Israël en guerre - Jour 347

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Analyse

Un accord sur les otages mettrait en péril, mais pas hors d’atteinte, le renversement du Hamas

Un consensus national sur l'importance de la reprise des combats après un long cessez-le-feu serait déterminant pour supporter les pressions internationales intenses - et celles de Biden - en faveur de la fin de la guerre

Lazar Berman

Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Des Israéliennes demandent un accord de libération immédiate des otages détenus dans la bande de Gaza lors d'une manifestation à Tel Aviv, le 1er février 2024. (Crédit : AP Photo/Oded Balilty)
Des Israéliennes demandent un accord de libération immédiate des otages détenus dans la bande de Gaza lors d'une manifestation à Tel Aviv, le 1er février 2024. (Crédit : AP Photo/Oded Balilty)

Mercredi dernier, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a rencontré, à son bureau de Jérusalem, les familles des otages détenus par le Hamas. Elles ont poussé le Premier ministre à faire du retour de leurs êtres chers la priorité absolue de la guerre à Gaza. Une demande qui a été refusée.

Le cri de ralliement des manifestants et de tous ceux qui défendent avec ardeur la cause des otages exprime la même requête : « Ramenez-les à la maison MAINTENANT ! », insistent-ils.

De son côté – et comme il le fait depuis le 7 octobre – Netanyahu continue à dire, sans ambiguïté, qu’Israël ne cessera pas ses combats avant d’avoir atteint les deux objectifs principaux que s’est fixé l’État juif dans le cadre de cette guerre, à savoir détruire les capacités militaires et de gouvernance du Hamas à Gaza et garantir la remise en liberté des otages (il a ensuite établi un troisième objectif : s’assurer que la bande de Gaza ne sera plus jamais utilisée comme plateforme de lancement pour des attaques terroristes visant Israël).

Netanyahu affirme régulièrement qu’il y a une synergie entre ces différents objectifs, que seule une campagne militaire sans merci exercera suffisamment de pressions sur le Hamas pour que ce dernier accepte de libérer les otages et que seule une offensive incessante sera susceptible d’anéantir le groupe terroriste.

Mais de nombreuses familles de captifs estiment qu’alors que 120 jours se sont écoulés depuis l’enlèvement de leurs proches et que des informations viennent fréquemment confirmer la mort d’un nombre croissant d’otages retenus en captivité, la guerre pourrait, en définitive, être plus nuisible qu’utile et que surtout, surtout, le temps est compté.

Aujourd’hui, le cadre d’un accord potentiel qui permettrait aux otages de recouvrer la liberté est à nouveau sur la table – même s’il reste loin d’être conclu. Il prévoit un arrêt de l’opération menée par l’armée israélienne à Gaza pendant une période prolongée, peut-être même pendant des mois, dans le but de garantir un retour des captifs chez eux, sains et saufs.

Si Israël doit envisager de compromettre l’un des objectifs de la guerre pour pouvoir atteindre l’autre, alors il faut se poser certaines questions : les buts poursuivis dans le cadre de cette guerre sont-ils complémentaires ou s’excluent-ils mutuellement ? Devons-nous réellement faire un choix entre un impératif moral – l’impératif de ramener plus de cent otages qui seraient encore en vie avec parmi eux, des enfants et des personnes âgées – et une responsabilité également déterminante de l’État qui se doit de ne pas mettre des milliers de citoyens de plus en péril en leur faisant courir le risque de connaître un sort similaire à celui des captifs à l’avenir ?

Le temps – un ami et un ennemi

Au début de l’offensive terroriste, lorsque l’effort de guerre israélien battait son plein, la description des objectifs poursuivis par la guerre, telle qu’ils étaient présentés par Netanyahu, était précise.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu dirigeant une réunion hebdomadaire du cabinet à la base de la Kirya, à Tel Aviv, le 24 décembre 2023. (Crédit : Ohad Zwigenberg/AP Photo/Pool)

Ainsi, disait-il, seule la pression militaire sans relâche – le seul levier efficace mis à la disposition d’Israël – avait poussé le chef du Hamas, Yahya Sinwar, à accepter de remettre en liberté 105 otages, à la fin du mois de novembre, en échange d’une trêve d’une semaine qui avait permis à son organisation de souffler et de se redéployer.

Toutefois, plus de deux mois plus tard, la situation est différente. Le Hamas demande une fin du conflit dans une bande de Gaza où le groupe terroriste serait encore au pouvoir, ce qui signifierait, dans les faits, accorder la victoire au même groupe terroriste qui a commis un massacre et semé la désolation dans le sud d’Israël, le 7 octobre. Un retour au statu-quo qui serait aussi perçu par un grand nombre d’Israéliens et par d’autres comme une défaite catastrophique, ce type de défaite susceptible d’ébranler toutes les certitudes sur la survie à long-terme d’Israël.

« Le Hamas est désireux de négocier mais il semble que le seul moyen de faire revenir tous les otages est de mettre un terme à la guerre », dit Raphael Cohen, chercheur en sciences politiques au sein de la RAND Corporation, un groupe de réflexion qui consacre ses activités à la politique internationale. « A ce stade, il semble que vous ne pourrez pas avoir les deux ».

Yahya Sinwar, chef du Hamas à Gaza, salue ses partisans lors d’une réunion avec les dirigeants des factions palestiniennes dans son bureau de la ville de Gaza, le 13 avril 2022. (Crédit : AP Photo/Adel Hana, File)

Il y a seulement deux semaines, quatre généraux dont l’identité n’a pas été révélée ont confié au New York Times que « les objectifs de libération des otages et de destruction du Hamas sont dorénavant incompatibles et ils s’excluent mutuellement ».

Même si le Hamas accepte, en fin de compte, un accord sans avoir la certitude d’un arrêt définitif de la guerre, un accord qui n’envisagerait qu’un long cessez-le-feu, Israël prendrait toutefois le risque d’une trêve temporaire se transformant en une cessation permanente du conflit. Il y a également le rôle différent que tient le facteur temps dans ces deux objectifs de guerre.

L’armée jouit des avantages logistiques et de la réserve de main-d’œuvre que seule une nation est en mesure d’offrir. Israël peut faire durer son opération pendant de nombreux mois (même s’il y a des complications sociales et logistiques importantes qui pourraient survenir si les réservistes étaient amenés à rester longtemps éloignés de leur foyer et de leur travail). Mais du côté du Hamas, le nombre de combattants ne cessera de diminuer sous les coups portés par l’armée et le seul réapprovisionnement de la bande de Gaza consistera en ces aides humanitaires que le monde fait parvenir jusqu’au sud de l’enclave côtière. Plus Israël pourra maintenir la pression longtemps, plus le pays aura l’avantage.

Mais pour les otages retenus en captivité dans la bande de Gaza, le temps n’est pas un allié.

« Alors que l’objectif de renverser le Hamas est complexe et qu’il exige de la patience, la fenêtre d’opportunité en matière de temps est beaucoup plus réduite pour tous ceux qui ont été enlevés », affirme Meir Ben-Shabbat, ancien conseiller à la sécurité nationale de Netanyahu et président du Misgav Institute for National Security & Zionist Strategy, un groupe de réflexion.

De gauche à droite : les otages Karina Ariev, Daniella Gilboa et Doron Steinbrecher dans une vidéo de propagande du Hamas publié le 26 janvier 2024. (Capture d’écran : Telegram)

« Plus un otage reste en captivité, moins il a de chance de survivre à cette dernière, » met en garde John Spencer, responsable du département d’Études de guérilla urbaine au sein du Modern War Institute de la prestigieuse académie militaire américaine de West Point.

Ces otages n’ont quasiment aucune chance d’être remis en liberté autrement que par le biais d’un accord avec le Hamas. Même si la réussite de l’Opération Entebbe, en 1976, avait créé un précédent qui laissait espérer que l’armée serait en mesure de sauver les otages au cours d’un raid ingénieux, l’expérience semble avoir apporté la preuve du contraire. La vaste majorité des opérations lancées pour sauver les otages échouent, comme c’est également le cas aujourd’hui à Gaza. Seule une captive, Ori Megidish, a été secourue avec succès. D’autres initiatives lancées à Gaza ont coûté la vie à des soldats israéliens – et elles peuvent aussi avoir été fatales aux otages que l’on cherchait à sortir des griffes de leurs ravisseurs.

Gadi Eizenkot, ministre du cabinet de guerre et ancien chef d’état-major de l’armée israélienne, n’a pas dit autre chose, le mois dernier, lorsqu’il a expliqué au cours d’un entretien télévisé qu’une opération audacieuse de sauvetage « n’arrivera pas ».

Les dangers d’un cessez-le-feu

Le Hamas pourrait bien être ouvert à un accord qui permettrait à tous les otages d’être remis en liberté en échange d’un cessez-le-feu qui durerait plusieurs mois – mais une telle éventualité ne pourra se concrétiser que si les dirigeants de l’organisation terroriste pensent qu’une longue pause pourra se transformer en arrêt permanent du conflit, garantissant ainsi leur survie et celle du groupe.

Les membres de la famille Abu Jarad, qui ont été déplacés par les bombardements israéliens sur la bande de Gaza, faisant du pain dans un camp de tentes improvisé dans la région de Muwasi, au sud de Gaza, le 1er janvier 2024. (Crédit : Fatima Shbair/AP Photo)

Une telle possibilité ne semble pas être outrageusement extravagante.

Après la mort de milliers de civils à Gaza – il n’y a aucune raison d’accorder trop de fiabilité aux chiffres qui ont été avancés par le ministère de la Santé du Hamas mais le bilan est incontestablement lourd – même les amis d’Israël, dans le monde, feront tout ce qui est en leur pouvoir pour s’assurer que les combats ne reprendront pas.

« Si on arrête la guerre pendant deux mois, les pressions diplomatiques vont se renforcer », explique Cohen. « Si vous avez fait durer un cessez-le-feu si longtemps, pourquoi ne pas mettre en œuvre un cessez-le-feu indéfiniment ? »

Le président américain Joe Biden, qui a fait preuve de fermeté dans son soutien apporté à Israël dans le cadre de cette guerre, prendrait probablement les devants. Face à des élections à la présidence qui s’avèrent difficiles pour lui, les progressistes et les Américains d’origine arabe dénonçant son soutien à la campagne israélienne, Biden pourrait vouloir faire en sorte que la problématique de cette guerre soit définitivement derrière lui à la fin de l’année 2023. Il ne souhaite très certainement pas la voir davantage traîner en longueur.

Une manifestante appelle à un cessez-le-feu à Gaza alors que le président américain Joe Biden prend la parole lors d’un rassemblement de campagne pour rétablir la jurisprudence Roe, au Hylton Performing Arts Center de Manassas, en Virginie, le 23 janvier 2024. (Crédit : Saul Loeb / AFP)

Shibley Telhami, expert du Moyen-Orient au sein de l’université du Maryland, explique : « Si on parle d’un cessez-le-feu – disons qu’il durera entre six semaines et deux mois – nous voilà à la fin du mois de mars, une période où la campagne électorale sera déjà profondément engagée ».

« Le président espère sans doute que s’il y a un cessez-le-feu, cette période pourra être utilisée pour mettre un terme définitif à la guerre et pour qu’elle ne reprenne pas », continue-t-il. « Et c’est là d’où viendront les pressions ».

Une possibilité qui n’est pas une simple hypothèse. Cette semaine, le Wall Street Journal a signalé que « les négociateurs américains exercent des pressions en faveur d’un accord de cessez-le-feu qui arrêterait la guerre à Gaza pendant suffisamment de temps pour bloquer l’élan militaire d’Israël, ce qui ouvrirait potentiellement la porte à une trêve plus durable ».

Ils estiment « qu’il sera difficile pour Israël de relancer la guerre avec la même intensité que maintenant à l’issue d’une longue pause », a précisé le journal.

À gauche, le directeur de la CIA William Burns, s’exprimant au siège de la CIA à Langley, le 8 juillet 2022 ; à droite, le directeur du Mossad David Barnea, s’exprimant lors d’une conférence à Tel Aviv, le 10 septembre 2023. (Crédits : Susan Walsh/AP ; Avshalom Sassoni/Flash90 – Montage : The Times of Israel)

Un cessez-le-feu entraînerait d’autres problèmes tactiques graves pour l’État juif.

La majorité des bataillons du Hamas se sont fracturés sous les coups portés par l’armée israélienne, devenant de plus petites cellules, et un grand nombre de commandants de bataillon ont été tués. Le Hamas pourrait utiliser le temps gagné pour reconstruire ses unités et pour transférer des armes et des approvisionnements aux forces qui ont été isolées par les combats sur le terrain.

« Cela permettrait au Hamas de former, une nouvelle fois, un commandement opérationnel et de reprendre le contrôle », dit Cohen. « Il nommerait de nouveaux commandants de bataillon ; il réformerait les unités qui ont subi de lourdes pertes ; les blessés auraient le temps de guérir pour revenir sur le champ de bataille ».

Le Hamas a, semble-t-il, placé le leadership israélien en charge de la guerre face à un dilemme : rapatrier les otages et reprendre la guerre plus tard ou devoir affronter les implications morales et politiques que représenterait l’abandon à une mort certaine de plus de cent Israéliens, dans des tunnels obscurs, un abandon consenti au nom de l’objectif aléatoire de détruire une organisation terroriste qui bénéficie d’un large soutien à Gaza.

Consensus et victoire

Mais peut-être le dilemme n’est-il pas aussi terrible que ce qu’il paraît être de prime abord.

« Il y a une crispation ici », admet Spencer, « mais je ne constate aucune crispation dans les objectifs stratégiques de la guerre ».

Il indique ne voir « aucune autre alternative stratégique » à la nécessité de rapatrier aussi rapidement que possible le plus grand nombre d’otages avant de continuer la guerre contre le Hamas.

Une colonne de fumée s’élève au-dessus de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, pendant des frappes israéliennes, vue depuis Rafah, le 23 janvier 2024. (Crédit : AFP)

Danielle Pletka, chercheuse au sein de l’American Enterprise Institute de Washington, croit fermement qu’Israël pourra reprendre son offensive, même après une longue pause.

« Israël a une autonomie énorme en termes d’action et ainsi, bien sûr que la guerre pourra reprendre même après une longue pause visant à résoudre le problème des otages », dit-elle.

De plus, il est possible que le Hamas fasse quelque chose à la fin d’un potentiel cessez-le-feu – tirer un barrage de roquettes ou tenter de tendre une embuscade aux soldats israéliens pour démontrer que le groupe conserve sa force – quelque chose qui donnera à Israël la légitimité nécessaire pour reprendre les combats.

« Est-ce qu’il y aura un prix à payer ? », interroge Pletka. « C’est certain. Mais s’il y a un consensus, en Israël, sur le fait qu’il s’agit d’une question existentielle, alors le prix à payer sera supportable ».

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu tient une réunion du cabinet à Chorazim, dans le nord du pays, le 23 janvier 2024. (Crédit : Haim Zach/GPO)

Jusqu’à présent, la société israélienne fracturée s’est exprimé d’une seule voix sur l’importance d’atteindre les deux objectifs poursuivis dans le conflit par Netanyahu. Mais, alors que les Israéliens ont l’impression que les responsables en charge de la guerre sont amenés à prendre des décisions en anticipant d’éventuelles élections et alors que certains manifestants cherchent à transformer les mouvements de protestation en faveur des otages en rassemblements anti-Netanyahu, des fissures font leur apparition dans cette union.

Les dirigeants israéliens, et le Premier ministre en tête, rendront la poursuite des objectifs de la guerre plus probable s’il se montrent plus directs et plus ouverts à l’égard du public : un accord sur les otages implique des risques significatifs et il rendra plus difficile la campagne militaire. C’est un message que les Israéliens peuvent entendre.

De plus, résister aux pressions internationales qui, c’est une certitude, se renforceront en faveur d’un cessez-le-feu permanent sera plus facile quand il sera clairement établi que la décision de relancer les combats n’entre pas dans le cadre d’une manipulation politique mais qu’elle est le seul moyen de préserver les intérêts sécuritaires déterminants de l’État juif – une décision qui, donc, pourra remporter l’aval des Israéliens de tout le spectre politique.

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