Syrie : les rebelles islamistes vont publier une liste de tortionnaires du régime Assad
Ahmed al-Sharaa déclare que des récompenses seront offertes à ceux qui dénonceront les hauts responsables de l'armée et des services de sécurité impliqués dans des crimes
Le chef des rebelles islamistes syriens a promis mardi de poursuivre les anciens hauts responsables du gouvernement responsables de tortures et de crimes de guerre, un jour après avoir entamé des pourparlers sur le transfert du pouvoir à la suite de l’éviction du président Bashar al-Assad.
Assad a fui la Syrie lorsque l’alliance de l’opposition dirigée par les islamistes s’est emparée de la capitale, Damas, mettant ainsi un terme spectaculaire, dimanche, à plus de cinq décennies du règne brutal de son clan.
Il a supervisé la répression d’un mouvement démocratique qui a éclaté en 2011, déclenchant une guerre qui a fait au moins 500 000 morts et contraint la moitié du pays à fuir ses foyers, des millions d’entre eux trouvant refuge à l’étranger.
Les rebelles qui ont pris le contrôle du gouvernement en Syrie vont publier une liste « des plus hauts responsables impliqués dans des tortures contre le peuple », a annoncé mardi leur commandant, Abou Mohammad al-Jolani.
« Nous allons annoncer une liste numéro un qui comprend les noms des plus hauts responsables impliqués dans les tortures contre le peuple syrien », a écrit sur sa chaîne Telegram officielle le chef rebelle, qui depuis quelques jours se fait également appeler par son vrai nom, Ahmed al-Sharaa.
« Nous offrirons des récompenses à quiconque fournira des informations sur les hauts responsables de l’armée et de la sécurité impliqués dans des crimes de guerre », a-t-il promis.
« Nous poursuivrons les criminels de guerre et demanderons qu’ils soient remis par les pays où ils se sont enfuis afin qu’ils puissent recevoir leur juste châtiment », a-t-il également affirmé, alors que des médias libanais indiquent que plusieurs anciens responsables du gouvernement du président déchu Bashar al-Assad se sont réfugiés à Beyrouth, sous la protection du mouvement terroriste chiite Hezbollah, un des principaux soutiens d’Assad.
« Nous nous sommes engagés à nous montrer tolérants à l’égard de ceux dont les mains ne sont pas tachées du sang du peuple syrien, et nous avons accordé l’amnistie à ceux qui étaient astreints au service obligatoire », a également écrit le commandant rebelle.
Les rebelles dirigés par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS) ont pris le pouvoir dimanche, chassant l’ancien président Bashar al-Assad, dont la famille a dirigé la Syrie d’une main de fer pendant plus de cinq décennies.
L’enfer des prisons syriennes
Au cœur du système de gouvernement qu’Assad a hérité de son père Hafez se trouvait un complexe brutal de prisons et de centres de détention utilisés pour éliminer toute dissidence de la part des personnes soupçonnées de s’écarter de la ligne du parti Baas au pouvoir.
Dès la chute d’Assad, rebelles et civils se sont dépêchés de libérer les détenus, notamment ceux de la tristement célèbre prison Sednaya, symbole des atrocités perpétrées par les anciennes autorités. Des rebelles ont par ailleurs déclaré à l’AFP avoir trouvé lundi une quarantaine de cadavres portant des traces de torture dans la morgue d’un hôpital près de Damas.
Les secouristes du groupe syrien des Casques blancs avaient auparavant indiqué qu’ils recherchaient d’éventuelles portes secrètes ou des sous-sols à Sednaya.
« J’ai couru comme une folle » pour atteindre la prison, a déclaré Aida Taha, 65 ans, à la recherche de son frère arrêté en 2012.
« Mais j’ai découvert que certains prisonniers se trouvaient encore dans les sous-sols. Il y a trois ou quatre étages sous terre ».
Des foules de prisonniers libérés déambulent dans les rues de Damas et se distinguent par les marques de leur calvaire : mutilés par la torture, affaiblis par la maladie et émaciés par la faim.
« Nous renaissons »
Lundi, dans le centre de Damas, malgré l’incertitude quant à l’avenir, la joie était palpable.
« C’est indescriptible. Nous n’avons jamais pensé que ce cauchemar prendrait fin. Nous renaissons », a déclaré à l’AFP Rim Ramadan, 49 ans, fonctionnaire au ministère des Finances.
« Pendant 55 ans, nous avons eu peur de parler, même à la maison. Nous avions l’habitude de dire que les murs avaient des oreilles », a ajouté Ramadan, alors que les gens klaxonnaient et que les rebelles tiraient en l’air avec leurs armes.
Le parlement syrien, anciennement pro-Assad comme le Premier ministre, a déclaré qu’il soutenait « la volonté du peuple de construire une nouvelle Syrie vers un avenir meilleur gouverné par la loi et la justice ».
Le parti Baas a déclaré qu’il soutiendrait « une phase de transition en Syrie visant à défendre l’unité du pays ».
Le logo de la télévision d’État syrienne sur l’application de messagerie Telegram affiche désormais le drapeau des rebelles.
Au cours de l’offensive lancée le 27 novembre, les rebelles ont rencontré peu de résistance lorsqu’ils ont arraché ville après ville au contrôle d’Assad, ouvrant au passage les portes des prisons et libérant des milliers de personnes, dont beaucoup étaient détenues pour des motifs politiques.
Certains, comme Fadwa Mahmoud, dont le mari et le fils ont disparu, ont lancé des appels à l’aide sur les réseaux sociaux.
« Où êtes-vous, Maher et Abdel Aziz ? Il est temps que j’entende vos nouvelles. Mon Dieu, revenez, s’il vous plaît », a écrit Mahmoud, elle-même ancienne détenue.
Issue de la branche syrienne d’Al-Qaïda, le HTS est considéré par les gouvernements occidentaux comme groupe terroriste, mais il a cherché à adoucir son image au cours des dernières années.
L’Allemagne et la France ont déclaré dans un communiqué qu’elles étaient prêtes à coopérer avec les nouveaux dirigeants syriens « sur la base des droits de l’homme fondamentaux et de la protection des minorités ethniques et religieuses ».
Le Premier ministre britannique Keir Starmer, en Arabie saoudite lundi, a déclaré que le HTS devait rejeter « le terrorisme et la violence » avant que la Grande-Bretagne ne puisse s’engager avec le groupe désigné comme terroriste par Londres.
Le plus haut diplomate de Washington, Antony Blinken, a déclaré que les États-Unis – qui ont des centaines de soldats en Syrie dans le cadre d’une coalition contre les djihadistes du groupe État islamique – sont déterminés à empêcher l’EI de rétablir des refuges.
« Nous avons clairement intérêt à faire ce que nous pouvons pour éviter la fragmentation de la Syrie, les migrations de masse depuis la Syrie et, bien sûr, l’exportation du terrorisme et de l’extrémisme », a déclaré M. Blinken.