Refonte judiciaire : des réservistes des commandos annoncent leur refus de servir
170 militaires de l'unité d'élite Sayeret Matkal expliquent qu'ils s'attendent encore à rallier 80 soldats à leur cause en signe de protestation contre le gouvernement
Environ 170 réservistes actifs au sein des forces spéciales de l’armée ont indiqué qu’ils ne se présenteraient plus au service alors que le mouvement de protestation des opposants au projet de refonte radicale du système judiciaire continue d’agiter les rangs de l’armée israélienne.
Face aux inquiétudes portant sur la possibilité que cette vague massive de refus de service ne finisse par nuire aux capacités de Tsahal à faire face aux menaces, le chef d’état-major Herzi Halevi a déclaré aux réservistes – des propos qui ont fuité vendredi auprès des médias – que le refus de prendre part aux exercices militaires porterait atteinte à l’état de préparation de l’armée israélienne.
Si les responsables ont tiré la sonnette d’alarme face à un phénomène de refus qui ne cesse de se propager, certains membres du gouvernement ont tenté, pour leur part, de le minimiser. Selon des informations rendues publiques vendredi, le Premier ministre Benjamin Netanyahu aurait dit à ses proches qu’Israël n’avait pas besoin de tous les escadrons aériens, faisant référence aux pilotes qui ont été parmi les premiers à refuser de se porter volontaires pour mener à bien leur mission dans les réserves.
Mais un courrier qui a été envoyé récemment au commandant de l’unité de commando d’élite Sayeret Matkal a fait savoir qu’à partir de cette semaine, 170 réservistes actifs, au sein de l’unité, cesseraient de se présenter au service en raison de la décision prise par le gouvernement de faire avancer devant le parlement une législation issue du plan de refonte judiciaire, a fait savoir un reportage qui a été diffusé vendredi par la Douzième chaîne.
« Nous sommes conscients des nuisances potentielles qui pourraient être causées par l’arrêt de notre devoir de réserve au sein de l’unité mais dans l’état actuel des choses, nous n’avons pas d’autre possibilité pour prévenir les dégâts que nous serons tous amenés à essuyer avec l’adoption des lois proposées », aurait dit le courrier, selon la Douzième chaîne.
La chaîne a indiqué que les auteurs de la missive comptaient avoir 80 nouvelles signatures dans les prochains jours, ce qui porterait un coup significatif aux capacités de réaction opérationnelle des militaires.
L’unité, qui est largement entourée de secret, est responsable des missions de collecte de renseignement au-delà des lignes ennemies et elle a pris en charge des opérations dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ou des prises d’otages, avec notamment le raid légendaire qui avait été mené à l’aéroport d’Entebbe en Ouganda, au mois de juillet 1976, qui avait été placé sous l’autorité de Yoni Netanyahu, le frère du Premier ministre, qui avait perdu la vie à cette occasion. Benjamin Netanyahu avait lui-même servi au sein de cette unité.
Ces exploits ont aidé Sayeret Matkal à devenir une unité mythique aux yeux des Israéliens. Un grand nombre de ses anciens soldats ont ensuite assumé des fonctions à haute responsabilité – cela a été le cas, par exemple, des anciens Premiers ministres Naftali Bennett et Ehud Barak.
Pendant ce temps, avec des tensions, au sein de la nation, qui se sont renforcées entre les partisans du gouvernement et ses opposants, un sondage réalisé par la Douzième chaîne a révélé que 67 % des Israéliens craignaient l’avènement d’une guerre civile. 29 % des sondés ont indiqué ne pas être inquiets et 4 % ont dit qu’ils ne savaient pas.
Parmi ceux qui ont voté pour le bloc de Netanyahu à la Knesset, 56 % des citoyens interrogés ont dit craindre une telle éventualité et 41 % ont indiqué ne pas redouter une guerre civile. Des pourcentages qui, dans le camp opposé, étaient à 85 % et à 14 % respectivement.
Vendredi encore, plusieurs pilotes de réserve ont indiqué à Tomer Bar, le commandant des forces aériennes israéliennes, qu’ils ne participeraient plus aux exercices dès dimanche en signe de protestation contre le plan de refonte judiciaire, selon la chaîne publique Kan.
Kan a aussi fait remarquer que 106 pilotes des réserves de l’armée de l’air qui assument des postes hors du combat avaient fait savoir à Tsahal qu’ils mettaient un terme à leur volontariat.
La coalition fait actuellement avancer devant le Parlement une législation déterminante du plan de refonte du système israélien de la justice – un texte qui interdirait aux juges d’invalider les décisions prises par le gouvernement et par les ministres sur la base de la notion juridique de « raisonnabilité – voire de simplement en discuter. Elle compte adopter définitivement le projet de loi d’ici la fin du mois.
La coalition a juré de faire approuver son plan de refonte du système judiciaire israélien malgré l’opposition massive au projet, avec notamment des rassemblements quotidiens devant les habitations de politiciens et des « journées de perturbation » hebdomadaires visant à immobilier le pays et à exercer des pressions sur le gouvernement. Selon les critiques, le plan de refonte affaiblira les tribunaux et fera disparaître les contre-pouvoirs face à une possible toute-puissance gouvernementale, mettant la démocratie israélienne en danger. Selon ses partisans, le projet de refonte est nécessaire pour freiner des tribunaux activistes, idéologiquement engagés et qui ont outrepassé les limites de leur autorité.
A la fin du mois de mars, une vague similaire de refus avait finalement amené le ministre de la Défense, Yoav Gallant, à réclamer l’arrêt de la refonte afin de mettre en place des négociations avec l’opposition qui avaient pour objectif de trouver un compromis dans le cadre du plan de refonte. Netanyahu avait alors décidé de limoger son ministre – déclenchant un mouvement de protestation d’une ampleur presque inédite au sein de l’État juif. Le Premier ministre avait alors réintégré Gallant à ses fonctions et il avait accepté de geler le projet de refonte pour ouvrir la porte à des pourparlers avec l’opposition.
Les négociations de compromis ont été rompues le mois dernier, ce qui a décidé la coalition à relancer de manière unilatérale son projet controversé.
Selon la Douzième chaîne, l’armée examine la possibilité d’exercer encore des pressions sur le gouvernement afin que ses capacités opérationnelles puissent être préservées – une information qui n’a pas été confirmée et dont la source reste indéterminée.
De son côté, la Treizième chaîne a noté qu’à partir de dimanche, les militaires suivraient avec attention toutes les annonces faites par les réservistes de l’armée de l’air en matière de refus de service de façon à avoir une image claire, en temps réel, de la possibilité, pour Tsahal, de mener des raids dans les conditions normales.
Chaque nouvelle annonce sera transférée au sommet de la hiérarchie, qui sera chargée de déterminer comment y réagir et qui étudiera la possibilité de sanctionner les récalcitrants.
Halevi, le chef d’état-major, s’est abstenu d’intervenir, ces derniers jours, face au phénomène du refus de service des réservistes. Toutefois, selon des informations qui ont fuité auprès des médias dans la journée de vendredi, il aurait déclaré à un groupe de soldats de réserve qui s’entraînaient que « si nous ne nous entraînons pas aujourd’hui, nos compétences seront compromises et lorsque vous serez appelés pour assumer une mission, vous serez moins bien préparés ».
Avant l’annonce faite par les soldats de l’unité Sayeret Matkal, le mouvement de protestation avait été principalement marqué dans l’armée de l’air.
Le reportage diffusé par Kan n’a pas précisé combien de pilotes étaient impliqués dans ce boycott, en faisant remarquer que certains étaient de haut-rang. Plusieurs pilotes assument un rôle d’instructeur dans l’armée de l’air.
Selon les médias israéliens, les pilotes réservistes avaient rencontré lundi dernier le commandant Bar, en le mettant en garde contre d’éventuels refus massifs de se porter volontaires si le gouvernement fait avancer son projet controversé de réforme du système judiciaire.
Le groupe de pilotes, qui représentait des centaines d’autres, avait dit à Bar qu’ils s’étaient engagés à « servir le royaume, pas le roi », avait précisé la presse israélienne.
Toutefois, le journaliste Amit Segal avait écrit dans sa chronique parue vendredi dans le quotidien Yedioth Ahronoth que Netanyahu refusait de mettre un terme au processus législatif de la réforme judiciaire, déclarant à des confidents qu’Israël pouvait survivre « en l’absence de quelques escadrons ».
« Mettre fin à la législation ne signifierait qu’une seule chose : il est inutile d’avoir une autorité exécutive, puisqu’elle ne peut rien faire », a déclaré Netanyahu.
Contrairement à la plupart des réservistes qui sont appelés à servir sur ordre officiel de Tsahal, les pilotes et autres membres des forces spéciales se présentent beaucoup plus fréquemment et de manière volontaire, souvent en dehors des situations d’urgence, en raison de la nature de leur poste.
L’armée a déclaré qu’elle prendrait des mesures disciplinaires à l’encontre des soldats qui refuseraient de se présenter au travail lorsqu’on le leur ordonnerait, mais elle a souligné qu’aucune mesure ne serait prise à l’encontre des réservistes qui, à ce stade, ne font que menacer de ne pas se présenter au travail.
Les réservistes – qui occupent un rôle déterminant dans les activités de routine des unités les plus importantes de Tsahal – ont averti, ces derniers mois, qu’ils ne seraient pas en capacité d’accomplir leur devoir militaire dans un Israël qui ne serait plus démocratique – ce qui sera le cas, accusent-ils, si le gouvernement doit mener à bien son plan de refonte radicale du système judiciaire.
Les anciens combattants des unités spéciales de renseignement ont déclaré dans un communiqué jeudi que Netanyahu « comprend qu’il, et lui seul, est en train de démanteler le pays et l’establishment de la Défense. Ne nous parlez pas de ‘sécurité de l’État’ alors que vous vous précipitez vers une dictature à la russe ou à l’iranienne ».
Un autre groupe d’anciens du renseignement a déclaré que les enregistrements de Netanyahu « montrent qu’il comprend les dommages causés à la sécurité par les actions du gouvernement ».