Torturé par l’AP car il luttait contre le terrorisme, un Palestinien trouve justice en Israël
Walid, ancien agent du Shin Bet, est l’un des 52 hommes qui ont gagné un procès sans précédent après les tortures atroces subies en Cisjordanie. Il raconte l’histoire cauchemardesque de sa détention
Walid déteste la nuit. Elle est solitaire, et terrifiante par son silence. Trapu, âgé d’une cinquantaine d’années et le crâne rasé, Walid, même quand il raconte ses tortures, parvient à placer quelques blagues avec un sourire. Il serait certainement le blagueur dans un groupe d’amis, mais il n’a pas d’ami.
Walid dort avec la télévision allumée pour empêcher les souvenirs douloureux de l’assaillir. Il laisse toujours la fenêtre ouverte, même en plein hiver, parce qu’il ne peut pas supporter les espaces confinés. Il se réveille souvent au milieu de la nuit après des cauchemars, parfois avec les draps trempés. Il veut désespérément avoir des enfants, mais il ne peut pas. Pas depuis que les interrogateurs de l’Autorité palestinienne (AP) ont détruit ses organes sexuels.
Pendant les années 1990, Walid, dont le nom et certains détails biographiques ont été omis ou modifiés dans cet article pour sa sécurité, a travaillé pour le Shin Bet, le service de sécurité interne d’Israël. Il a été voir lui-même le Shin Bet. Il disait être « fier » d’aider à empêcher des attentats suicides palestiniens contre des civils israéliens, et en même temps, il gagnait de l’argent pour ses études universitaires. Pendant l’interview, il parlait en hébreu, disant qu’il ne voulait plus parler arabe, ni même entendre la langue qui lui a apporté tant de douleurs.
Avec 51 autres « collaborateurs » prétendus qui ont été arrêtés et torturés par l’AP de Yasser Arafat dans les années 1990 et au début des années 2000, Walid s’est tourné vers la justice israélienne. Après 14 ans de procédure, dans une décision sans précédent, la cour du district de Jérusalem a jugé le 17 juillet l’AP coupable de torture, et a ordonné qu’elle dédommage les plaignants.

Les victimes de torture doivent attendre une deuxième décision de la cour pour connaître la somme que devra leur verser l’AP, mais chacun des plaignants devrait recevoir plusieurs millions de shekels, et le coût total des dédommagements devrait atteindre des centaines de millions de shekels. L’argent viendra probablement des taxes qu’Israël collecte pour l’AP et transfère tous les mois à Ramallah.
Deux familles demandent des dommages et intérêts pour la mort de leurs proches. Dans l’un des cas, un agent du Shin Bet a été condamné à mort par l’AP et abattu. Dans l’autre, la sœur d’un agent du Shin Bet a été amenée par ses interrogateurs pour faire pression sur lui, et elle a été tuée dans la prison.
Parmi les 52 plaignants, beaucoup ont été arrêtés par les forces de l’AP sur le territoire israélien, principalement à Jérusalem Est, et/ou ont la nationalité israélienne. Ce sont les deux raisons pour lesquelles la cour a estimé qu’elle était compétente pour juger le dossier, même si les tortures ont eu lieu sur des territoires contrôlés par l’AP.
Certains, comme Walid, n’ont pas la nationalité israélienne et ont été arrêtés en Cisjordanie. Néanmoins, la cour a estimé qu’elle était compétente pour leurs cas parce que l’AP n’avait pas le droit d’arrêter ces hommes, chargés par l’Etat d’Israël d’empêcher des attaques terroristes, un objectif que l’AP doit soutenir, selon les accords qu’elle a signés avec Israël.
La décision de 1 800 pages de la cour, écrite par le juge Moshe Drori, fait état des détails des tortures. Elle a conclu que leurs histoires, qui font froid dans le dos, ont été confirmées par des témoins, les cicatrices sur leurs corps, et les témoignages de psychologues.
Les victimes sont représentées par le cabinet de Barak Kedem, Aryeh Arbus, Netanel Rom et David Zur. Kedem, dans un entretien avec le Times of Israël, a décrit certains des pires cas de tortures présentés pendant le procès.
Pendant des jours et des jours, les prisonniers étaient pendus par les pieds. Après avoir perdu conscience, ils étaient remis à l’endroit le temps de revenir à eux. Ensuite, le processus était répété, a-t-il dit.
Une autre méthode de torture était de transférer des prisonniers entre des bains chauds et froids. Beaucoup ont eu des dents arrachées avec des tenailles, d’autres se sont fait arracher les ongles. Nombre d’entre eux ont passé des semaines de suite dans un petit placard en métal, dans lequel il leur était impossible de bouger.
Un homme a été placé dans un baril de métal et laissé dehors pendant cinq heures sous le soleil brûlant du mois d’août. Quand ils l’ont sorti, les hommes de l’AP ont aspergé sa peau pleine de cloques avec du sel.
Walid lui-même a raconté que la pire méthode de torture était de forcer les prisonniers à s’asseoir sur une bouteille de verre brisée, qui leur déchirait l’intérieur de leur postérieur.
Même si les prisonniers étaient placés dans différentes prisons dans toute la Cisjordanie, beaucoup ont décrit les mêmes méthodes de torture.
Kedem explique que cela montre que ces méthodes « ont été ordonnées par le sommet, et n’ont pas été laissées à la discrétion des interrogateurs individuels. » Dans sa décision, le juge Drori a jugé cet argument valable.
Les prisonniers détenus par l’AP n’ont jamais été présentés à un juge.
Quelques prisonniers, qui auraient été d’anciens agents du Shin Bet, ont été tués pendant qu’ils étaient en prison. (Ils étaient représentés par leurs parents pendant le procès.)
Walid a dit avoir été témoin de plus d’une exécution.
« Mieux vaut prendre une balle dans la tête »
Pendant son entretien avec le Times of Israël, Walid a décrit son processus d’interrogatoire, en trois étapes.
D’abord, il y a eu les coups. Un sac qui sentait comme s’il avait été « placé pendant 10 ans dans une poubelle » a été posé sur sa tête, pour qu’il ne sache pas d’où viendraient les coups. Ceci a duré un mois.
Au cours de la deuxième étape, une piscine a été remplie d’eau salée, et du verre brisé se trouvait sur le fond. Ils mettaient tout son corps dans la piscine, et le laissaient là toute la nuit. Le matin, ils le mettaient au soleil. « Avec la chaleur du soleil et le sel, c’est comme si tout votre corps devenait du verre », explique-t-il.

Le dernière étape était la pire, et c’est à ce moment qu’il a craqué. Ils l’ont affamé. Ils l’ont brûlé. Ses bras, des années après, ne sont toujours qu’une immense cicatrice.
Et c’est là que Walid a été menacé de la torture de la bouteille de verre brisée, c’est là qu’il a abandonné et avoué qu’il travaillait pour le Shin Bet. « Mieux vaut prendre une balle dans la tête que de mourir sur la bouteille », affirme-t-il.
Walid dit qu’il a avoué tout ce que ses bourreaux lui demandaient d’avouer, même des délits mineurs.
Il dit avoir signé des pages blanches, que les interrogateurs ont ensuite remplies avec le texte détaillant ses prétendus crimes.
Après son aveu, il a été transféré dans une prison normale. Là-bas, il a été étiqueté comme « collaborateur » en étant totalement rasé, ce qui a fait de lui une cible pour les maltraitances. « Vous devez servir tout le monde », a-t-il dit.
Cela a duré pendant des années. Dehors, « personne ne savait si j’étais mort ou vivant. »
La famille de Walid a finalement appris qu’il avait été emprisonné et a pu corrompre ses geôliers avec des centaines de milliers de shekels pour le faire sortir. C’était sa première arrestation.
L’AP a réussi à le retrouver et l’a arrêté de nombreuses fois.

Une fois, il s’est échappé en Israël. Quelque temps après, il a été à nouveau arrêté et cette fois, il n’a pas été libéré avant que les tanks israéliens ne roulent sur la Cisjordanie en 2002, dans le cadre de l’opération Rempart, une importante offensive militaire israélienne pour réprimer l’infrastructure des attentats suicides des groupes terroristes palestiniens.
La plupart des agents du Shin Bet qui ont ensuite porté plainte ont été libérés par les troupes israéliennes pendant cette opération.
Selon Kedem, 20 Palestiniens ont abandonné les procédures légales de crainte des représailles de l’AP. Sur ces 20 personnes, neuf sont revenues une fois qu’il est apparu qu’ils pouvaient gagner.
« Dieu fait de bonnes personnes, pour qu’elles puissent souffrir »
Quand Walid s’est échappé en Israël la première fois, il avait trouvé une femme.
Mais quand il est revenu en Israël en 2002, de nouvelles tortures l’avaient rendu incapable d’avoir des relations sexuelles. Il dit que sa femme a divorcé parce qu’ils ne pouvaient pas avoir d’enfant ensemble. « Ça m’a détruit », a-t-il dit.
Physiquement, son corps était tellement abîmé qu’il ne pouvait pas travailler. De toute façon, dit Walid, il n’avait aucune volonté de travailler sans famille ni proches.
Walid a finalement trouvé un jeune homme prêt à l’embaucher, même s’il ne pouvait pas travailler plus de quelques heures par jour.
Walid explique que sa propriétaire de Tel Aviv, âgée de 70 ans, a eu pitié de lui et l’a adopté comme son fils. Tous les jours, elle lui apporte le petit-déjeuner et le dîner.
« Il y a de bonnes personnes dans ce monde », dit-il. Il s’arrête, puis poursuit, « et il y a de mauvaises personnes. »
« Les bonnes personnes n’ont aucune chance dans cette vie. Dieu les a créées uniquement pour qu’elles puissent souffrir », ajoute Walid, qui dit qu’il croit toujours en Dieu, mais qu’il n’est plus pratiquant.
Une fois libéré en 2002, Walid a été obsédé par l’idée de se venger de tout ce qui était lié à l’AP. Mais il n’avait aucun moyen de mettre en œuvre une telle vengeance.
Aujourd’hui, dit-il, il a abandonné son désir de revanche. Il est fier de mettre du temps à s’énerver. Malgré son travail pour le Shin Bet, il dit avoir été abandonné par l’organisation, et n’a pas pu contacter son responsable quand il est arrivé en Israël en 2002. Totalement ignoré par l’agence, il a dormi dans les rues.
Aujourd’hui, il possède un permis de résidence en Israël, qu’il doit renouveler tous les six mois et qui ne lui permet pas de travailler. Il lui est aussi interdi, pour des raisons qu’il ne comprend pas, de se rendre à Eilat, ville touristique du sud du pays. Il utilise une fausse carte d’identité palestinienne pour compléter ses documents israéliens. Il n’a pas d’assurance santé.
Mais Walid fait toujours confiance à l’avenir. Il n’est pas tombé dans les drogues ou le crime comme d’autres qui ont vécu les mêmes souffrances. « Je suis l’un des chanceux », dit-il.
Et en effet, avec l’argent du procès, il espère pouvoir se faire opérer pour, un jour, être capable de faire des enfants.
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