concrets au plus vite ».
« La situation actuelle n’est absolument pas satisfaisante. Nous sommes quasiment dans une impasse (…) et cela doit changer », avait-il déclaré, espérant des avancées d’ici au Conseil des gouverneurs prévu la semaine prochaine au siège de Vienne, en Autriche.
Plus de 30 fois la limite
Mais entretemps, la mort de M. Raïssi et de son ministre des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian, le 19 mai dans un accident d’hélicoptère, a compliqué la situation.
« L’Iran a fait savoir qu’à cause des ‘circonstances particulières’, il n’était pas approprié de poursuivre les discussions » et qu’une nouvelle date serait fixée ultérieurement, écrit l’AIEA.
Alors que l’élection présidentielle est prévue le 28 juin, M. Grossi « réaffirme au nouveau gouvernement son appel » à reprendre les échanges.
Car parallèlement, le programme nucléaire iranien continue à monter en puissance.
Les stocks d’uranium enrichi s’élevaient à 6.201,3 kg le 11 mai (contre 5.525,5 kg en février), soit plus de 30 fois la limite autorisée par l’accord international de 2015, détaille un second rapport de l’AIEA.
Il était censé encadrer les activités atomiques de Téhéran en échange d’une levée des sanctions internationales, sous la supervision de l’instance onusienne chargée de vérifier le caractère pacifique du programme iranien.
Mais l’Iran s’est affranchi progressivement des engagements pris dans le cadre de ce pacte connu sous l’acronyme JCPOA, en réaction au retrait des Etats-Unis décidé en 2018 par le président d’alors, Donald Trump.
Des discussions menées à Vienne pour le ranimer ont échoué à l’été 2022.
Divergences occidentales
Outre l’accumulation de stocks, Téhéran a largement dépassé le plafond fixé à 3,67% – équivalant à ce qui est utilisé dans les centrales nucléaires pour la production d’électricité: il possède 751,3 kg d’uranium enrichi à 20 % (contre 712,2 kg trois mois auparavant).
Dans le cas du seuil de 60 %, proche des 90 % nécessaires pour élaborer une arme atomique, Téhéran a accru ses réserves à 142,1 kg (contre 121,5 kilos précédemment), soit suffisamment pour produire trois bombes d’après la définition de l’AIEA.
Dans le même temps, les inspections des sites nucléaires ont été fortement réduites ces dernières années, des caméras de surveillance ont été débranchées et l’accréditation d’un groupe d’experts a été retirée.
Dans ce contexte « sans précédent », Londres, Paris et Berlin (E3), Etats encore parties au JCPOA avec la Russie et la Chine, poussent pour une résolution condamnant cette escalade lors du Conseil des gouverneurs.
Mais les Etats-Unis se montrent réticents par peur d’envenimer les tensions géopolitiques actuelles au Moyen-Orient, qui plus est à l’approche de la présidentielle de novembre.
« Il est grand temps d’agir », réagit auprès de l’AFP Kelsey Davenport, experte de l’Arms Control Association. « Attendre six mois de plus, après le scrutin américain, ne fera qu’exacerber les défis actuels », dit-elle, en « envoyant le signal que Téhéran peut bafouer ses obligations internationales en toute impunité ».
Selon cette spécialiste du dossier, les Etats-Unis devraient « mettre sur la table une offre » incluant un allègement des sanctions « pour désamorcer les tensions » et écarter « la menace d’un Iran doté de l’arme nucléaire ».