Peu d’abris mais des barrages routiers : les Arabes de Jérusalem-Est pris entre deux feux
Déploiements policiers et barrières en béton augmentent les tensions ; les habitants sans protection contre les missiles s'inquiètent pour leur avenir en cas de frappe

Tout comme ses voisins du quartier d’a-Tur, à Jérusalem-Est, Hussein n’a pas d’abri antiaérien dans son appartement, et son immeuble n’en possède pas non plus. Lorsque les sirènes annoncent une attaque de missiles iraniens, il se réfugie dans la cage d’escalier, où il se retrouve souvent seul.
« Je ne prends pas ce genre de choses à la légère. Il s’agit de missiles ! Certains me disent que je suis stupide, me demandent pourquoi je fais ça. Mais ça n’est pas un jeu », a déclaré Hussein au Times of Israel lundi, alors qu’il conduisait à travers le paysage vallonné d’a-Tur.
Depuis vendredi, l’Iran lance des missiles sur Israël tous les soirs, mettant également en danger les quelque 400 000 habitants palestiniens de Jérusalem-Est. La grande majorité d’entre eux ne dispose d’aucun abri pour se protéger.
Dans les quartiers arabes, la plupart des maisons ne sont pas dotées de pièces blindées, et les abris publics, en grande partie situés dans des écoles municipales de construction récente, sont rares.
Outre ce manque flagrant d’abris, les habitants de Jérusalem-Est se voient depuis le début de la guerre imposer des restrictions de déplacements croissantes. Les forces de sécurité ferment en effet les quartiers arabes à la circulation. Cette décision serait due à la crainte de possibles troubles ; la police a toutefois refusé de commenter.
Hussein, pour rejoindre en voiture la principale artère commerciale d’a-Tur, a du contourner la route principale du quartier, barrée par la police à l’aide de blocs de béton. Ce détour l’a conduit à un point de contrôle de fortune tenu par deux agents de la police des frontières.

Selon Hussein, ces deux officiers, qui arrêtaient les conducteurs se dirigeant dans la direction opposée, avaient ouvert leur point de contrôle plus tôt dans la matinée.
Donnez-moi un abri
Pour de nombreux habitants de Jérusalem, trouver un espace sûr en cas d’attaque de missile se résume à ouvrir la porte de la pièce blindée dont la plupart des appartements récents sont équipés, ou à rejoindre l’abri commun situé au sous-sol des immeubles résidentiels.
Mais si de tels espaces sont courants dans les quartiers juifs de Jérusalem, ils sont, tout comme les abris publics, beaucoup plus rares dans les zones arabes de Jérusalem-Est.
Selon la loi israélienne, les nouveaux appartements doivent comporter une pièces blindée. Il est toutefois peu probable que les maisons construites sans permis respectent ces directives, et la plupart d’entre elles ne possèdent pas d’espace sécurisé.
Selon l’organisation d’urbanisme Bimkom, environ la moitié des 280 000 Palestiniens de Jérusalem-Est résidant du côté israélien de la barrière de sécurité de Cisjordanie, qui marque la limite des zones arabes de la ville, vivent dans des maisons construites sans permis.
Le phénomène des constructions illégales est endémique dans le quartier arabe de Jérusalem-Est, d’après les experts, en raison d’une part des politiques israéliennes limitant les permis et d’autre part de la forte demande des Palestiniens cherchant à conserver leur résidence dans la ville. Ce dernier point leur confère en effet plus de droits israéliens qu’aux Palestiniens de Cisjordanie.

« Pendant des années, l’objectif des politiques israéliennes était de limiter le nombre de logements, ce qui permettait de limiter aussi le nombre de Palestiniens vivant dans la ville », a expliqué Michal Braier, urbaniste à Bimkom. « Mais cela n’a pas fonctionné, car les habitants de Jérusalem-Est doivent résider dans la ville pour conserver leur statut. Le phénomène des constructions illégales résulte de l’impossibilité de construire en respectant les lois. »
En outre, nombre d’habitants de Jérusalem-Est vivent dans des maisons plus anciennes qui ne sont pas non plus équipées de pièces blindées.
Dans les quartiers situés au-delà du mur, mais toujours dans les limites municipales de Jérusalem, la situation est encore plus désastreuse.
« Tous les immeubles neufs et de grande taille situés après la barrière de séparation ont été construits sans surveillance ni permis. Ils n’ont pas de pièces blindées. Un de mes amis qui vit à Kafr Aqab dit que, quand les sirènes retentissent, tous courent se réfugier dans le couloir, parce que c’est tout ce qu’ils ont », a indiqué Braier.

D’après un porte-parole de la municipalité de Jérusalem, la ville compte 452 abris dans les écoles et 190 autres abris publics répartis dans toute la cité, ainsi que 57 parkings souterrains protégés et 18 abris hors sol accessibles aux personnes à mobilité réduite.
Parmi ceux-ci, seulement 60 sont implantés dans les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est, et tous se trouvent dans des écoles.
Tamer, un habitant du quartier palestinien étendu de Kafr Aqab, à l’extrême nord de la ville, a qualifié de « non-sens » les instructions de la municipalité enjoignant les résidents à s’abriter dans des écoles. « Quand une sirène retentit, ceux qui vivent dans le centre de Kafr Aqab ont moins de deux minutes pour parcourir les 6 kilomètres, soit environ 20 minutes de route, qui les séparent de l’abri le plus proche. »
« Comment voulez-vous que des milliers de personnes se réfugient dans les écoles ? On ne parle pas d’une poignée d’habitants, mais d’une ville d’environ 120 000 résidents », a-t-il précisé.
Selon Braier, les écoles équipées d’abris et répertoriées sur le site Internet de la municipalité ne sont pas réparties uniformément dans Jérusalem-Est.
« Elles sont regroupées – à Beit Hanina, il y a une zone, et à Issawiya, une concentration d’écoles. Donc, si vous habitez à proximité, tant mieux. Sinon, tant pis pour vous », a-t-elle ajouté.
Isshaq, un habitant de Beit Hanina, a rapporté que ceux qui n’avaient pas d’accès à une salle blindée, se sentant impuissantes, se erraient dans la maison ou sortaient dans la rue. Pour lui, environ 90 % des habitants du quartier ne disposent d’aucun abri.

« Il y a de vieilles maisons, et il y a des maisons récentes construites sans permis. Les gens sont terrifiés – vous vous rendez compte du genre d’explosions que nous entendons ? Nous ne sommes pas habitués à ça », a-t-il déclaré. « À la maison, ma femme éteint la télévision pour que les enfants ne voient pas les images de destruction » causées par les frappes ailleurs.
Selon Braier, avant que la menace de tirs de roquettes sur Jérusalem ne devienne une réalité quotidienne le 7 octobre 2023, les habitants arabes de Jérusalem-Est ne savaient même pas où se trouvaient les abris scolaires.
« Sur le site Internet de la municipalité, la liste des écoles où les habitants de Jérusalem-Est sont censés pouvoir se rendre n’existait pas avant le 7 octobre. Après le événements, ils se sont rendu compte que personne ne savait où se trouvaient les abris, alors ils ont mis en ligne une liste », a-t-elle souligné.

La municipalité a fait « un pas en avant » en mettant ces informations à disposition et en les traduisant en arabe. Mais Braier a fait remarquer que la traduction présentait de nombreuses erreurs, et que la municipalité utilisait souvent des noms de rue inconnus des habitants, créant de la confusion.
« À Jérusalem-Est, nous constatons toujours les mêmes problèmes. Mais là, c’est de la vie des gens dont il est question ! », a-t-elle martelé.
Rues barrées et circulation dense dans le quartier
Les récentes mesures prises par la police ont encore accentué les disparités entre les quartiers arabes et juifs de Jérusalem. Les forces de l’ordre ont en effet érigé des barrages routiers aux points d’entrée et de sortie de certains quartiers palestiniens, un procédé régulièrement appliqué depuis le début des combats vendredi.
À a-Tur, des habitants et des activistes ont raconté que la police, samedi, avait barré une route à la suite de faux signalements provenant de quelques habitants de dégâts causés par des missiles dans le quartier. À leur arrivée sur les lieux, les policiers avaient été pris pour cibles de jets de pierres.

Jehad Abusneineh, un résident d’a-Tur, a dénoncé les barrages, les qualifiant de punition collective.
« La situation est déjà difficile », a-t-il expliqué. « Les rues sont étroites, et le quartier n’a que peu de sorties et d’entrées. » La circulation y est donc dense.
Les habitants craignent que cette mesure ne gêne l’accès des services d’urgence aux quartiers touchés – parmi lesquels a-Tur et Shuafat – en cas d’impact de missile.

« Ils n’ont pas pensé aux risques. Si un missile nous touche, Magen David Adom et les autres services de secours ne pourront pas entrer, et personne ne pourra évacuer les blessés », a déploré un habitant de Sheikh Jarrah.
Depuis leur installation samedi, les barrages routiers à a-Tur « ont fermé les principales entrées du quartier, obligeant des milliers de conducteurs à faire un très grand détour pour entrer et sortir », a indiqué Aviv Tatarsky, chercheur au groupe israélien de défense des droits civiques Ir Amim. « Et si quelqu’un a besoin d’une ambulance, alors le problème devient critique. »
Interrogée par Ir Amim sur cette question, la police a répondu que la décision de la municipalité visait à « protéger la sûreté et la sécurité publiques ».

Les forces de l’ordre ont fait savoir que « les évaluations de la situation réalisées par les organismes professionnels compétents » ont déterminé « que la situation sécuritaire nécessite la mise en place de barrages routiers afin de faire face aux éventuelles violence et troubles à l’ordre public ».
La police n’a pas donné suite aux demandes de commentaires du Times of Israel.
Ces derniers jours, la présence policière dans les quartiers palestiniens a été renforcée. Des affrontements entre habitants et forces de l’ordre ont éclaté dans plusieurs quartiers, notamment Shuafat, Issawiya et Wadi al-Joz.
Selon Tatarsky, les barrages routiers et le renforcement des patrouilles résultent de la tendance des autorités à « considérer les habitants [de Jérusalem-Est] comme une menace ».

Lundi soir, Iyas Abu Mufreh, 13 ans et Uday Abu Jum’a, 22 ans, ont été grièvement blessés par les balles « dum-dum » d’un tireur embusqué de la police israélienne, selon les médias palestiniens locaux.
La police des frontières a confirmé dans un communiqué que des policiers étaient en poste dans les environs à ce moment-là. Les habitants avaient allumé des feux d’artifice et lancé un cocktail Molotov sur les force de l’ordre.
« Se sentant menacées, les forces de police ont ouvert le feu sur les assaillants pour les neutraliser », a déclaré un porte-parole de la police à propos de l’incident.

Des témoins palestiniens et des militants d’Ir Amim ont toutefois raconté que la police avait tiré sur les deux jeunes sans aucune provocation de leur part.
Des images de cette nuit-là montrent le tireur embusqué sur le toit d’un immeuble alors qu’un groupe de personnes se rassemble un peu plus loin, au milieu de la rue, vraisemblablement après la fusillade.
Des Palestiniens ont rapporté qu’Abu Mufreh souffrait de graves lésions nerveuses et d’une fracture de tout le bras, nécessitant une intervention chirurgicale de quatre heures. Abu Jum’a souffre pour sa part d’une importante blessure au dos.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.