Pourquoi la vie et la mort du soldat seul Michael Levin émeuvent toujours, dix ans après la guerre
“Si quoi que ce soit m’arrive, je veux juste vous dire que je vous aime, que vous me manquez, et que je vous souhaite le meilleur”, a dit Levin à un répondeur, juste avant que quelque chose ne lui arrive

La nuit précédant la mort de Michael Levin, j’étais assis à la table de la cuisine de sa famille, en mangeant des lasagnes faites par sa mère, Harriet.
Ce soir-là, il y avait un rassemblement à la synagogue conservatrice Shir Ami voisine pour soutenir Israël, pendant ce qui serait ensuite connue comme la deuxième guerre du Liban.
Pendant le rassemblement, Harriet a été appelée sur la scène, honorée en public d’avoir un fils dans l’armée israélienne, risquant sa vie pour protéger les communautés du nord d’Israël.
Je ne connaissais pas très bien Michael. Il avait quelques années de plus que mois, plus l’âge de ma sœur que le mien. Mais je connaissais sa famille. Sa sœur Elisa était dans l’encadrement du groupe de jeunesse dans lequel j’étais actif à l’époque. Et sa mère Harriet était l’amie et la collègue de ma mère, leurs bureaux étaient voisins.
Donc quand ma mère est venue me voir pendant le semestre que je passais en Israël en 2005, elle avait proposé de rapporter à Michael un petit quelque chose de la maison : des Tastykakes [marque de gâteaux américaine].
Et quand il y a eu un rassemblement pour Israël à la synagogue proche de chez les Levin, Harriet a proposé que je mange chez elle puis de m’emmener à l’évènement.

J’étais assis à leur table de cuisine, la bouche pleine de pâtes, quand la sœur jumelle de Michael, Dara, est descendue de sa chambre, tenant son téléphone portable. Michael lui avait laissé un message, nous a-t-elle dit, disant qu’il partait au Liban.
« Si quelque chose m’arrive, je veux juste dire que je vous aime, que vous me manquez, et que je vous souhaite le meilleur », a-t-il dit au répondeur, juste avant que quelque chose ne lui arrive.
Le 1er août, Michael, qui avait réjoui sa famille avec une visite surprise un mois avant, a été abattu par une balle dans la tête d’un sniper du Hezbollah pendant une bataille dans le village libanais d’Ayta ash-Shab.
Harriet a dit que la mort de Michael était bashert, destiné en yiddish, et j’ai tendance à être d’accord.
Le sanctuaire de Michael
Quand Michael est mort, j’étais un adolescent sioniste, écrivant malheureusement des articles incohérents dans le journal du lycée sur le désengagement de Gaza, et rêvant du jour où je pourrai partir en Israël.
Dix ans plus tard, je suis un Israélien typique, et j’écris toujours des articles, que j’espère plus convaincants, alors, jeudi après-midi, je me suis assis avec Harriet et Mark Levin à l’hôtel Harmony de Jérusalem, pour essayer de comprendre pourquoi l’histoire de Michael émouvait si profondément les gens.

Plus tard ce soir-là, des dizaines de personnes se sont rassemblées sur la tombe de Michael au cimetière militaire du mont Herzl, à Jérusalem.
Dans la décennie qui a suivi sa mort, sa tombe est devenue comme un sanctuaire pour les voyages Taglit et les soldats israéliens.
Elle est couverte de cailloux et de souvenirs sportifs de Philadelphie, de fleurs, de bouteilles d’eau et des écussons de toutes les unités imaginables de l’armée israélienne, de casquettes, de colliers, de kippas, de dessins, de bracelets, de drapeaux, de bandanas, de pins, de médailles et de fleurs de coton.
Mark dit qu’elle ressemble « à une friperie ».
Certains de ces totems ont une signification, par exemple, le coton ne change pas une fois qu’il a atteint sa maturité, il est donc censé représenter la vie abrégée de Michael, mais les autres sont mystérieux.
En plus des amis et de la famille, le grand rabbin de l’armée israélienne, le général Rafi Peretz, le grand rabbin de Jérusalem, Aryeh Stern, et le colonel Yaki Dolef, qui supervisait en 2007 l’unité de Michael, le 890e bataillon de parachutistes, et commande à présent la brigade du nord de Gaza, assistaient à la cérémonie de jeudi soir.
Ensuite, le cortège s’est dirigé vers la cérémonie d’inauguration du nouvel emplacement du Centre Michael Levin pour les soldats seuls (Michael Levin Lone Soldiers Center), au 51 route de Jaffa, dans le centre de Jérusalem.
En Israël, la plupart des personnes qui connaissent quelque chose de Michael le connaissent par le Centre, qui fournit un soutien émotionnel et physique aux soldats seuls de l’armée israélienne (moi compris, autrefois).
Historiquement, un soldat seul est un soldat venu d’un pays étranger et qui a emménagé seul en Israël, mais de plus en plus, ce terme désigne aussi des Israéliens nés en Israël qui ne sont plus soutenus par leurs parents, particulièrement les soldats venus de communautés ultra-orthodoxes, qui sont désavoués par leurs familles pour avoir rejoint l’armée israélienne.
Michael n’était pas le premier soldat seul à mourir pour Israël, il ne sera pas le dernier, mais il est devenu le plus célèbre.

‘Un héros au paradis’
Pendant les jours et les semaines qui ont suivi la mort de Michael, son histoire s’est répandue comme un incendie.
Les journaux, les sites internet, les chaînes de télévision en Israël et aux Etats-Unis montraient des articles sur Michael, ce jeune homme idéaliste de 22 ans qui avait donné sa vie pour défendre son pays.
Quatre mois après sa mort, Sally Mitlas, un ami d’Harriet qui dirigeait une entreprise de production de films, a achevé un documentaire sur Michael, « Un héros au paradis ».
Le film a été diffusé pour la première fois à la convention internationale du mouvement United Synagogue Youth, en décembre 2006. Depuis, « plus de 1 700 copies du film ont été envoyées aux mouvements de jeunesse, aux synagogues et aux organisations du monde entier », a déclaré Mark.
Il est maintenant diffusé tous les ans à la télévision israélienne pour Yom HaZikaron, la journée du souvenir.
Une copie pirate complète du documentaire de 40 minutes disponible sur YouTube, ainsi que des versions plus courtes, ont chacune rassemblé des dizaines de milliers de vues.
Mark estime que, à présent, des millions de juifs ont entendu l’histoire de Michael.
Mais pourquoi ?
Pourquoi l’histoire de Michael accroche-t-elle ? Pourquoi quasiment chaque participant Taglit peut-il vous parler de Michael Levin, et que beaucoup moins n’ont ne serait-ce qu’entendu parler d’Alex Singer, venu de White Plains, dans l’état de New York, mort au Liban en 1987 ?
En 2014, trois soldats seuls de l’armée israélienne nés à l’étranger ont été tués pendant la guerre à Gaza : Nissim Sean Carmeli, Jordan Bensemhoun et Max Steinberg. Et pourtant, pendant la cérémonie d’inauguration du centre pour les soldats seuls de Jérusalem, le vice-ministre en charge de la diplomatie publique, Michael Oren, peut-être le soldat seul le plus célèbre de l’histoire d’Israël, n’a pu se souvenir que de deux d’entre eux.

Pour être honnête, Oren s’est rappelé de Shlomo Rindenow, né et élevé dans le New Jersey, et qui est mort après un défaut d’une arme le mois dernier, et est devenu un souvenir lointain dans les médias israéliens et américains.
Mais Michael reste et demeure.
Pourquoi Michael ?
Pour son père, Mark, l’histoire de Michael émeut parce qu’il a été un « paradigme » de l’esprit israélien.
Tout comme Israël, raconte Mark, Michael était petit, « 53 kg, après avoir mangé », mais du haut de son mètre soixante-dix, il portait le courage et les capacités de perturbation de dix hommes, ajoute Harriet.
Aucun été du camp Ramah, dans le Poconos, n’était complet sans une conversation avec le directeur à propos de quelque chose que Michael avait fait, dit Harriet.
Cet esprit espiègle ne lui a pas seulement apporté des problèmes, mais l’a aussi mené dans l’armée. Selon son histoire apocryphe, Michael a rejoint l’armée israélienne en s’introduisant littéralement dans le centre d’incorporation, grimpant jusqu’à une fenêtre de salle de bains depuis une benne proche du bâtiment, après que le garde à l’entrée lui a dit de repartir.
Quand Michael a obtenu la permission d’aller aux Etats-Unis en juillet 2006, il aurait pu le dire à sa famille en avance, ou les surprendre en passant simplement la porte, comme le font beaucoup de soldats israéliens nés à l’étranger, publiant souvent des vidéos émouvantes des retrouvailles sur Facebook. Mais à la place, il a demandé à Dara de l’aider à se cacher dans une boîte devant leur porte d’entrée, pour qu’il puisse en jaillir et faire peur à ses parents quand ils rentreraient du travail : une double surprise.
Mais en plus de cet esprit potache, Michael avait une dévotion sans faille pour Israël, dit Harriet.
Le 18 juillet 2006, quand on a appris qu’Israël était engagé dans une guerre à sa frontière nord, la famille a conduit Michael à l’aéroport JFK avant son retour prévu, parce qu’il pensait qu’il devait rejoindre son unité.
« Nous savions qu’il retournait dans une zone de guerre pour faire ce qu’il devait faire », dit Mark.
Deux semaines plus tard, les Levin tout juste endeuillés retournaient au même aéroport pour se rendre en Israël et enterrer leur fils au cimetière militaire du mont Herzl, à Jérusalem, le jour du 9 Av, un jour de deuil et de jeûne traditionnel qui commémore la destruction des deux Temples juifs.
Mark et Harriet, inquiets de ne pas pouvoir trouver 10 personnes présentes pour qu’ils puissent réciter le Kaddish, la prière des morts, ont été submergés par les milliers de personnes qui arrivaient pour les funérailles de Michael.
Alors que je parlais aux parents de Michael, tenant de comprendre pourquoi sa mort avait touché une corde sensible du peuple, alors que d’autres histoires de soldats tombés au combat ne l’avaient pas fait, il est devenu clair qu’il n’y avait pas de réponse complète et évidente.
Mais pour Mark et Harriet, il ne semble pas important de savoir pourquoi l’histoire de Michael est devenue si célèbre, et ils ne regrettent pas non plus que leur tragédie personnelle soit devenue une affaire publique. Par cela, ils ont pu attirer l’attention et le soutien sur ce qui intéressait leur fils : les soldats seuls.

Avant la mort de Michael Levin, le concept de « soldat seul » était à peine connu en Israël, même au sein de l’armée. Aujourd’hui, les règles et les avantages pur cette population spéciale sont plus normalisés, bien qu’ils puissent toujours être occasionnellement soumis aux caprices d’un commandant, et les officiers sont spécialement formés pour traiter des soldats seuls.
Alors que le nombre de soldats seuls nés en Israël s’accroit, leur mission devient plus importante, dit Harriet.
Selon le directeur national du Centre Michael Levin pour soldat seul, Josh Flaster, les soldats seuls nés en Israël composent à présent « presque la moitié » des personnes aidées par le Centre.
Contrairement à leurs homologues nés à l’étranger, qui, bien que seul en Israël, ont souvent un soutien émotionnel et financier de leurs parents, beaucoup de soldats venant d’Israël n’ont pas un tel filet de sécurité, dit-elle.

Harriet a une relation particulière avec les soldats des communautés ultra-orthodoxes. Parlant couramment le yiddish, elle peut aussi leur parler en ce qui est souvent leur langue maternelle.
Un de ces soldats a été grièvement blessé pendant la guerre à Gaza en 2014. L’armée a appelé ses parents, mais ils ont refusé de le voir et ont interdit à ses frères et sœurs de lui rendre visite, raconte Harriet.
« Alors quelqu’un du Centre a été à l’hôpital pour être avec lui », dit-elle.
Je ne sais pas pourquoi la « légende » de Michael Levin a pris le dessus, et pas celle d’Alex Singer ou de Max Steinberg ; je ne sais pas pourquoi elle m’émeut.
Elle m’émeut parce que je viens aussi de Philadelphie. Parce que je suis aussi venu en Israël pendant le lycée, puis à nouveau juste après. Parce que ma mère lui apportait parfois des Tastykakes après son premier entraînement, mais avant qu’il ne gagne le béret rouge des parachutistes.
Et parce qu’il y a dix ans, j’étais un adolescent apprenti sioniste, assis dans sa cuisine, à manger des lasagnes.
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