Un an après, Tsahal tire les leçons de la guerre de Gaza pour se préparer à la prochaine
Israël a analysé le virement de bord du Hamas, afin de mieux se préparer à un futur conflit apparemment inévitable
Israël a fait face à l’été 2014 à un ennemi qui avait changé.
Cinq ans après son dernier grand conflit dans la bande de Gaza et deux ans après une campagne aérienne qui a pris le Hamas à l’improviste, Israël a affronté en juillet un Hamas qui utilisait encore des civils comme boucliers humains, qui cherchait encore à tirer des roquettes sporadiques, et qui croyait encore que tant qu’il poursuivait la lutte, malgré la destruction sur son territoire, il pouvait crier victoire.
Mais l’ennemi auquel Israël a fait face lors de l’opération Bordure protectrice était différent de celui de l’opération Plomb Durci des années 2008-2009.
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Cet ennemi avait envoyé le 8 juillet un commando naval audacieux en Israël, qui a pris fin par une fusillade opérée en face-à-face.
Bien que les escadrons du Hamas aient été identifiés et ont essuyé une puissance de feu écrasante, une vidéo de l’armée qui a fuité a révélé plusieurs mois après la guerre que les hommes armés du Hamas avaient placé un engin explosif sur un char israélien sur la plage de Zikim. Cela, a noté le commandant de l’armée israélienne, n’était « pas quelque chose que les gens font s’ils ne sont pas courageux. »
Cet ennemi a également changé sa doctrine de guerre souterraine, passant de la simple protection contre la puissance de feu aérienne d’Israël à des tunnels offensifs, et restructuré ses communications, qui ont bien résisté à l’épreuve de la guerre de 50 jours puisque le Hamas est parvenu, malgré une formidable capacité cybernétique d’Israël, à garder la plupart de ses commandants sains et saufs et à maintenir ouverts les canaux de communication.
Un an après la guerre, l’armée tente toujours de comprendre quelles leçons elle peut glaner des événements de l’été dernier, alors qu’elle se prépare pour la prochaine guerre – une éventualité horrible, mais incontournable.
Depuis la leçon à moins compter sur la puissance aérienne et à se concentrer davantage sur la lutte contre les souterrains, jusqu’à parvenir à une fin de partie claire, les experts en politique et les dirigeants espèrent que les expériences de la dernière guerre d’Israël avec le Hamas se répercuteront dans l’inévitable suivante.
https://youtu.be/bhRukJPA7ic
Durée de la guerre
Pendant des années, depuis l’invasion israélienne du Liban en 1982 qui a culminé avec l’expulsion de Yasser Arafat et de l’OLP vers Tunis, les ennemis non-étatiques d’Israël ont adhéré à la doctrine de la « victoire par la non-défaite. » En d’autres termes : continuez les tirs de roquettes et assurez-vous que vous n’êtes pas acculé et expulsé et vous pouvez déclarer victoire. Ce fut le cas au Liban en 2006 et à Gaza en 2009.
Une partie de la logique était l’hypothèse selon laquelle les citoyens d’Israël sont des bons vivants délicats qui feront pression sur leur gouvernement pour faire des concessions afin d’arrêter le feu. Cela n’a pas marché cet été. Au contraire, le Hamas a vu que plus la guerre durait, plus il perdait des positions.
Le lieutenant-colonel N, un officier du renseignement militaire de Tsahal, a écrit en 2014 un article très pertinent [en hébreu] dans Maarachot, le magazine trimestriel du ministère de la Défense dans lequel il affirme que le Hezbollah a « changé la nature de la confrontation qu’il recherche » – privilégiant désormais l’action et l’initiative offensives plutôt que des attaques réactives.
Il en est peut-être de même du Hamas. Il ne dispose certes pas des nombreux outils offensifs que le Hezbollah a acquis, mais la grande attaque par tunnel qui a été déjouée au début de la guerre est le signe d’un changement de doctrine, a déclaré le colonel (de reserve) et député Omer Bar-Lev, un ancien commandant de l’unité de commando Sayeret Matkal et membre de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset.
Prenant note de la façon dont le Dôme de fer et les systèmes d’alerte d’Israël avaient reduit une grande partie la menace ballistique du Hamas, il a estimé qu’ « il se pourrait certainement [que le Hamas est] au milieu d’un changement stratégique et opérationnel. »
L’ancien conseiller pour la sécurité nationale et chercheur au Centre BESA de l’Université Bar Ilan BESA le général (de réserve) Yaakov Amidror est du même avis, affirmant que « sans aucun doute » la capacité d’Israël à endurer les tirs de roquettes et à mener une vie relativement normale pendant que le Hamas subissait des pertes peut avoir changé la doctrine de la guerre de l’organisation.
Les implications de ce changement sont considérables. Israël, par exemple, devra prendre en compte une offensive du Hamas qui visera à pousser les combats à l’intérieur d’Israël avant qu’Israël n’ait tellement de temps de faire entrer des troupes dans la bande de Gaza.
Les guerres de tunnel
En termes de tactique des combats à Gaza, les leçons les plus criantes concernent le domaine souterrain.
Le général (de réserve) Doron Almog, ancien commandant de la région Sud et fondateur du village de réhabilitation Aleh Negev pour enfants handicapés, a dit qu’il pense que la combinaison des roquettes tirées depuis le sous-sol et de combattants se cachant et opérant depuis des souterrains est une formule qui va durer pour les années à venir et se propagera probablement à d’autres conflits, où des forces équipées d’armes pour la plupart primitives sont confrontées à des puissances aériennes redoutables.
Il apparaît donc clairement qu’Israël doit – et est en train de le faire – renforcer tous les éléments de la lutte contre la menace souterraine.
En matière de détection, le général Nimrod Sheffer, en charge de la planification stratégique de l’armée israélienne, a indiqué à la Conférence de Herzliya en juin qu’Israël « allait fissurer » la menace des tunnels grâce à la technologie et, de façon un peu énigmatique, que la technologie était déjà « entre nos mains. »
« Vraisemblablement, donc, comme pour la menace des roquettes, Israël va offrir une solution aussi vite et fort que possible. »
Une fois qu’un tunnel est trouvé, il doit être examiné. L’armée n’a pas été « préparée de manière optimale, pour employer un euphémisme, » pour cette tâche, affirme Bar-Lev.
Depuis la guerre, l’armée israélienne a modernisé et élargi l’unité Yahalom, la force d’élite du corps du génie militaire, y compris sa branche Samur, les seules troupes exclusivement formées aux conflits souterrains. Le commandant de Yahalom est, depuis janvier, un colonel, comme le commandant de Sayeret Matkal et des Commandos marins, ce qui signifie que l’unité a augmenté en termes de troupes et de fonds.
En outre, l’armée a fait un effort pour introduire plus de robots, et plus sophistiqués, qui peuvent être introduits dans les tunnels, documentant les forces ennemies, et détectant les explosifs. Elle a également construit des terrains d’entraînement en forme de tunnels – au-dessus du sol – sur chacune des bases de formation des brigades d’infanterie.
Enfin, la destruction d’un tunnel est laborieuse. Le matériel de forage doit être introduit et plusieurs centaines de kilos d’explosifs doivent être insérés sur toute sa longueur.
Un commandant reserviste des blindés a affirmé que les outils avec lesquels Israël avait détruit des tunnels étaient, jusqu’à la guerre, d’une capacité « boutique » – ce qui signifie qu’il y en avait trop peu. Face à 32 tunnels d’attaques le long, et parfois à travers, la frontière d’Israël, les troupes ont souvent atteint la zone, cherché les ouvertures du tunnel, puis ont attendu, dans des positions précaires, l’arrivée d’engins lourds. « Il y avait certainement plus de demande que d’offre, » a-t-il dit.
Des moyens créatifs pour détruire les tunnels, d’une manière qui n’expose pas les troupes aux sentinelles du Hamas, seront certainement nécessaires dans un futur conflit.
Les forces spéciales nécessaires
Pendant la guerre, l’armée israélienne a essuyé une attaque en règle pour son manque de créativité : elle avait ouvert avec une offensive aérienne et poursuivi avec les troupes au sol, qui se sont déplacées dans la bande de Gaza le long d’un itinéraire prévisible.
L’armée a affirmé pour sa défense que les objectifs de la mission – détruire les tunnels transfrontaliers et restaurer le status quo – avaient déterminé sa nature.
Amidror le confirme, en disant qu’il n’y avait toujours eu que deux options à Gaza : une opération limitée, comme celle qui a été menée, ou une guerre comme celle du Liban en 1982, où Israël aurait à combattre maison par maison et, plus tard, maintenir un territoire pendant des années.
Bar-Lev et le général (de réserve) Uzi Dayan, ancien conseiller à la sécurité nationale, ont suggéré une solution intermédiaire.
Dayan estime que le Hamas peut être battu « s’il fait face à une menace existentielle ». Cette pression peut venir par une des deux façons : Soit en éliminant beaucoup de ses dirigeants, soit en le dépouillant de son territoire. L’expulsion de l’OLP du Liban, a-t-il dit, est ce qui a conduit à Oslo. « Vous devez viser la tête de la pieuvre et pas ses tentacules, » a-t-il résumé.
Cela pourrait se produire, a-t-il ajouté, en introduisant des troupes au sol plus rapidement. Bar-Lev, également, a déclaré qu’Israël devrait chercher à deséquilibrer le Hamas la prochaine fois et que la seule façon de le faire était d’atteindre « les centres nerveux » de l’organisation, principalement « au sol » – par l’envoi de grandes équipes, armées de renseignements fiables, en profondeur dans la bande de Gaza à un moment opportun.
Cette notion opérationnelle a reçu un soutien implicite cette semaine, quand l’armée israélienne a annoncé lundi qu’elle avait créé une nouvelle brigade de forces spéciales, réunissant les unités Maglan, Egoz, Duvdevan, et Rimon. Les quatre unités, fusionnées sous le commandement du colonel David Zini et dans le cadre de la division 98 des parachutistes, sont la preuve d’un changement opérationnel, dans lequel les forces spéciales peuvent agir en tandem, dans une grande offensive, et non plus seulement dans la poursuite d’identifier les cibles.
Les combattants à la couleur d’argent
L’aviation israélienne est de loin la branche la plus impressionnante des forces armées. Elle dispose d’un budget énorme. Elle obtient le premier choix de chaque projet. Elle a le pourcentage le plus élevé de militaires de carrière. Et elle a une histoire d’excellence. Et pourtant, affirment certains, elle n’est pas un facteur offensif décisif dans les guerres asymétriques d’aujourd’hui.
La première guerre de ce type, entre une puissance moderne, l’Italie, et une armée de guérilla, les Bédouins de la Libye moderne, a commencé en 1911 et a duré 17 ans, a rappelé l’historien militaire le Professeur Martin van Creveld lors d’une récente conférence. En fin de compte, elle a été tranchée par la présence de 250 000 fantassins italiens sur le terrain, a-t-il dit, « et rien n’a changé depuis. »
Au Vietnam, les Etats-Unis ont perdu 11 000 avions et ont perdu la guerre. Il en a été de même pour la France lors de la guerre d’Algérie, a-t-il ajouté.
Pour le montrer, Van Creveld prend son point à l’extrême. L’armée de l’air israélienne est un outil essentiel, mais face à un ennemi souterrain et imbriqué parmi les civils, les militaires, comme cela a été fait sous le lieutenant-général Gadi Eisenkot, doit mettre l’accent sur la guerre terrestre intégrée, avec l’infanterie, l’aviation, la marine, et les blindés opérant de concert, et il faut débarrasser les dirigeants d’Israël de la notion qui a prévalu après-Kosovo, où l’OTAN, en 1999, a mené une guerre aérienne de 78 jours qui semblait prouver, pendant un bref moment, que les guerres pourraient être gagnées sans bottes sur le terrain.
Israël, qui a attendu 10 jours à partir du début de la guerre de l’été dernier jusqu’à l’entrée des troupes au sol, semblait espérer que l’affaire serait réglée d’en haut.
Le cabinet de sécurité devrait plutôt aborder un futur conflit avec la compréhension que, comme le général (à la retraite) Emmanuel Sakal, un ancien chef du corps des blindés, m’a confié il y a quelques années, que la victoire ne vient que sous une seule forme : un fantassin haletant à côté du canon chaud d’un tank.
Dénouement
Enfin, en dehors de la nécessité de déplacer de manière préventive des civils hors de la ligne de front, afin d’éviter les pertes en vies humaines et une capitulation ostensible au feu terroriste, il y a la question de la fin de la partie.
Bar-Lev, qui dirige une sous-commmission sur la préparation de Tsahal à la guerre, a été été très critique dans sa critique des objectifs de la campagne de 2014.
La notion de lutter pendant 50 jours, pour retourner précisément au statu quo qui a régné pendant la dernière décennie, a-t-il dit, était « décevante », et peut-être une erreur historique dans laquelle la direction israélienne n’a pas réussi à tirer parti d’un scénario dans lequel le Hamas avait été isolé et Israël était sur la même longueur d’onde que les Etats sunnites modérés vis-à-vis de l’Iran et avec l’Egypte du président Abdel Fattah al-Sissi en concurrence avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan pour la suprématie sur le monde sunnite.
Tout comme la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, a-t-il dit, citant le général et théoricien militaire prussien Carl von Clausewitz, « la diplomatie est aussi la continuation de la guerre. »
Le ministre de la Défense Moshe Yaalon croit certes en des intérêts communs avec le monde sunnite, mais estime que la lutte contre les terroristes islamistes durera plusieurs générations ; la gymnastique diplomatique, réalisée afin de résoudre le problème dans le présent, va seulement le perpétuer.
En d’autres termes, pour lui, la fin de partie consiste à montrer, par votre sérénité, que vous êtes tout à fait disposé à la faire à nouveau.
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