Scandale NSO : Omer Barlev réclame de nouvelles lois sur les mises sur écoute
Il faut "des lois adaptées au 21e siècle", dit le ministre de la Sécurité intérieure ; une commission se penche sur l'usage par la police de Pegasus contre des Israéliens
Carrie Keller-Lynn est la correspondante politique et juridique du Times of Israël.

Le ministre de la Sécurité intérieure, Omer Barlev a donné pour instruction à son ministère, lundi, de réévaluer la supervision législative des mises sur écoute de la police et des méthodes utilisées lors des opérations de recherche suite à des révélations explosives portant sur l’utilisation par la police du puissant logiciel Pegasus, qui lui a permis d’accéder sans entrave aux téléphones de civils israéliens – notamment de citoyens qui n’étaient accusés d’aucun crime.
De nombreuses voix se sont élevées dans la société civile comme au Parlement, appelant à examiner ces révélations et à durcir le système de surveillance autour de l’usage, par les forces de l’ordre, de ce type de technologie.
« J’ai donné pour instruction aux instances législatives, au sein du ministère de la Sécurité intérieure, et aux personnels de mon bureau d’examiner les arrangements actuels et notamment les lois définissant les mises sur écoute, les lois sur les opérations de recherche et autres fouilles », a indiqué Barlev. « J’ai ordonné cela pour examiner la nécessité de procéder à certaines adaptations qui permettront de définir et de clarifier les limites de ce qui est autorisé et de ce qui est interdit dans l’utilisation de technologies de pointe à des fins policières. Si nécessaire, mon ministère formulera un nouveau projet de loi en coordination avec le ministère de la Justice », a-t-il continué.
Barlev a expliqué la raison de ses instructions en qualifiant de « dépassées » les lois actuellement mises en œuvre, ajoutant qu’elles n’étaient pas adaptées aux capacités technologiques actuelles.
« Les législations existantes qui traitent des mises sur écoute et des opérations de recherche dans le cadre des missions policières sont dépassées », a dit Barlev. « Ce qui justifie d’examiner la nécessité de réactualiser les règles actuelles au regard du développement technologique auquel nous avons assisté, ces dernières années, pour mieux adapter la législation aux défis du 21e siècle ».
La police a affirmé de manière répétée n’avoir utilisé des technologies de surveillance que dans le cadre d’ordonnances judiciaires et dans le respect des règles de supervision, tout en ne niant pas avoir eu recours au logiciel-espion du NSO Group.

Le quotidien économique en hébreu Calcalist, qui avait le premier révélé que la police avait pu utiliser le logiciel Pegasus pour espionner des civils, a affirmé que les forces de l’ordre l’avaient employé hors du cadre judiciaire. D’autres médias, comme Haaretz, ont déclaré que certains juges en charge de délivrer les ordonnances nécessaires de mise sur écoute à la police n’avaient pas toujours pleinement connaissance des outils utilisés dans ce contexte.
La commission de la Sécurité publique de la Knesset s’est aussi réunie lundi pour débattre des accusations lancées contre la police et des dénonciations de son usage de Pegasus.
La présidente de la commission, la députée Meirav Ben-Ari (Yesh Atid), ainsi que l’ancien chef des enquêtes de police, Yoav Segalovitz (Yesh Atid), ont mis en garde contre des conclusions qui seraient tirées trop rapidement.
« En une semaine [depuis la révélation de l’affaire dans les médias], nous nous sommes empressés d’appeler à la création d’une commission d’enquête. Prenons une seconde pour examiner les choses », a dit Ben-Ari.
« Il y a une différence entre une accusation, une conclusion et le passage à l’acte [pour s’attaquer à l’accusation initiale] », a estimé Segalovitz de son côté.
L’ancien dirigeant de l’unité des enquêtes de la police israélienne a indiqué que jusqu’à présent, les lois existantes avaient été suffisantes pour couvrir les actions de la police – même s’il n’a pas écarté les bénéfices que pourrait apporter une remise à jour de la législation.
« La loi actuelle convient aux missions actuelles », a-t-il ajouté.
Ben-Ari, de son côté, prévoit d’organiser une session à huis-clos avec des représentants de la police pour mieux comprendre « le processus suivi par cette dernière pour obtenir une ordonnance du tribunal ».

Toutefois, plusieurs experts invités par la commission ont affirmé que la série de lois aujourd’hui applicables en matière de mises sur écoute n’autorisait pas la police à se livrer à certaines des activités dont elle est accusée. Si la loi permet aux forces de l’ordre d’obtenir une ordonnance judiciaire pour écouter secrètement les conversations et pour lire les messages transmis entre deux téléphones, les lois interdisent par ailleurs un examen plus poussé d’un appareil, à moins que la personne soupçonnée en ait connaissance et que le téléphone ait été donné physiquement aux agents.
Haim Wismonsky, directeur de l’unité cyber au bureau du procureur de l’État, a précisé que selon la loi actuelle, la police « n’a pas le pouvoir d’entrer dans un téléphone et de saisir toutes les données qu’il contient, de manière secrète… Les fouilles secrètes ne sont pas couvertes par la loi ». Il a ajouté que la police devait impérativement obtenir au préalable une ordonnance auprès du tribunal pour procéder à une opération de recherche.
Tehilla Shwartz Altshuler, experte à l’Institut israélien de la Démocratie, a souligné qu’il « n’y a pas d’autorisation qui figure dans la loi ». Elle a expliqué que le procureur-général avait parfois interprété la loi pour faire le lien entre la Loi sur les mises sur écoute de 1979, aujourd’hui dépassée, et les capacités technologiques d’aujourd’hui – un procédé qui est commun.
« Jusqu’à ce que les choses soient légiférées, il est interdit d’utiliser ces technologies », a dit Shwartz Altshuler.
Lundi également, la commission Intérieure de la Knesset a voté en faveur du rétablissement d’une commission conjointe, inscrite dans la loi, qui serait chargée de recevoir des informations concernant l’utilisation des mises sur écoute par les responsables de la sécurité. Cette commission sera constituée de six membres et elle sera présidée par le député Eitan Ginzburg (Kakhol lavan).
Cette commission conjointe sera formée conformément avec la Loi sur les mises sur écoute de 1979, qui exige de la part du Premier ministre ou du ministre de la Défense de présenter un rapport annuel à une commission conjointe, impliquant les commissions de la Constitution et des Affaires étrangères et de la Défense, sur « le nombre de permis émis » en termes de mises sur écoute, sur la base des intérêts sécuritaires de l’État.
Même si le mandat de la commission se concentre actuellement sur les limites de la supervision telles qu’elles ont été définies par la loi de 1979 – avec la réception de rapports annuels – ses pouvoirs pourraient être élargis au vu du nouveau scandale qui a éclaboussé la police et Pegasus. « Mais actuellement, l’élargissement de ce mandat qui permettrait d’enquêter sur ces accusations n’est pas envisagé », a affirmé une source proche du dossier.