Pour la 32e semaine, les foules rassemblées dans tout Israël contre la refonte
Un ex-général reproche à Netanyahu de "livrer le pays à des élus d'extrême-droite qui violent la loi" ; si la coalition défie les injonctions de la Cour, Israël pourrait être bloqué
Des dizaines de milliers d’Israéliens ont manifesté samedi à Tel Aviv, et dans d’autres villes du pays contre la refonte du système judiciaire, donnant ainsi le coup d’envoi de la 32e semaine consécutive de manifestations contre le projet législatif, quelques jours après que le gouvernement a indiqué qu’il avait toujours l’intention d’adopter la partie la plus importante du projet en dépit d’une massive opposition.
Lors de la principale manifestation à Tel Aviv, plus de 100 000 personnes étaient présentes, selon la Treizième chaîne, qui a cité des données de la société CrowdSolutions. D’autres rassemblements ont eu lieu dans plus de 150 endroits différents.
Les manifestants se sont rassemblés au carrefour Kaplan pour le rassemblement principal et des centaines d’entre eux ont marché jusqu’au domicile du président de la Knesset, Amir Ohana, en scandant « nous n’avons pas peur », en agitant des drapeaux et en faisant retentir des klaxons, avant d’être finalement repoussés par la police. Les domiciles des ministres ont été l’un des principaux lieux de manifestation contre le remaniement depuis le début du mouvement, faisant écho aux tactiques employées l’an dernier par l’opposition alors dirigée par Benjamin Netanyahu, qui a finalement renversé le gouvernement précédent et ramené le chef du parti Likud au pouvoir.
Des dizaines de manifestants de Tel Aviv ont également défilé sur l’artère principale Yigal Alon, cherchant à bloquer la circulation, alors que la police s’apprêtait à les évacuer.
Plus tôt dans la soirée, la police a arrêté trois Palestiniens, âgés de 16, 20 et 25 ans – entrés illégalement en Israël – à proximité de la rue Kaplan. Tous trois sont originaires du village d’Aqraba, en Cisjordanie, a indiqué la police, ajoutant qu’ils étaient vraisemblablement en Israël de façon illégale pour y travailler et qu’ils ont été arrêtés en raison de l’état d’alerte élevé de la police, qui assurait la sécurité de la manifestation.
Le week-end dernier, le policier municipal Hen Amir, 42 ans, a été abattu à Tel Aviv par un membre du groupe terroriste du Jihad islamique palestinien – lui aussi entré illégalement en Israël.
עכשיו סמוך לביתו של אוחנה, תל אביב.
קרדיט: גיל לוין pic.twitter.com/tPo80X48zU— ש????ולי ????️????️???? Sh????uLi (@Shaulirena) August 12, 2023
Parmi les participants au rassemblement de Tel Aviv, le général à la retraite Amiram Levin a lancé un appel déchirant aux ministres du Likud pour qu’ils « fassent preuve de courage » et s’opposent à la législation de la coalition de la refonte du système judiciaire.
Levin, qui a dirigé à plusieurs reprises le Commandement du Nord de Tsahal, a commandé l’unité d’élite Sayeret Matkal et a été directeur-adjoint de l’agence de renseignement du Mossad, a accusé le Premier ministre de vouloir livrer le pays à des criminels.
« Bibi veut donner les clés du pays à un groupe d’horribles ministres, dont certains sont des criminels condamnés et des réfractaires au service militaire, à des ministres qui encouragent le massacre des Palestiniens soumis à notre autorité, à un ministre raciste qui pille le budget de l’État et bloque les fonds destinés aux Arabes, simplement parce qu’ils sont Arabes. À un ministre de la Justice qui veut une seule branche du gouvernement et pas de système judiciaire indépendant », a déclaré Levin, faisant apparemment référence au ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, au ministre des Finances, Bezalel Smotrich, au ministre de la Justice, Yariv Levin, et à d’autres membres orthodoxes du cabinet.
Il a ajouté que certains des ministres les plus radicaux « ne savent pas ce qu’est la démocratie parce qu’eux et leurs assistants ont grandi dans un ‘pays’ qui n’en a pas », en faisant référence aux membres du gouvernement qui vivent en Cisjordanie – sous régime militaire israélien.
« Nous ne laisserons pas Bibi et son groupe de ministres transformer Israël en dictature. Nous ne le permettrons pas et nous ne resterons pas silencieux jusqu’à ce que nous gagnions », a-t-il ajouté en utilisant le surnom du Premier ministre.
Levin a lancé un appel direct aux ministres du Likud censés être modérés, dont Avi Dichter (ministre de l’Agriculture et du Développement rural), Nir Barkat (ministre de l’Economie) et Yoav Gallant (ministre de la Défense), rappelant à chacun d’entre eux leurs amis et collègues tombés au combat pendant leur service militaire. « Avec qui voudriez-vous partir en guerre ? Leurs successeurs ou la bande de Ben Gvir, Smotrich et [le ministre du Logement et de la Construction Yitzchak] Goldknopf, qui se soustrait à l’appel sous les drapeaux, la bande de briseurs de loi et de bellicistes qui discriminent les femmes et les personnes LGBTQ ? »
« Je vous appelle d’ici, c’est la bataille de notre vie, mais c’est aussi l’opportunité de notre vie – soyez courageux. Ici et dans tout Israël, vous trouverez des centaines de milliers de successeurs de vos amis », a-t-il déclaré.
Dans son propre discours, Shikma Bressler, cheffe de file du rassemblement, a déclaré aux manifestants qu’en dépit des congés de la Knesset, la menace des projets de la coalition planait toujours.
« La Knesset est peut-être en congé, mais le coup d’État se poursuit à plein régime. Dans le collimateur, tous ceux qui ne s’alignent pas sur la rébellion déclarée par Netanyahu, dirigée par les fascistes et soutenue par les corrompus », a déclaré Bressler.
« Chacun d’entre nous comprend que c’est maintenant qu’il faut se battre. »
Bressler a ensuite apporté son soutien aux policiers volontaires et aux réservistes militaires qui protestent contre la refonte, ainsi qu’à trois femmes occupant des postes de haut niveau – Michal Rosenbaum, directrice de l’Autorité des entreprises, Gali Baharav-Miara, procureure générale, et Esther Hayut, présidente de la Cour suprême – qui ont toutes fait l’objet d’attaques de la part de membres du gouvernement.
Le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, s’est également joint au rassemblement de Tel Aviv. « Nous sommes venus à Kaplan aujourd’hui pour dire qu’un gouvernement qui n’obéit pas à la Cour, qui n’obéit pas à la loi, est un gouvernement illégal », a-t-il écrit sur X – anciennement Twitter.
Netanyahu a refusé de dire s’il compte se conformer à une éventuelle décision de la Haute Cour de justice invalidant la loi du « caractère raisonnable », adoptée fin juillet, qui interdit le contrôle judiciaire des décisions gouvernementales et ministérielles sur la base de leur « caractère raisonnable », entraînant des inquiétudes quant à un tel scénario qui pourrait plonger Israël dans une crise constitutionnelle.
Un panel de 15 juges examinera les recours déposés contre la loi le 12 septembre, préparant ainsi une épreuve de force entre le pouvoir judiciaire et le gouvernement.
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Outre le rassemblement à Tel Aviv, des milliers de personnes opposées à la refonte ont manifesté à Jérusalem, Beer Sheva, Haïfa et dans des dizaines d’autres villes du pays.
Des milliers de manifestants ont bloqué par intermittence le carrefour de Karkur, dans le nord d’Israël, en allumant des fusées éclairantes, alors que la police s’efforçait de les déloger de la route.
Les manifestants se seraient préparés à bloquer complètement le pays si le gouvernement ne respectait pas une telle décision de la Haute Cour sur la loi du « caractère raisonnable » ou sur la loi de récusation, qui interdit à la Cour et au procureur général d’ordonner à un Premier ministre de démissionner – une mesure vraisemblablement conçue directement pour permettre à Netanyahu de violer un accord sur les conflits d’intérêts datant de 2020.
Les manifestants anti-refonte « sont prêts à une paralysie complète du pays, basée sur une grève générale de l’économie sans limite de temps », a déclaré une source au sein du mouvement de protestation, citée par de nombreux médias israéliens.
« De nombreux secteurs importants de l’économie ont déjà rejoint le plan », a déclaré la source, exprimant l’espoir que l’organisation syndicale de la Histadrout se joindrait à une telle action.
Il y a une semaine, Netanyahu a indiqué que son gouvernement irait de l’avant avec la modification de la composition de la commission de sélection des juges, qui est peut-être la mesure la plus controversée du plan de restructuration du système judiciaire. Il a laissé entendre qu’il était encore à la recherche d’un consensus sur cette question. Après cela, il a déclaré qu’il mettrait le reste du plan de refonte judiciaire en veille.
« Nous avons déjà fait pas mal de choses », a déclaré Netanyahu à l’agence de presse financière Bloomberg. « J’ai interrompu le processus législatif pendant trois mois, à la recherche d’un consensus de l’autre côté – malheureusement, je ne l’ai pas obtenu. Ensuite, j’ai introduit une partie relativement mineure de la refonte et je l’ai adoptée », a-t-il déclaré, faisant référence à l’adoption, il y a deux semaines, de la loi largement controversée du « caractère raisonnable ».
Le projet de loi actuel sur la sélection des juges, qui a été suspendu en mars mais qui est prêt à être présenté en dernière lecture à brève échéance, remanierait la commission de sélection des juges, en vertu duquel les représentants de la coalition et de la Cour suprême disposent chacun d’un droit de veto sur les candidats de l’autre pour la plus haute juridiction, ce qui nécessite un consensus sur ces nominations. La législation modifierait la composition de la commission de manière à ce que les nominations dans l’ensemble de la hiérarchie judiciaire soient placées sous le contrôle quasi-absolu du gouvernement.
Les projets du gouvernement ont continué à ébranler le pays, en particulier l’armée.
Le chef de l’armée de l’air israélienne, le général de division Tomer Bar, a rencontré vendredi des dizaines de pilotes réservistes qui ont déclaré qu’ils ne se présenteraient plus au service volontaire pour protester contre la refonte, les avertissant que l’état de préparation de l’armée « s’aggravait ».
Selon un reportage non confirmé de la Douzième chaîne, Bar aurait dit aux pilotes : « Au lieu de me préparer à la guerre, je m’occupe uniquement de ceci. »
Le mois dernier, alors que la coalition faisait avancer la première grande mesure en la matière, plus de 10 000 réservistes qui se présentaient régulièrement au travail sur une base volontaire ont déclaré qu’ils ne le feraient plus. Les réservistes, dont beaucoup ont mis leurs menaces à exécution, ont prévenu qu’ils seraient dans l’incapacité de servir dans un Israël non-démocratique, ce que certains craignent que le pays devienne si la refonte judiciaire promue par le gouvernement se concrétise.