Retour sur l’hommage corse à Anne Frank, marqué par la profanation de son arbre
La manifestation "Autour de l’Arbre", en hommage à l'adolescente juive, a eu lieu ce week-end, alors que la Corse, surnommée "Île des Justes", connaît quelques cas d'antisémitisme
La manifestation « Autour de l’Arbre » a eu lieu à Pianello, en Haute-Corse, ce dimanche. Alors qu’elle aurait pu être annulée après la découverte de la dégradation de l’arbre d’Anne Frank, elle fut néanmoins maintenue et placée sous le signe de la consternation, du partage et de l’émotion. Retour sur l’évènement.
Pianello, dans la montagne corse, est un village de carte postale. À environ deux heures de routes de Bastia, Ajaccio ou Porto-Vecchio, il ne compte que quelques dizaines d’habitants l’hiver, bien plus en été grâce à son gîte. Entouré d’une châtaigneraie dont certains spécimens sont millénaires, U Pianellu est un village typique et tranquille. Les visiteurs qui y montent peuvent régulièrement croiser sur la route de montagne des cochons sauvages, des brebis et des vaches ou taureaux corses. Mais ce paisible village a une particularité notable : comme seulement de rares endroits du globe, il possède « L’arbre d’Anne Frank ».
L’arbre d’Anne Frank est décrit dans son journal intime, aujourd’hui devenu un livre de référence sur la Shoah. Évocateur de la liberté perdue, rêvée et qu’elle souhaite retrouvée, Anne Frank l’évoque à plusieurs reprises. Il est d’autant plus symbolique que l’originel n’a pas résisté à l’épreuve du temps. Le marronnier d’Amsterdam luttait depuis des années contre un champignon et une infestation de mites. Déclaré à abattre par la mairie, il fut sauvegardé et consolidé par une armature à la suite d’une mobilisation citoyenne. Mais en août 2010, l’arbre était terrassé par une tempête, rompant son tronc à environ un mètre du sol.
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Des marrons de l’arbre originel avaient été prélevés dès 2005 pour permettre la culture de jeunes arbres à replanter à la mémoire de l’adolescente exterminée au camp de concentration de Bergen-Belsen en 1945. Dans le judaïsme, la plantation d’un arbre de vie est un acte symbolique fort, voire spirituel. Un premier se trouve au jardin Anne-Frank à Paris, un autre est planté en face de la mairie du IIIe arrondissement de Lyon, capitale de la Résistance. Le troisième arbre français a été bouturé en Haute-Corse la même année que la mort de l’arbre originel, en 2010. La bouture a été offerte au village par la Maison d’Anne Frank d’Amsterdam par l’entremise du chanteur du célèbre groupe corse I Muvrini et de l’association Imanu.
Depuis quelques années, à Pianello, un hommage lui est rendu lors de la traditionnelle journée « In Giru a l’Arburu » (Autour de l’Arbre), le premier dimanche d’août. Le foyer rural de Pianello présidé par Pascal Agostini et l’association Terra Eretz — Corsica Israël de Frédéric Joseph Bianchi s’associent pour programmer cet hommage, en collaboration avec la municipalité.
La Corse est le seul département français qui n’a ni arrêté ni déporté de juifs durant la Shoah. Souvent appelée l’« Île des Justes », même si l’association Yad Vashem ne l’a pas officiellement reconnue, les Corses sont considérés comme philosémites. Pourtant, de récents événements viennent s’attaquer à la légende de la Corse. Des croix gammées ont déjà été découvertes, dont des tags sur la façade de la synagogue de Bastia. Et des propos antisémites, même s’ils sont rares, sont parfois entendus.
Cette année, la cérémonie et les événements qui la ponctuent avaient lieu ce dimanche 2 août. À l’aube, le maire de la ville, élu aux dernières élections, a découvert que l’arbre avait été vandalisé. Émoi dans le village. Situé sur un terrain privé non loin de sa maison, Jean-François Paoli nous a déclaré qu’il fera « tout ce qui est en son pouvoir pour que cet acte et ses auteurs soient condamnés ».
L’écorce de la partie inférieure a été arrachée volontairement, empêchant la sève de circuler. Le ou les auteurs de cet acte odieux savaient que cet épluchage minutieux menacerait sa survie.
Les organisateurs de l’évènement — le foyer rural de Pianello et l’association Terra Eretz — ont décidé de ne pas l’annuler. Au contraire, il prenait une connotation très particulière cette année, car nombreux ont été les officiels corses à se déplacer pour dénoncer l’acte.
Le chanteur Michel Fugain avait fait spécialement le déplacement de l’île Rousse. Sa participation était attendue avant d’apprendre l’acte de vandalisme, mais, lors de l’hommage, le chanteur a prononcé quelques mots pour la justifier doublement : « Une fois de plus, je me trouve auprès d’une communauté que je connais bien. J’ai souvent dit que je suis le goy le plus Juif de Paris, même si je n’ai pas encore fait la preuve que j’étais vraiment Goy ! La preuve reste à venir… Mais je suis d’autant plus heureux d’être là qu’il vient de se passer quelque chose de grave. Je pense que c’est un drame, car au-delà de l’antisémitisme, j’aimerais exprimer très fortement à celui qui écoute peut être : je suis anti-imbécile parce que je crois que ce n’est pas autre chose que de l’imbécillité. Et je vous apporte le salut de la Valagne ! »
Pascal Agostini, co-organisateur, a quant à lui déclaré : « Le réveil a été brutal. Le village s’est réveillé bousculé. On a décidé de maintenir la journée. L’arbre d’Anne Frank est tout un symbole, celui de la lutte contre l’antisémitisme et toutes les discriminations, les violences et les actes de barbarie. Son message est universel. Depuis quatre ans, le village fait en sorte d’organiser cette journée pour véhiculer ce message et le partager. C’est aussi pour passer un bon moment. On va essayer de sauver notre bel arbre, de le soigner, et on va faire en sorte qu’on se réunisse encore l’année prochaine autour de lui. Je vous avoue qu’aujourd’hui, nous avons pris un sacré coup derrière la tête. »
Le maire du village, Jean-François Paoli, a réagi avec fermeté : « La bêtise humaine, la bêtise crasse n’est certes pas une découverte en soi. Mais c’est aujourd’hui notre petite communauté qui s’est faite en quelque sorte gardienne de cet arbre qui se trouve de façon inattendue touchée de plein fouet à travers ce marronnier écorché. Une main assassine ou pire encore, une main inconsciente s’est attaquée à ce qui est pour nous un symbole de la tolérance et de la tragédie passée. Il y a les 600 Juifs de Livourne que la Nation a fait venir en Corse pour relancer son commerce, plus tard la protection apportée par les nôtres pendant les heures sombres… Quoi qu’il en soit, nous ferons tout pour que cet arbre survive et que le souvenir universel d’Anne Frank se poursuive. Bien sûr, la mairie entamera les suites judiciaires que les circonstances imposent. La barbarie n’aura pas le dernier mot. »
Le sous-préfet de Corte, Ronan Leaustic, était également présent sur place. La fermeté et la justesse de ses mots ont condamné fermement la profanation : « C’est vraiment un travail d’orfèvre, on voit bien qu’on voulait faire à cet arbre ce qui lui est arrivé. Je dirais que la présence de l’État est encore plus nécessaire à cet instant. Je tenais à vous dire qu’on est à vos côtés, avec ceux qui luttent contre l’antisémitisme, le racisme et d’une manière générale la barbarie et le terrorisme, tout ce qui nous rassemble aujourd’hui. Nous nous devons cette transmission 77 ans après la Shoah. »
Moment d’émotion, la comédienne Elie Axas a conclu la première partie de la journée, qui avait débuté par un déjeuner sur la place du village, par la lecture d’extraits du Journal d’Anne Frank évoquant son marronnier.
Frédéric Joseph Bianchi, président de Terra Eretz, co-organisateur et animateur de la journée, n’a pas non plus mâché ses mots. Il commentait à l’issue de la cérémonie : « Ils l’ont ‘écorcé’ vif ! L’arbre d’Anne Frank a été profané par des mains abjectes. Enlever sur toute la longueur du tronc son écorce est une façon odieuse de l’amputer et de faire en sorte qu’il ne puisse plus recevoir sa sève. C’est un acte antisémite. Ces gens viennent se ranger du côté des bourreaux. Mais les conférences que nous avions organisées autour de l’arbre étaient là comme une réponse immédiate à ces misérables ! Notre journée autour de l’arbre d’Anne Frank fut un moment exceptionnel de partage et de réflexion. »
Depuis sa création en mars 2017, Terra Eretz tisse des liens entre la Corse et l’État d’Israël. Elle vise à une découverte mutuelle afin de multiplier les échanges de tout ordre — économiques, touristiques, culturels, intellectuels et même spirituels — entre deux territoires qui offrent de nombreux points communs dont le premier est l’attachement à la terre, le deuxième l’adhésion à une identité forte et la troisième la fierté d’en faire partie.
La seconde partie de la journée a également suscité l’engouement des villageois, des visiteurs et des adhérents de l’association. Environ quatre-vingt personnes étaient présentes, dont le nombre avait été limité en raison de la crise sanitaire. Le thème choisi cette année était « Parole de femmes ». Après la cérémonie, la partie conférence a ainsi débuté selon cette thématique.
L’auteure de ces lignes, historienne, a présenté la vie et l’œuvre d’une femme hors du commun, heurtée par la Shoah qui fut le fil directeur de sa pensée : l’intellectuelle juive Eliane Amado Lévy-Valensi (1919-2006). L’avocate Me Muriel Ouaknine-Melki a ensuite évoqué son rôle de défenseuse des dossiers actuels d’antisémitisme en France, dont celui de Sarah Halimi. La journée s’est conclue par un beau concert de chants en hébreu, yiddish et corse par la chanteuse Katerina Kovanji. Si la journée avait mal commencé, elle en a fait ressortir l’essentiel : la lutte contre l’antisémitisme et le partage.
Les suites judiciaires de l’affaire de vandalisme de l’arbre d’Anne Frank sont attendues. De trop rares réactions se sont fait entendre, dont celle du maire de Porto-Vecchio, Jean-Christophe Angelini, qui a notamment dénoncé cet acte « insupportable et détestable ».
La procureure de Bastia, Caroline Tharot, a annoncé lundi qu’une enquête pour dégradation volontaire d’un bien destiné à la décoration publique avait été ouverte. Le dossier a été confié à la gendarmerie. Interrogée sur le possible caractère antisémite de l’acte, la procureure a précisé qu’il « n’y avait aucune revendication et aucune inscription, juste la dégradation constatée d’une grande partie du tronc de l’arbre ».
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