Sarah Halimi : les prémices d’un procès qui n’aura peut-être pas lieu
Kobili Traoré avait prétendu que sa victime s'était suicidée au moment de l'arrivée de la police - une preuve de son discernement, affirme Muriel Ouaknine-Melki
L’état psychologique du meurtrier de la sexagénaire juive Sarah Halimi, au moment des faits, était au coeur des débats mercredi devant la cour d’appel de Paris, saisie de la question de son éventuelle irresponsabilité pénale, mais l’audience a aussi donné le ton d’un procès qui n’aura peut-être jamais lieu.
« Ce que j’ai commis, c’est horrible. Je regrette ce que j’ai fait et je présente mes excuses aux parties civiles », a conclu Kobili Traoré, 29 ans, après une audience émaillée de moments de tension.
Auparavant, avec des phrases courtes, il a relaté les heures précédant les faits, durant lesquelles il s’est senti « pourchassé par des démons », a vu un « exorciste » sur les conseils d’un ami et a consommé du cannabis.
Dans la nuit du 3 au 4 avril 2017 à Paris, il s’est introduit chez sa voisine de 65 ans Lucie Attal – aussi appelée Sarah Halimi – au troisième étage d’un immeuble HLM du quartier populaire de Belleville, après avoir traversé l’appartement d’une famille qui s’était barricadée dans une chambre.
Aux cris d' »Allah Akbar », entrecoupés d’insultes et de versets du coran, ce jeune musulman a rouée de coups la septuagénaire sur son balcon avant de la précipiter dans la cour.
Les voix discordent sur la suite à donner à une affaire qui a relancé le débat sur un antisémitisme dans certains quartiers populaires et fait réagir jusqu’au chef de l’Etat.
Parquet de Paris et parties civiles estiment qu’il doit être jugé aux assises pour avoir commis en conscience un crime à caractère antisémite. Le parquet général, s’il a retenu qu’il existe des charges suffisantes pour l’accuser d’un meurtre à caractère antisémite, relève aussi qu’il doit être déclaré irresponsable pénalement.
Après plus de deux années d’investigations, les juges d’instruction ont pour leur part considéré en juillet « plausible » l’abolition du discernement au moment des faits et n’ont pas retenu la circonstance aggravante de l’antisémitisme.
La querelle a essentiellement tourné mercredi autour des trois expertises ordonnées lors de l’information judiciaire, Kobili Traoré ayant reconnu au moment de l’enquête son implication dans la mort de Sarah Halimi.
Abolition ou altération du discernement
Toutes concordent pour dire que le suspect, consommateur régulier de drogue depuis son adolescence, a agi lors d’une « bouffée délirante » liée à une forte consommation de cannabis. Ces examens divergent cependant sur la question de l’abolition ou de l’altération de son discernement.
Premier expert à prendre la parole, le docteur Daniel Zagury a expliqué que cet homme est au moins partiellement responsable de son acte, pour avoir consommé délibérément de la drogue.
« Bien entendu qu’il n’a pas pris du cannabis pendant X années pour tuer Mme Halimi. Mais il s’est mis dans une situation où pouvaient se produire des faits tels que celui-ci », a-t-il souligné.
Ses confrères, Paul Bensoussan et Julien Guelfi, ont pour leur part fait valoir que son discernement était en revanche aboli et qu’il n’était pas acquis que Kobili Traoré ait eu notion du danger lié à la prise de stupéfiants.
« Est-ce que la prise volontaire d’une substance illicite, dangereuse pour la santé, vous permet d’être exonéré de votre responsabilité pénale ? », a ironisé Me Francis Szpiner, avocat des enfants de la sexagénaire.
Sa consoeur, Muriel Ouaknine-Melki, qui représente le frère de Mme Halimi, a pour sa part noté qu’en prétendant que sa victime s’était suicidée au moment de l’arrivée de la police, le suspect avait mis en avant « des éléments de stratégie qui sont la preuve qu’il a en conscience enfreint la loi ».
Me Thomas Bidnic, qui défend Kobili Traoré, a de son côté rejoint la position du parquet général sur la question de l’irresponsabilité pénale.
« Quand bien même il aurait eu un réflexe antisémite – et je n’en sais rien -, il y avait auparavant une bouffée délirante aiguë. Et en pareil cas, le discernement est aboli », a-t-il plaidé.
La décision de la cour d’appel sur la question de l’irresponsabilité pénale doit être rendue le 19 décembre.