Israël en guerre - Jour 397

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Interview

Un ex-joueur de NBA à Israël : « Faites confiance aux Palestiniens, pas à Erdogan »

Quelques mois après "l’affaire chinoise" qui lui a coûté sa place, Enes Kanter Freedom, élevé en Turquie, prône la coexistence dans des camps de vacances dédiés au basket ball

Carrie Keller-Lynn est la correspondante politique et juridique du Times of Israël.

Enes Kanter Freedom anime un camp de basket-ball au YMCA de Jérusalem, le 31 juillet 2022. (Crédit : SoulShop Studios)
Enes Kanter Freedom anime un camp de basket-ball au YMCA de Jérusalem, le 31 juillet 2022. (Crédit : SoulShop Studios)

Enes Kanter Freedom n’est pas du genre à se fixer de petits objectifs. Venus en Israël animer des camps interconfessionnels de basket-ball pour enfants, l’ex-joueur musulman de la NBA se dit là pour « apporter la paix ».

C’est un défi de taille – plus grand même que le centre de 2,08m – mais qui ne semble pas effrayer cet homme élevé en Turquie, et qui, depuis une dizaine d’années, se présente à la fois comme joueur de basket-ball professionnel et militant des droits de l’homme.

« Je suis ici pour apporter la paix au Moyen-Orient », a déclaré Freedom, 30 ans, au Times of Israel en juillet dernier depuis Jérusalem, vêtu d’un t-shirt prônant la coexistence.

« Je sais que ce n’est pas rien, mais il faut y croire. »

Le joueur se trouve en Israël pour la semaine, le temps d’animer des camps de basket-ball pour enfants israéliens et palestiniens, histoire de faire vivre la coexistence.

Recruté en 2011 par les Jazz de l’Utah (NBA), Freedom a joué pour cinq équipes différentes ces onze dernières années. Ses prises de positions et propos politiques en dehors du terrain ont souvent attiré davantage l’attention que son jeu.

En février, sa carrière s’arrête suite à ses propos critiques envers la Chine et ses violations des droits de l’homme. Il est lâché par son équipe, ce qu’il attribue à la dénonciation d’un pays qui est une source importante de revenus pour la ligue.

Aujourd’hui libre de tout engagement, il n’aurait pas encore reçu d’offre d’une autre équipe.

L’opinion de Freedom sur les relations israélo-palestiniennes est à la fois moins personnelle et moins forte que celle concernant la Turquie, la Chine ou les États-Unis. Il dit souhaiter utiliser sa notoriété et le basket-ball pour promouvoir la coexistence. Il se garde de donner son avis sur les relations israélo-palestiniennes, sujet sur lequel il s’estime encore en cours d’apprentissage, si ce n’est l’espoir que le conflit se termine.

« De toute évidence, il y a beaucoup de conflits et questions politiques ouverts. Mais ce qui me brise le cœur, c’est qu’en fin de compte, des deux côtés, du côté palestinien comme du côté israélien, des innocents sont blessés… C’est le plus important, pour moi », explique Freedom.

Le troisième jour de son séjour, le basketteur a évoqué avec le Times of Israel son travail en faveur des droits de l’homme en Israël, les liens de la NBA avec la Chine et invité les dirigeants israéliens à la plus grande prudence envers la Turquie.

Comme d’autres athlètes qui se sont rendus en Israël avant lui pour promouvoir la coexistence des jeunes, Freedom s’est gardé de prendre position sur le conflit, ce qui était loin d’être acquis de la part de quelqu’un qui a perdu sa citoyenneté et, pense-t-il, son emploi aussi pour la vigueur de son activisme.

« Quoi que je dise, je ne sais pas si cela va changer quoi que ce soit chez les dirigeants », relève-t-il.

Sa priorité va aux enfants juifs, musulmans et chrétiens âgés de 10 à 15 ans qui participent à ses camps de basket-ball, d’une durée de deux semaines, et qui ont commencé la semaine passée à Jérusalem, Haïfa et dans le centre d’Israël.

« Je me suis dit : je vais organiser un camp de basket-ball où Juifs et Palestiniens joueront ensemble. Nous nous ferons des passes les uns aux autres, nous marquerons, nous apprendrons à partager le ballon, gagner ensemble, nous battre ensemble », explique Freedom à propos de sa philosophie, qu’il espère faire prospérer à travers sa nouvelle fondation éponyme, la Enes Kanter Freedom Foundation.

Pour l’heure, c’est l’organisation juive américaine Bnai Zion qui donne corps et vie à sa vision des choses.

Enes Kanter Freedom anime un camp de basket-ball au YMCA de Jérusalem, le 31 juillet 2022. (Crédit : SoulShop Studios)

Plus tôt ce jour-là, il dit avoir vu une Palestinienne, initialement réticente à l’idée de participer au camp « pour des raisons évidentes » – le conflit –, tendre la main à son coéquipier juif après avoir marqué sur une bonne passe.

« Elle a marqué et ils ont fait un high-five. C’est alors que je me suis dit : ‘Ça y est, le futur sera différent’ », s’émeut Freedom.

Enthousiasmé par son expérience, Freedom a déclaré avoir évoqué avec un adjoint au maire de Jérusalem l’organisation de camps tout au long de l’année. L’idée fait son chemin.

Méfiant envers le réchauffement des relations entre Israël et la Turquie

Freedom est musulman pratiquant et a été élevé en Turquie, scolarisé dans des établissements affiliés à l’érudit islamique en exil Fethullah Gülen. L’athlète s’est rapproché de Gülen depuis leur rencontre, en 2013, ce qui lui a valu l’inimitié du président turc Recep Tayyip Erdogan, qu’il n’hésite pas à qualifier de « dictateur ».

Après des années de tensions entre Freedom et Erdogan, la Turquie a retiré le passeport turc du joueur en 2017, faisant de lui un apatride jusqu’à ce qu’il obtienne la citoyenneté américaine, en 2021. Il précise avoir ajouté « Freedom [Liberte] » à son nom de famille en hommage à la valeur promue par le pays qui lui a accordé la citoyenneté.

Enes Kanter Freedom à Jérusalem, le 31 juillet 2022. (Crédit : Carrie Keller-Lynn/The Times of Israel)

Son déplacement en Israël intervient au moment où s’améliorent les relations, jusqu’alors glaciales, d’Israël avec la Turquie. Freedom estime qu’Israël devrait se méfier d’Erdogan, qui l’a personnellement pris pour cible, lui et sa famille, aujourd’hui séparés.

« On ne peut pas faire confiance à un dictateur. Voilà pourquoi je dis au gouvernement israélien, ne faites pas confiance à ce dictateur », conseille Freedom.

Erdogan a considérablement renforcé ses pouvoirs de président, fonction qu’il occupe depuis 2014. Et avant d’accéder à la présidence, il avait été Premier ministre pendant 11 ans.

Freedom milite en faveur de la démocratie en Turquie, et bien qu’il pense qu’Israël et la Turquie devraient rétablir leurs relations, il doute de la sincérité des intentions turques.

Le président Isaac Herzog à gauche, et le président turc Recep Tayyip Erdoğan au complexe présidentiel d’Ankara le 9 mars 2022. (Crédit : Haim Zach/GPO)

« Je crois qu’ils devraient [améliorer la qualité de leurs relations], mais ce sera impossible tant qu’Erdogan sera au pouvoir », assure Freedom.

Il estime que les apparentes bonnes dispositions d’Erdogan envers Israël sont un stratagème politique à l’approche des élections turques de 2023.

« Il va utiliser cette amitié pour les élections, et une fois qu’il aura gagné, il trahira Israël et l’Amérique », prophétise Freedom, considérant également que le discours anti-Israël et anti-américain pourrait être instrumentalisé en vue des élections.

Erdogan a longtemps attisé le sentiment anti-israélien et anti-américain lorsque cela lui était politiquement utile, et Freedom lui reproche d’exacerber l’antisémitisme en Turquie.

« C’est triste pour moi de voir tant d’enfants turcs déjà antisémites, anti-occidentaux et anti-américains, tout ça à cause d’Erdogan », confie-t-il, ajoutant que dans le monde musulman, le sentiment anti-israélien est un outil des politiciens pour « paraître forts » aux yeux de leur électorat.

« Je me souviens quand j’avais 8 ans, j’étais descendu jouer avec mes amis : ils brûlaient des drapeaux israéliens, et des drapeaux américains, juste à cause des manifestations qu’ils avaient vues », se rappelle Freedom.

L’athlète activiste – qui a contribué à promouvoir la sensibilisation à la Shoah auprès des étudiants musulmans de New York – rend hommage à l’éducation qu’il dit avoir reçue dans les écoles du mouvement Gülen, pour lui avoir enseigné la tolérance.

« La raison pour laquelle je ne suis ni antisémite, ni anti-américain ni anti-Israël, c’est, comme pour mes amis, les écoles [de Gülen] », affirme-t-il.

La relation qu’il entretient avec Gülen et le soutien qu’il lui témoigne lui coûtent cher : les autorités turques ont ainsi révoqué son passeport, emprisonné son père, perquisitionné sa maison d’enfance et l’ont placé sur une liste rouge d’Interpol. En conséquence, il n’a pas parlé à sa famille proche depuis 2015 et se déplace toujours avec une garde rapprochée.

« Les longs bras d’Erdogan sont partout », dit-il.

Freedom est fidèle à l’approche de Gülen envers l’islam et considère son attachement à la coexistence comme la racine de son activisme en faveur des droits de l’homme.

Le dignitaire religieux turc et opposant au régime d’Erdogan, Fethullah Gülen (Crédit : Wikimedia Commons)

« Il [Gülen] m’a appris que peu importe votre religion, votre culture, votre couleur de peau ou ce que vous avez pu faire, la chose la plus importante dans la vie est d’oublier les différences et de tenter de trouver le dénominateur commun », confie Freedom.

À la mosquée Al Aqsa de Jérusalem – sur laquelle le monde musulman a eu les yeux rivés pendant les affrontements, en marge du Ramadan, entre policiers israéliens et manifestants palestiniens – Freedom a enregistré des messages vidéo en turc et en anglais invitant à l’unité et appelant les musulmans à
« tendre la main à tout le monde ».

Œcuménique dans ses actions de sensibilisation, il a également placé un papier dans les interstices du mur Occidental, visité l’église du Saint-Sépulcre et sa chapelle arménienne. La Turquie, où Freedom a grandi, n’a pas encore reconnu le génocide arménien de 1915 et reste diplomatiquement sensible sur le sujet.

Une Palestine omniprésente, mais des pays musulmans muets sur la question des Ouïghours

En février, à sa grande surprise, Freedom a payé le prix fort de son engagement en faveur des droits de l’homme lorsque son équipe, membre de la NBA, l’a licencié suite à sa critique des mines d’or en Chine.

« La Chine est la plus grande dictature : aucun pays ne viole autant les droits de l’homme. Il faut le dire et le répéter », affirme-t-il, ajoutant « Je savais que ça allait faire du bruit, mais je ne pensais pas que la NBA allait me virer. »

Tout en reconnaissant l’énorme pression exercée sur les autres joueurs pour qu’ils évitent de critiquer la Chine et préservent leurs intérêts financiers ou ceux de la NBA – la NBA et nombre de ses soutiens ont des affaires importantes en Chine – Freedom estime qu’ils devraient « avoir honte » de ne pas dénoncer les violations des droits de l’homme.

Sa condamnation la plus forte porte sur la communauté musulmane dan son ensemble, qui ne s’est pas ralliée au soutien des Ouïghours, cette minorité musulmane turque chinoise persécutée par Pékin.

« Il y a tellement de pays musulmans dans le monde qui parlent des Palestiniens. Je n’ai pas entendu un seul dirigeant musulman parler de ce qui se passe au Xinjiang [province Chinoise] avec les Ouïghours. Pourquoi ? L’économie », a-t-il dit, ajoutant « honte à tous les dirigeants musulmans ».

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