Pourquoi Netanyahu doit accepter la noble invitation de Yarden Bibas, et soutenir l’enquête d’État du 7 octobre
"Si nous ne regardons pas cette tragédie en face, nous ne pourrons jamais nous en remettre", a écrit ce père et mari endeuillé, exhortant le Premier ministre à l’accompagner quand il rentrera dans son kibboutz
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Les multiples enquêtes internes très détaillées de l’armée israélienne sur le pogrom du 7 octobre 2023 et les conclusions publiées par l’agence de sécurité intérieure du Shin Bet, beaucoup plus brèves et générales, admettent toutes deux leur propre incapacité pour le moins stupéfiante à reconnaître que le groupe terroriste palestinien du Hamas se préparait manifestement à envahir et à massacrer des Israéliens, tout en négligeant de prendre les précautions les plus élémentaires pour empêcher cette tuerie.
Toutefois, ces deux séries d’enquêtes très différentes ont également permis de montrer que la responsabilité n’est pas entièrement imputable à ces deux acteurs et d’indiquer que les dirigeants politiques portent également une part de responsabilité – majeure.
Au cours des dernières décennies, Israël a considéré les menaces de l’Iran et du groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah au Liban comme prioritaires, tandis que la bande de Gaza était reléguée au second plan, conclut Tsahal dans l’une de ses enquêtes internes, celle qui s’est concentrée sur les « perceptions » concernant Gaza et le Hamas dans les années précédant le 7 octobre. Dans une synthèse attribuant clairement la faute à l’échelon politique sans nommer de coupable, Tsahal accuse la politique vis-à-vis de Gaza d’avoir été ambivalente, Israël ayant déclaré que le Hamas n’était pas un partenaire légitime pour un accord de paix, tout en ne faisant rien pour créer une alternative à son pouvoir dans la bande de Gaza.
Israël a opté pour une « gestion du conflit » avec le Hamas, selon l’enquête, afin de créer de longues périodes de calme, en partant du principe erroné que le groupe terroriste n’était pas intéressé par une guerre de grande envergure. Soulignant à la fois les erreurs fatales des dirigeants politiques et des responsables de la sécurité, l’enquête de l’armée note qu’il n’y avait pas de projet de conquête de la bande de Gaza pendant la guerre, ni de projet d’accord diplomatique avec le groupe terroriste. Avec le recul, Tsahal déplore que les efforts ostensibles du Hamas pour parvenir à un accord avec Israël aient fait partie d’une campagne de tromperie visant à faire croire à l’État hébreu qu’il n’était pas intéressé par la guerre.
Le Shin Bet est beaucoup plus laconique dans ses conclusions, mais il pointe également du doigt le Premier ministre Benjamin Netanyahu et ses politiques. Il note que pendant de nombreuses années, « la politique d’Israël vis-à-vis de Gaza a été de maintenir des périodes de calme, ce qui a permis au Hamas de constituer une force massive ». En outre, il explique que l’un des principaux facteurs qui ont permis au Hamas de se transformer en une véritable armée a été « le flux d’argent provenant du Qatar vers Gaza et sa livraison à la branche militaire [armée] du Hamas » – une politique, qu’il choisit de ne pas préciser, préconisée et approuvée par Netanyahu.
Les piles de documents publiés par Tsahal décortiquent, dans les moindres détails, les composantes tactiques de l’échec total de la collecte et de l’interprétation des renseignements recueillis sur le Hamas avant le 7 octobre, de leur assimilation, même dans les dernières heures précédant le franchissement de la frontière, et de chaque bataille menée ce jour-là. Le Shin Bet, en revanche, n’a publié qu’un aperçu nettement plus superficiel, de manière commode et intéressée, bien que compréhensible pour une agence de sécurité intérieure, compte tenu des sensibilités et des dangers liés à la divulgation publique de plus de documents.

Mais ce que l’ensemble de ces documents met surtout en évidence, c’est la nécessité absolue d’une enquête indépendante et exhaustive sur les défaillances en matière de sécurité et de politique qui ont permis au Hamas de passer du statut de groupe terroriste à celui d’armée sous le nez d’Israël, de planifier ouvertement une invasion et de la mener à bien. Une enquête qui, contrairement à celles du Shin Bet et de Tsahal, ne se concentre pas principalement sur les catastrophes internes d’un organe de sécurité particulier et ne cherche pas désespérément à éviter le rôle des dirigeants politiques. Une enquête qui, au contraire, examine les échecs stratégiques de la direction israélienne dans son ensemble. Et ce, principalement, non pas pour pointer du doigt ou rejeter la faute sur qui que ce soit, mais pour faire en sorte que rien de tel que le 7 octobre ne puisse jamais se reproduire, en s’attaquant à toutes les causes profondes et en assurant un changement fondamental.
Le fait est que le seul organe légalement habilité à mener ce type d’enquête indispensable et attendue depuis longtemps est une commission d’enquête d’État, car c’est le seul organe capable de parvenir à découvrir toute la vérité, notamment parce qu’il a le pouvoir unique d’assigner des témoins à comparaître.
Il y a fort à parier qu’une telle enquête, dont le président est légalement nommé par le président de la Cour suprême, et qui est généralement un ancien juge de ladite Cour, émettrait des recommandations lourdes de conséquences pour les dirigeants politiques, et notamment pour Netanyahu. C’est pourquoi le Premier ministre israélien s’y oppose avec toute la puissance et l’éloquence qui le caractérisent, et fait tout son possible pour discréditer cette enquête de manière préventive dans le contexte plus large de l’attaque menée depuis deux ans par sa coalition contre la légitimité même du système judiciaire israélien.
Ce qu’il refuse d’accepter, c’est que l’exigence nationale fondamentale de comprendre pleinement ce qui n’a pas fonctionné, afin de garantir que cela ne se reproduise plus, l’emporte en réalité sur les conséquences personnelles pour le Premier ministre sous le mandat duquel les signes avant-coureurs de la catastrophe ont été ignorés et le massacre lui-même a eu lieu.

En réalité, il ne devrait vraiment même pas être nécessaire de le dire. Mais c’est bien évidemment le cas, comme l’a confirmé lundi Netanyahu, furieux depuis la tribune de la Knesset, en s’opposant amèrement pour la énième fois à l’enquête dont la nation a pourtant un besoin urgent. Son obstination à cet égard est, bien sûr, un triste écho de l’étroitesse d’esprit qui a conduit à la catastrophe.
En bas de l’escalier menant à la tribune des visiteurs de la Knesset, peu avant que Netanyahu ne soit sommé par les députés de l’opposition de répondre à la demande d’une enquête d’État, une quarantaine de proches des victimes du 7 octobre et de soldats morts au combat dans la guerre en cours ont été empêchés d’entrer dans la galerie des observateurs par les gardes de la Knesset pour entendre le discours du Premier ministre et le débat dans son ensemble.
Beaucoup d’entre eux portaient des photos de leurs êtres chers disparus. La galerie était vide. On leur avait demandé de s’inscrire à l’avance pour pouvoir entrer.
Il n’y avait aucune raison de refuser à ces Israéliens éplorés l’accès à la tribune insonorisée de leur propre Parlement, pour entendre leurs dirigeants élus débattre d’une question d’une importance aussi brûlante et angoissante pour eux. Et pourtant, la Garde de la Knesset, sous l’autorité du président de la Knesset de Netanyahu, le député Amir Ohana (Likud), avait reçu l’ordre de les en empêcher.

Quand elles ont essayé de passer malgré tout, les familles ont été violemment malmenées, parmi lesquelles un père en deuil qui a été traîné par un garde de la Knesset, son avant-bras appuyé sur sa gorge. Trois personnes ont dû être prises en charge par les secouristes. Beaucoup étaient en larmes.
Il est rare qu’une image soit aussi terrible pour désigner des dirigeants politiques élus, chargés de servir le peuple, qui refusent d’écouter les demandes de la population, et encore plus de leur prêter attention.
אלימות מופנית כלפי משפחות שכולות ומשפחות חטופים שרוצות לצפות בדיון בכנסת על ועדת חקירה ממלכתית. pic.twitter.com/O4Z6J6yyLF
— דפנה ליאל (@DaphnaLiel) March 3, 2025
Au milieu du chaos de lundi après-midi, l’invitation la plus noble qui soit a été négligée : un appel, un acte de solidarité, adressé au Premier ministre par Yarden Bibas, libéré de sa captivité à Gaza il y a un mois, après presque seize mois d’enfer, pour apprendre que sa femme Shiri, son fils Ariel, âgé de 4 ans, et son bébé Kfir avaient été brutalement assassinés « à mains nues » par leurs bourreaux quelques semaines après leur enlèvement.

Écrivant pendant la shiva – semaine de deuil traditionnelle – de sa famille, dont les dépouilles avaient été rendues quelques jours plus tôt, Yarden Bibas a souligné dans sa lettre – qui a été lue en son nom depuis la tribune de la Knesset par le député Chili Tropper – qu’ils auraient pu être sauvés et que toute la catastrophe du 7 octobre n’aurait jamais dû se produire. Cependant, il a également souligné qu’il n’avait aucun intérêt à régler des comptes, mais qu’il cherchait plutôt à rassembler ses forces et à aller de l’avant, ainsi qu’à contribuer à faire en sorte que cela ne se reproduise pas.
À cette fin, il a souligné son soutien à une commission d’enquête nationale, notant que 83 % de la population y était favorable, et a insisté sur le fait qu’il « ne s’agissait pas de désigner les coupables, mais de tirer des leçons pour éviter une nouvelle catastrophe ».
Puis, il a exhorté Netanyahu, le Premier ministre sous le mandat duquel une catastrophe d’une ampleur inimaginable s’est abattue sur lui, à l’accompagner lors de son retour dans sa maison du kibboutz Nir Oz, sur les lieux mêmes de cette tragédie impensable.
« Monsieur le Premier ministre, j’ai une dernière demande à vous faire. Je n’ai pas encore pu retourner chez moi à Nir Oz. Je ne sais pas ce qui m’y attend », a écrit Yarden Bibas, ses mots résonnant dans toute la salle.
11 שניות שמראות ניתוק .
חילי טרופר מגיש לו מכתב ממשפחת ביבס .
והאיש בכלל לא רואה וכנראה לא מעניין אותו.
עצוב. וכאזרח.
גם שובר לב.
???????? pic.twitter.com/5nN3EbGHXE— YANIV HALIVA TOLEDANO ???????? (@htyaniv) March 3, 2025
« Je vous demande de m’accompagner, de marcher à mes côtés alors que je rentre chez moi pour la première fois depuis le 7 octobre. Faisons-le ensemble. »
Après que Tropper, membre du parti d’opposition HaMahane HaMamlahti, eut fini de lire la missive, il s’est dirigé vers le siège de Netanyahu avec la lettre et lui a parlé à l’oreille. Mais Netanyahu était tourné de l’autre côté, écoutant une autre députée, la vice-ministre des Affaires étrangères Sharren Haskel, et n’y prêta guère attention.
Alors que Tropper plaçait soigneusement le plaidoyer déchirant de Yarden Bibas devant le Premier ministre, ce dernier y jeta un bref coup d’œil, tout en poursuivant son interaction avec Haskel.
À l’heure où ces lignes sont écrites, Yarden Bibi n’est pas encore rentré chez lui. Il n’est pas trop tard pour que Netanyahu accepte son invitation étonnamment désintéressée. Il n’est pas trop tard non plus pour qu’il reconnaisse la nécessité cruciale de créer une commission d’enquête nationale.
Comme l’écrit Yarden Bibas à la fin de sa lettre : « Si nous ne regardons pas cette tragédie en face, nous ne pourrons jamais nous en remettre. »
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel