Théophile III dénonce les « militants pro-implantations radicaux israéliens »
Le patriarche de l'église grecque-orthodoxe à Jérusalem signale que le rachat par des Juifs de deux bâtiments de la Vieille Ville met en péril la population chrétienne entière
Le Patriarche de Jérusalem de l’église grecque orthodoxe, Théophile III, estime que les « militants pro-implantations radicaux israéliens » menacent de déséquilibrer le statu-quo religieux et la présence même de la vie chrétienne en Terre sainte.
Dans une lettre ouverte publiée dimanche par le Guardian, au Royaume-Uni, alors que les chrétiens orthodoxes viennent de fêter Noël conformément à leur calendrier, Théophile a déclaré que Jérusalem n’appartient à aucun individu ni à aucun groupe mais que la ville doit être plutôt partagée par tous, tout en indiquant qu’une tutelle chrétienne et musulmane conjointe est à la base d’un statu-quo pacifique.
« L’une des menaces les plus importantes pour les chrétiens en Terre sainte est l’activité inacceptable des groupes pro-implantations radicaux qui tentent de prendre le contrôle des biens aux alentours de la porte de Jaffa », a écrit Théophile, évoquant deux hôtels de la Vieille Ville de Jérusalem qui ont été achetés en 2004 par l’organisation pro-implantation Ateret Cohanim.
« Si ces groupes devaient se saisir de ces propriétés, ils seraient alors en mesure de poursuivre leur campagne agressive visant à éliminer les non-Juifs de la ville et de ces centres stratégiques qui se trouvent au coeur du quartier chrétien, menaçant par là même la présence des chrétiens en Terre sainte », a-t-il ajouté.
Israël ne considère pas les Juifs qui vivent à Jérusalem comme des habitants d’implantation. L’Etat juif a capturé Jérusalem-Est en 1967, puis l’a annexé, considérant toute la municipalité comme sa capitale, une initiative qui n’est pas reconnue par une grande partie de la communauté internationale.
Au mois d’août, Théophile lui-même avait dénoncé le jugement d’un tribunal israélien qui avait confirmé des accords passés avant sa nomination entre l’église et Ateret Cohanim concernant la vente de deux hôtels de la Vieille Ville – le New Imperial et le Petra. Ces accords souscrits en 2004 prévoyaient un bail de 99 ans sur ces biens immobiliers situés à proximité de la porte de Jaffa.
Les transactions avec des Juifs sur les biens immobiliers suscitent la colère du côté Palestinien. Ces derniers considèrent Jérusalem-Est, dont la Vieille Ville fait partie, comme la capitale de leur futur état.
L’église a poursuivi devant le tribunal Ateret Cohanim, clamant que les accords avaient été illégalement signés et sans son autorisation.
L’église grecque-orthodoxe est l’église chrétienne la plus importante et la plus riche en Israël.
Son patriarcat de Jérusalem est à la tête de richesses considérables, essentiellement en terrains, en Israël, en Cisjordanie et en Jordanie.
Devant faire face à des dizaines de millions de dollars de dettes, le patriarcat grec-orthodoxe est parvenu à trouver des liquidités en vendant ou en louant des parcelles de terrain à un certain nombre d’entreprises étrangères toutes dirigées par des investisseurs juifs, avaient indiqué de hauts-responsables de l’église récemment au Times of Israel.
L’exode des chrétiens est en cours depuis des décennies, les difficultés économiques et le conflit israélo-palestinien ayant amené ces derniers à tenter de trouver de meilleures opportunités à l’étranger.
Le nombre de chrétiens en Terre sainte a chuté de plus de 10 % de la population à la veille de la fondation d’Israël à 2 % à 3 % aujourd’hui, selon l’église catholique romaine locale.
Ce déclin a commencé avec l’immigration forte des Juifs et l’émigration des chrétiens après la guerre de 1948 qui avait entouré la création d’Israël. Il s’est accentué via une émigration continue et un faible taux de natalité chez les chrétiens encore présents au sein de l’Etat juif.
Les restrictions israéliennes en Cisjordanie ont également décidé les chrétiens à partir, tout comme les difficultés économiques et la corruption dans les zones palestiniennes ainsi que les exemples d’extrémisme islamique, en particulier dans la bande de Gaza, placée sous le contrôle du Hamas.
Cette baisse de la population chrétienne a surtout concerné les zones palestiniennes. Environ 38 000 chrétiens palestiniens vivent en Cisjordanie, 2 000 à Gaza et 10 000 à Jérusalem, selon l’église catholique romaine locale.
Israël a 130 000 chrétiens arabes. Il y a également presque 200 000 chrétiens non-natifs au sein de l’Etat juif, notamment des chrétiens ayant quitté l’ex-Union soviétique en raison de liens familiaux avec des Juifs mais aussi des travailleurs immigrés et des migrants africains.
Si le ministère des Affaires étrangères a fait savoir qu’il n’avait pas de commentaires à faire sur les propos du patriarche de Jérusalem, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a pour sa part souvent salué Israël comme étant le seul pays de la région qui assure les droits de tous les groupes religieux.
L’article de Théophile survient après le changement de la politique américaine effectué par le président Donald Trump, qui a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël. Dans sa lettre ouverte, le patriarche a écrit « qu’avec les menaces planant sur le statu-quo politique, il y a également une menace qui concerne le statu-quo religieux, instiguée par les militants pro-implantation radicaux à Jérusalem et aux alentours – au coeur du christianisme ».
Rappelant 2 000 années d’histoire des chrétiens en terre sainte, Théophile a noté que ces derniers « ont survécu à d’innombrables invasions et ont prospéré sous de nombreuses formes différentes de gouvernement ».
« Notre survie a dépendu du principe que les lieux saints doivent être partagés et accessibles à tous », a-t-il précisé.
Un accord entre chrétiens et musulmans pour le partage de la tutelle sur les lieux saints avait été trouvé après l’invasion de Jérusalem par le calife Omar ibn al-Khattab en 637, a-t-il établi.
Il s’agissait « d’un contrat qui avait ouvert la voie à une ère de paix. Ce contrat avait été basé sur un protocole de tutelle partagée sur les lieux saints ».
Théophile a également fait part de son inquiétude face à un projet de loi de la Knesset qui confisquerait les terres vendues en Israël par le patriarcat à des investisseurs privés, considérant cette initiative comme une tentative inacceptable de la part de l’Etat d’intervenir dans le droit de l’église à gérer librement ses propres biens immobiliers. Le patriarche s’est récemment rendu au Royaume-Uni pour prôner son opposition à cette législation, rencontrant des personnalités de l’église, des ministres du gouvernement et le prince Charles.
C’est la députée Rachel Azaria du parti Koulanou qui est à l’origine de ce texte après qu’il a été révélé pendant l’été que l’église avait vendu à des hommes d’affaires anonymes des terres dans le centre de Jérusalem, sur lesquelles 1 500 maisons ont été construites sur la base d’un bail.
Théophile a également subi les vives critiques des Palestiniens suite à la vente de terrains à des Israéliens.
A Bethléem, samedi, des manifestants se sont jetés sur la voiture du patriarche alors que ce dernier arrivait pour les fêtes de Noël à l’église de la Nativité.
L’église a élu Théophile en 2005 après avoir rejeté son prédécesseur Irineos en raison d’une vente présumée de terres de l’église à des acheteurs juifs pour plusieurs millions de dollars. Il est le chef spirituel d’environ 220 000 chrétiens, majoritairement arabes, en Jordanie, en Israël, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.