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Sarah Halimi: Tensions durant l’entretien de la juge avec la Commission d’enquête

La Commission d'enquête parlementaire a été créée l'été dernier pour détecter d’éventuelles failles et erreurs dans l’enquête et l’instruction suite à la mort de Sarah Halimi

Un modèle de cartes postales envoyées à Emmanuel Macron réclamant justice pour Sarah Halimi. (Crédit : Consistoire israélite du Haut-Rhin)
Un modèle de cartes postales envoyées à Emmanuel Macron réclamant justice pour Sarah Halimi. (Crédit : Consistoire israélite du Haut-Rhin)

Anne Ihuellou, magistrate, vice-présidente de l’instruction dans l’affaire Sarah Halimi, du nom de cette femme juive tuée en 2017 à Paris, a été entendue mercredi dernier par la Commission d’enquête parlementaire créée pour détecter d’éventuelles failles et erreurs dans l’enquête et l’instruction.

« À titre personnel, je constate qu’il y a des zones d’ombre et des questionnements dans la manière dont cette enquête a été conduite ; c’est pourquoi votre audition sera d’une extrême importance », avait déclaré le député Meyer Habib, président de la Commission, au début de l’entretien, engageant un échange tendu durant plus de trois heures.

« Le dossier a été jugé, il est passé sous les fourches caudines de la Cour de cassation, son parcours judiciaire est donc terminé », lui a répondu la juge, a rapporté Le Point.

Elle a notamment été interrogée sur son refus d’organiser une reconstitution du crime. La magistrate a ainsi répondu que cette demande des parties civiles n’était pas forcément quelque chose de « systématique ».

« Rien n’est systématique, mais elle est plus que courante », a renchéri Meyer Habib, avant d’ajouter que celle-ci aurait « beaucoup aidé à éclaircir » le dossier.

La juge avait refusé de reconstituer l’affaire suite à une expertise du Docteur Zagury, qui estimait qu’il y avait un « risque de rechute délirante » de la part de Kobili Traoré.

« Un expert psychiatre dit ‘on peut la faire’ [la reconstitution] et vous, vous dites ‘on ne va pas la faire !’ », a regretté le député François Pupponi. « C’est difficile à organiser, une reconstitution. C’est un énorme travail ! », a répondu la magistrate, invoquant également sa « surcharge » de travail. « Ce dossier était prioritaire, mais ce n’était pas le seul, on a fait au mieux en fonction de nos moyens », a-t-elle déclaré.

Les députés Sandra Boëlle, Meyer Habib et Constance Le Grip de la Commission d’enquête sur les éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire Sarah Halimi. (Crédit : Twitter / Constance Le Grip)

Il lui a aussi été demandé pourquoi elle n’avait pas entendu les voisins et témoins qui, depuis leurs fenêtres, ont assisté à la mise à mort de la septuagénaire ; pourquoi il a fallu dix mois pour reconnaître le mobile antisémite du crime ; pourquoi les proches et les fréquentations de Traoré n’ont pas été mis sur écoute ; pourquoi l’endoctrinement islamiste de l’assassin a été mis de côté, écartant d’emblée la piste d’un acte terroriste ; pourquoi elle ne s’est jamais rendue sur les lieux… À ces questions, Mme Ihuellou a répondu en invoquant la règle de droit.

« Pardon, mais ce côté droit dans vos bottes est de nature à continuer à alimenter nos interrogations », lui a indiqué la députée Constance Le Grip de la Commission d’enquête.

« Je n’ai fait qu’appliquer les textes, comme j’en ai le devoir. Si vous estimez qu’il faut aller plus loin, il vous appartient de vous saisir du problème et de changer la loi », a répondu la juge à une autre députée, Camille Galliard-Minier, ancienne avocate, qui l’interrogeait sur son refus de recevoir les parties civiles. « Quitte à vous paraître familière, la charge du juge d’instruction ne lui permet pas de tenir salon dans son cabinet […]. Je le déplore, mais il ne peut recevoir tout le monde », avait-elle déjà expliqué auparavant.

À la question de Meyer Habib, « Pourquoi la piste d’un acte terroriste n’a-t-elle pas été explorée ni même envisagée par vous ? », elle a répondu : « Je me dois de vous rappeler les termes de ma saisine initiale qui résulte du réquisitoire introductif du Parquet : homicide volontaire, enlèvement et séquestration de la famille Diara [les voisins de Sarah Halimi, par le balcon duquel l’auteur est passé pour gagner l’appartement de Sarah Halimi]. Ni plus, ni moins. »

« N’avez-vous pas eu le sentiment que l’auteur ait pu être animé par un mobile terroriste ? », a insisté le député. « Le magistrat instructeur n’a pas de sentiment […]. Il suit une marche procédurale, c’est tout », a répondu la juge.

« L’émotion n’a pas sa place dans un cabinet. Si tout le monde se met à pleurer, l’instruction n’avance plus. Les faits sont effectivement atroces, mais il faut rester professionnel », a-t-elle ajouté peu après.

Kobili Traoré a hurlé « Allah Akbar » pendant le crime, récité des sourates et fréquenté la mosquée Omar, salafiste, située à proximité de l’immeuble de la victime, de façon assidue.

François Pupponi, à Pierrefitte-sur-Seine, le 12 février 2015. (Crédit : Chris93/CC SA 4.0)

Pourquoi ne s’est-elle pas rendue sur les lieux du crime ? « Cet acte ne nous a pas été demandé et ne nous a pas semblé utile à la manifestation de la vérité, les faits étant reconnus », a justifié la juge. « Eh bien nous, nous y sommes allés. Et on comprend vite les choses en se rendant sur place », lui a alors répondu François Pupponi.

« On a le sentiment – car nous, nous pouvons en avoir, des sentiments – que le fait que M. Traoré ait été pressenti dès le départ comme pénalement irresponsable vous a conduit à vous dispenser de certains actes, que vous auriez sans doute faits dans d’autres affaires du même type », a déclaré la députée Aurore Bergé. « Tout ce qui était utile, nous l’avons fait », a répondu la juge.

La question de la préméditation du crime a elle aussi été la source de tensions.

« On sait maintenant que Traoré s’est rendu la veille chez ses voisins, les Diarra, seul moyen pour lui d’accéder au balcon de Mme Halimi ; qu’il y a sans doute déposé des vêtements propres ; que la nuit des faits, il a fracturé la fenêtre de la victime avec un tournevis, après s’être changé et fait ses ablutions chez les Diarra… Qu’il a choisi le côté du balcon le plus haut pour y jeter Mme Halimi. Pourquoi n’avez-vous fait aucune recherche sur une éventuelle préméditation ? », a interrogé le député Sylvain Maillard.

« C’est une évidence, il y a eu préméditation ! Si vous vous étiez rendue sur place, vous vous en seriez rendu compte ! », a renchéri Meyer Habib.

« C’est un trouble mental, voilà ! On peut refaire l’histoire autant de fois qu’on veut, c’est ainsi », a soutenu la juge, avant de s’énerver, mettant fin à l’audition : « Vous refaites l’instruction, c’est interdit et contraire à la séparation des pouvoirs, je ne vous répondrai pas ! »

Anne Ihuellou a instruit l’affaire – en cosaisine avec sa collègue Laurence Lazerges – entre 2017 et 2019.

Elles avaient estimé, dans leur ordonnance du 12 juillet 2019, qu’il y avait des « raisons plausibles » de conclure à l’irresponsabilité pénale de Kobili Traoré. La Cour de cassation a rendu définitive en avril dernier cette irresponsabilité pénale.

L’assassin, qui ne sera jamais jugé, est aujourd’hui dans un service psychiatrique de la région parisienne, sous le régime de l’hospitalisation sous contrainte. Il a quitté il y a quelques mois l’Unité pour malades difficiles de Villejuif où il avait été placé après son interpellation.

La Commission d’enquête parlementaire doit encore poursuivre ses auditions, en interrogeant d’autres témoins, dont le procureur François Molins, le garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Son rapport est attendu pour mi-janvier.

Interviewé par Le Point, Meyer Habib, président de la Commission, est revenu sur ses emportements pendant certains entretiens. « C’est vrai qu’il peut m’arriver de m’emporter, mais que voulez-vous, j’ai mon style, je ne suis pas un mec calme, je suis un passionné, on a tous son ADN et cette affaire m’a bouleversé », a-t-il confié. « J’ai vu les photos du corps ; nous sommes allés, avec plusieurs membres de la commission, dans l’appartement de cette pauvre femme ; nous avons vu son lit encore défait, le sel encore posé sur la table de sa modeste salle à manger, le balcon par-dessus duquel elle a été jetée. Ça fait mal, vous savez… […] Sachant que Traoré n’était pas armé, j’y serais allé, moi, je n’aurais pas attendu une heure pour intervenir comme l’a fait la police. »

« Une femme, Française, a été massacrée chez elle parce que Juive, sous les yeux de ses voisins. La malheureuse a été défenestrée à 4h40, les policiers ne sont intervenus qu’à 5h35. La juge n’est pas allée sur place, il n’y a pas eu de reconstitution, aucune question sur la radicalisation de l’auteur, pas plus que sur la préméditation de son acte. Nada ! Et au bout du compte, une déclaration d’irresponsabilité. L’assassin ne sera jamais jugé. Et vous voudriez que je ne sois pas indigné ? »

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