Plus de pouvoir pour les Haredim sur les rabbins et un risque d’éviction des femmes
Malgré l’échec de son projet de loi, le ministère des Affaires religieuses ne désarme pas. Entre "stérilisation des autorités locales" et "mainmise sur les rabbins municipaux", la critique s'élève
Un mois seulement après le rejet, par la Knesset, de son projet de loi donnant au Grand Rabbinat d’Israël un droit de regard considérable sur la nomination de tous les rabbins municipaux, le ministère des Affaires religieuses a présenté plusieurs règlements lui permettant d’obtenir le résultat en contournant l’intense opposition publique et législative.
Les nouvelles dispositions, soumises à l’avis des citoyens en fin de semaine dernière, auraient pour conséquence de donner davantage d’influence au ministère et au rabbinat, et ce au détriment des autorités locales sans parler de la situation des femmes.
Si elles venaient à être adoptées par le ministère à l’issue de la période de consultation publique, elles réduiraient de 100 000 à 50 000 le nombre minimum de résidents requis pour la nomination d’un deuxième rabbin municipal, rendraient nulle et non avenue la réforme portée par l’ex-ministre des Affaires religieuses, Matan Kahana, ayant pour effet de limiter à 10 ans la durée du mandat des rabbins municipaux et permettraient la nomination de rabbins ayant un emploi à temps plein.
Elles réduiraient par ailleurs de 40 % à un tiers la part des femmes tenues de siéger au sein des comités de sélection rabbiniques, tout comme le niveau de représentation dont jouissent actuellement les municipalités au sein de ces comités.
Pour l’heure, les instances locales sont majoritaires au sein de ces comités électoraux, 50 % des voix allant aux conseillers municipaux et au directeur général de la municipalité, le reste étant réparti à parts égales entre les représentants publics choisis par la municipalité et le ministre des Affaires religieuses.
En vertu de ces nouvelles réglementations, les directeurs généraux des municipalités seraient remplacés par les chefs des conseils religieux locaux (souvent nommés par le ministre), et les représentants publics de la municipalité totalement exclus du processus. Le comité se diviserait entre représentants publics choisis par le ministre et membres du Conseil rabbinique en chef.
Les chefs de plus d’une centaine d’autorités locales ont réagi en adressant une lettre de protestation au ministre des Affaires religieuses, Michael Malkieli, du parti Shas, l’accusant de tenter de créer de l’emploi à leurs dépens alors que l’argent manque en cette période de guerre, indique Calcalist.
Le mois dernier, la coalition a rejeté un projet de loi, soutenu par HaTzionout HaDatit et le Shas, qui souhaitait très significativement augmenter le nombre de rabbins municipaux en Israël. Selon ses détracteurs, il aurait très nettement profité au parti ultra-orthodoxe Shas en créant des emplois pour ses apparatchiks et en augmentant le pouvoir du Grand Rabbinat orthodoxe, à la fois en matière de nomination et de carrière des rabbins.
Israël compte environ 470 rabbins municipaux. Leur salaire mensuel varie entre 9 000 et 43 000 shekels. En vertu de ce projet de loi, une trentaine de villes dépourvues de rabbin auraient dû en embaucher un, Tel-Aviv et Haïfa, toutes deux sans rabbin, auraient dû en embaucher au moins deux.
Selon l’analyse faite de ce projet de loi, l’été dernier, par l’Institut israélien pour la démocratie, il aurait conduit à l’embauche de 1 070 rabbins – alors que le projet n’en évoquait que 514 – pour un coût de 120 millions de shekels.
Selon le rabbin Seth Farber, directeur de l’ONG à but non lucratif ITIM, groupe de défense qui aide les Israéliens dans leurs relations avec la bureaucratie religieuse israélienne, le ministère des Affaires religieuses contrôlé par le Shas souhaite « faire évoluer les choses » durant la guerre, dans l’espoir que « personne ne s’en aperçoive au milieu des missiles ».
Le président du Shas, Aryeh Deri, veut « émasculer les autorités locales et faire du rabbin municipal un rouage central qui, au lieu de servir une communauté locale et de dépendre du conseil municipal, ne serait plus qu’une émanation du rabbinat centralisé », assure-t-il.
« Cela aurait pour effet de priver les Israéliens lambda de leurs droits en ce qui concerne les services religieux et l’expérience juive », ajoute-t-il.
Avoir 50 % des voix « donnerait très facilement [au rabbin et au ministère] le pouvoir de faire ce qu’ils veulent », explique Farber. « Ils n’auraient alors besoin que d’une voix favorable du côté municipal. Imaginons qu’il y ait besoin d’un nouveau mikvé quelque part et qu’ils disent ‘Nous le ferons si vous votez pour nous’ – tout ce dont ils auront besoin, ce sera d’un membre du conseil municipal. »
Aujourd’hui député sous l’étiquette Kakhol lavan, Kahana est du même avis. Sur X, il a écrit qu’après l’échec du Shas et de HaTzionout HaDatit à faire adopter leur loi sur les services rabbiniques, « ils tentent de le faire par voie réglementaire ».
« Je demande aux maires de résister de toutes leurs forces à cette tentative de leur dénier le droit de choisir le rabbin qu’ils veulent pour leur ville », a plaidé Kahana.
« Rien n’empêchera [le président de HaTzionout HaDatit Bezalel] Smotrich et le Shas de faire du rabbinat une usine à emplois, quitte à éloigner les gens du judaïsme. »
Le porte-parole de Malkieli n’a pas souhaité faire de commentaire.
Canaan Lidor a contribué à cet article.