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Analyse

Poutine maintiendra les liens avec Israël – et ses ennemis

La rencontre chaleureuse avec Bennett s'inscrit dans la stratégie régionale plus large de Moscou, qui comprend des partenariats stratégiques avec l'Iran et la Syrie

Lazar Berman

Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Le président russe Vladimir Poutine (à droite) et le Premier ministre Naftali Bennett parlent lors de leur rencontre à Sotchi, en Russie, le 22 octobre 2021. (Crédit : Evgeny Biyatov, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP)
Le président russe Vladimir Poutine (à droite) et le Premier ministre Naftali Bennett parlent lors de leur rencontre à Sotchi, en Russie, le 22 octobre 2021. (Crédit : Evgeny Biyatov, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP)

De l’avis des gouvernements israélien et russe, la première visite officielle du Premier ministre Naftali Bennett auprès du président russe Vladimir Poutine a été un véritable succès.

Le ministre du Logement Zeev Elkin, dont la langue maternelle est le russe et qui a accompagné Benjamin Netanyahu lors de ses voyages en Russie avant de rompre avec l’ancien Premier ministre, a déclaré vendredi aux journalistes israéliens que la rencontre était « l’une des plus chaleureuses et des plus intimes de cette décennie » – et que les deux hommes ont également discuté de « questions personnelles » telles que le leadership.

La rencontre a duré plus longtemps que les deux heures prévues, les dirigeants se sont promenés dans l’enceinte de la résidence Bocharov Ruchey de Poutine à Sotchi et sont entrés pour discuter autour d’un verre.

L’intérêt du gouvernement Bennett-Lapid à souligner le lien personnel est clair. Le camp de M. Netanyahu a longtemps affirmé qu’Israël et la Russie étaient en mesure de surmonter les dangereuses tensions uniquement grâce aux relations entre l’ancien Premier ministre et M. Poutine.

Mais la partie russe a également cherché à mettre en avant un récit de continuité avec le nouveau gouvernement israélien, Poutine saluant les « relations tout à fait sérieuses et de confiance » qu’il avait eues avec Netanyahu et exprimant son espoir qu’elles se poursuivent avec Bennett.

La chaleur émanant des deux parties indique certainement un désir de dialogue constructif sur des questions difficiles, mais l’optimisme d’Israël doit être tempéré par le fait que la Russie soutient les adversaires les plus acharnés de Jérusalem, et continuera à le faire pendant le mandat de Bennett.

Le chef d’état-major des forces armées iraniennes, le général Mohammad Hossein Bagheri, prononce un discours lors d’un défilé militaire marquant le 36e anniversaire de l’invasion de l’Iran par l’Irak en 1980, devant le sanctuaire du défunt fondateur de la révolution, l’ayatollah Khomeini, juste à l’extérieur de Téhéran, en Iran, le 21 septembre 2016. (Crédit : AP Photo/Ebrahim Noroozi)

Un acteur de premier plan dans la région

« Il y a clairement un désir de continuité », a déclaré Jonathan Spyer, directeur du Middle East Center for Reporting and Analysis.

Dans le même temps, selon Ksenia Svetlova, experte du Moyen-Orient à l’Institut Mitvim, le maintien d’un dialogue ouvert avec Israël fait partie de la stratégie régionale plus large du Kremlin, qui inclut un partenariat avec des pays comme l’Iran et la Syrie.

« La Russie joue un rôle sur plusieurs théâtres au Moyen-Orient », a-t-elle déclaré au Times of Israel. « Elle se voit comme un acteur de premier plan qui peut tirer les ficelles, et pour cela, elle a besoin de relations positives avec toutes les parties. »

Il n’y a pas de meilleure illustration de l’approche de la Russie à l’égard de la région et d’Israël que la visite à Moscou du chef d’état-major militaire de l’Iran à la veille du voyage de Bennett.

Quelques jours seulement avant que Bennett et Poutine ne bavardent amicalement sur les rives de la mer Noire, le chef d’état-major iranien Mohammad Hossein Baqeri était à Moscou pour augmenter de manière drastique les ventes d’armes russes à Téhéran.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, à droite, le président russe Vladimir Poutine, à gauche, et le ministre de la Protection de l’environnement de l’époque, Zeev Elkin, se rencontrent à Moscou, en Russie, le 29 janvier 2018. (Crédit : autorisation : PMO)

« La conclusion d’accords sur les armes et leur mise en œuvre dans un avenir proche approfondiront considérablement nos relations », a déclaré le chef militaire iranien, après s’être entretenu avec le ministre de la Défense et le chef d’état-major de la Russie.

La journaliste et analyste politique Ksenia Svetlova, ancienne députée du parti de l’Union sioniste. (Crédit : Miriam Alster/Flash90)

« Quand Elkin ou Bennett disent que Poutine est attentif aux besoins d’Israël en matière de sécurité, comment cette attention s’accorde-t-elle exactement avec la fourniture d’armements avancés, de systèmes avancés et plus encore à l’Iran ? » a demandé Svetlova. « Je n’accorderais pas trop d’importance à la chaleur ou à la durée de la rencontre. Je prêterais davantage attention à la stratégie de la Russie. »

Tout en soutenant le régime de Bachar Assad en Syrie, et en développant des liens opérationnels profonds avec le Hezbollah dans ce pays déchiré par les combats, la Russie voit un intérêt fondamental à poursuivre sa coopération avec Israël, le seul État démocratique allié des États-Unis avec lequel elle entretient des liens aussi positifs.

Un élément majeur de la coopération israélo-russe est le mécanisme de déconfliction pour la Syrie, par lequel Tsahal informe les commandants russes de la base aérienne de Hmeimim, sur la côte syrienne, peu de temps avant qu’elles n’effectuent des frappes aériennes dans le pays.

Illustration : Des volutes de fumée après une frappe aérienne israélienne présumée visant le sud de Damas, en Syrie, le 20 juillet 2020 (Crédit : AFP).

La Russie est bien consciente que la « campagne d’entre-deux-guerres » menée par Israël depuis des années contre l’enracinement iranien en Syrie complique sa propre coopération avec Damas et Téhéran, ainsi que ses tentatives de reconstruction de la Syrie.

« Il semble également y avoir une volonté claire de coexister avec Israël et de s’assurer que ces projets n’entrent pas en collision les uns avec les autres », a déclaré Spyer. « Cela vient d’une acceptation russe de l’idée que les actions d’Israël ne remettent pas fondamentalement en cause le projet russe. »

Poutine reconnaît également que les frappes aériennes israéliennes sont dirigées contre l’Iran, pas contre la Russie, et ne sont pas spécialement dirigées contre Assad non plus.

Il y a en quelque sorte une convergence d’intérêts en Syrie, a soutenu Efraim Inbar, président de l’Institut de Jérusalem pour la stratégie et la sécurité. « Ils ne veulent pas non plus que l’Iran devienne trop fort en Syrie ».

Moscou reconnaît également l’avantage militaire d’Israël dans la région, et n’a aucune envie de se battre avec l’une des forces aériennes les plus puissantes du monde alors qu’elle ne dispose que de forces minimales en Syrie.

Pourtant, d’importantes voix russes militent en faveur d’une ligne plus dure contre les opérations israéliennes en Syrie. Ces derniers mois, les hauts responsables de la Défense russe se sont montrés de plus en plus critiques à l’égard de la campagne de Tsahal, et l’establishment de la Défense préconiserait que la Russie adopte une attitude plus ferme à l’égard de Jérusalem.

« Poutine et le ministre des Affaires étrangères voient l’activité d’Israël de manière assez différente », a déclaré Svetlova. « Ils pensent qu’ils doivent maintenir de bonnes relations avec la plupart ou tous les acteurs, et donner à chacun ce qu’il veut. Ils comprennent qu’Israël ne peut pas accepter une expansion de l’influence iranienne en Syrie. »

Une simulation informatique publiée par le ministère russe de la Défense le 23 septembre 2018 prétend montrer des jets israéliens près d’un avion de reconnaissance russe, en rouge, au large de la côte syrienne avant qu’il ne soit accidentellement abattu par les forces syriennes répondant à la frappe aérienne israélienne. (Crédit : Service de presse du ministère russe de la Défense via AP)

Depuis que la Russie a publiquement blâmé Israël, pour l’armée syrienne qui a abattu l’un de ses avions militaires Il-20 en 2018, un nouveau mécanisme a été mis en place dans lequel les Russes bénéficient d’un délai d’avertissement plus important. Bien que Moscou continue de faire pression pour obtenir un préavis plus important, le système fonctionne assez bien.

En outre, la routine du bon flic, mauvais flic entre Poutine et l’armée est susceptible de se poursuivre également, rappelant à Israël de ne pas pousser l’enveloppe trop loin, et de continuer à montrer sa gratitude au président russe pour son approche coopérative. Si Poutine ne voulait pas que la déconfliction sur la Syrie persiste, elle s’arrêterait brutalement.

Si la relation Russie-Israël en Syrie continuera d’être utile aux deux parties, Bennett et Poutine ne sont pas non plus près de faire des révélations surprenantes sur l’accord nucléaire de 2015 entre le P5+1 (groupe de six grandes puissances qui, en 2006, ont mis en commun avec l’Iran leurs efforts diplomatiques à l’égard de son programme nucléaire) et Téhéran ou sur les pourparlers de Vienne visant à le rétablir.

« Nous ne devons pas nous faire d’illusions sur le fait que nous pouvons nous coordonner avec eux sur le programme nucléaire iranien », a déclaré Inbar. « Ils considèrent l’Iran comme une force anti-américaine qui affaiblit la position des États-Unis dans la région. »

La teneur des déclarations publiques des responsables russes concernant les attaques israéliennes en Syrie, en particulier celles des civils, sera une indication importante de l’état de la relation. Pour l’instant, Israël doit s’attendre à ce que la coopération tactique avec la Russie se poursuive en Syrie, tandis que la Russie reste un partenaire stratégique pour certains des ennemis les plus dangereux d’Israël.

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