Un rabbin et un évêque créent un glossaire pour sensibiliser les catholiques à l’antisémitisme
Malgré les propos du pape sur la guerre qui ont blessé de nombreux Juifs, le rabbin Noam Marans et l'évêque Joseph Bambera sont convaincus que le dialogue pourra aider à surmonter les obstacles
JTA — Lorsque, il y a des années, l’American Jewish Committee (AJC) avait commencé à travailler avec les évêques américains dans le but d’éduquer au mieux les catholiques sur la question de l’antisémitisme, l’organisation ne s’attendait guère à voir cette haine qu’elle essayait de combattre atteindre son paroxysme dans le monde entier.
L’AJC ignorait également que quelques semaines avant de faire connaître le résultat de son travail, le pape François laisserait entendre qu’Israël était coupable de « génocide » à Gaza. De la même façon, le pape a commencé un discours en direction des cardinaux catholiques qui dirigent les différents départements du Vatican – une allocution prononcée chaque année à l’occasion de Noël – par ce qui a semblé être une condamnation de frappes aériennes israéliennes qui ont eu lieu vendredi et qui, selon les secouristes gérés par le groupe terroriste palestinien du Hamas, ont entraîné la mort d’au moins 25 Palestiniens à Gaza.
Et pourtant, c’est bien dans ce contexte que le rabbin Noam Marans et l’évêque Joseph Bambera se sont récemment retrouvés pour lancer leur nouveau glossaire qui recense des termes antisémites. Marans a décrit ce glossaire comme une « étape importante » intervenant en amont du 60ᵉ anniversaire d’une déclaration historique de l’Église affirmant que les Juifs n’avaient pas tué Jésus.
Le rabbin a également souligné que si les relations entre les catholiques et les Juifs se sont considérablement améliorées par rapport aux siècles précédents, elles doivent toutefois faire face à de nouvelles tensions.
« Il est facile de perdre de vue l’essentiel d’un événement tel que celui-là – un événement qui était très certainement inimaginable pour mes grands-parents qui vivaient à Bialystok, en Pologne », a expliqué Marans lors de cérémonie à l’occasion de la présentation du glossaire.
« Il s’agissait là d’une transformation complète des relations entre les deux communautés, une métamorphose qui leur a profité à toutes les deux. »
Faisant référence à la bénédiction juive qui marque les occasions importantes, il a ajouté que « c’est un moment de Shehehiyanou ».
« Et même les moments de Shehehiyanou peuvent traverser des difficultés qui gâchent quelque peu la fête », a-t-il ajouté.
Dans le glossaire de l’AJC, intitulé Translate Hate (« Traduire la haine ») et publié la semaine dernière, environ 60 entrées consacrées à différents termes antisémites figurent dans le document. Des religieux catholiques ont annoté dix d’entre elles. Ces commentaires ont été rédigés par la commission des affaires œcuméniques et interreligieuses de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis, dont Bambera est le président.
Les entrées qui ont été annotées vont des « accusations de meurtre rituel » à l’expression « De la rivière à la mer » – un slogan fréquemment scandé dans les rassemblements anti-Israël qui, selon l’AJC et d’autres groupes juifs, est un appel à l’épuration ethnique, un appel à l’anéantissement d’Israël.
Concernant « les accusations de meurtre rituel », par exemple, les responsables catholiques notent que l’Église rejette depuis longtemps cette idée, mais qu’elle est encore présente dans certains discours.
« Aujourd’hui, cette accusation peut se dissimuler sous des formes moins traditionnelles qui doivent également être désavouées – comme l’idée que le peuple juif soutiendrait l’avortement en tant que moyen de sacrifice rituel des enfants, ou que les Juifs ont l’intention de faire couler le sang de leurs ennemis au nom d’intérêts qui leur sont propres », précisent les commentaires qui figurent dans le glossaire.
Évoquant le slogan « De la rivière à la mer », l’Église rappelle, dans ses annotations, qu’elle apporte son soutien à la solution des deux États et « encourage les catholiques à comprendre et à respecter le lien religieux profond qui unit les Juifs à Israël ».
Dans l’entrée « philosémitisme », le commentaire qui est écrit par les responsables religieux note que l’Église déconseille les seder qui s’approprient, d’une certaine manière, la tradition juive.
« La meilleure manière, pour les chrétiens, de vivre le repas du seder est de le vivre sur invitation d’une famille ou d’une organisation juive qui accueille les non-Juifs à cette fête, une célébration qui se trouve au cœur de la vie juive », indique le commentaire.
Ce glossaire arrive à un moment où – peut-être maladroitement – le sujet de l’antisémitisme au sein de l’Église catholique est douloureusement d’actualité.
Le catholicisme de JD Vance, le vice-président élu des États-Unis, a suscité un intérêt nouveau pour les différentes croyances catholiques. Vance est intervenu dans le débat sur l’Église en déclarant, par exemple, que s’il n’était pas « un grand adepte de la messe en latin », il était défavorable aux récentes initiatives prises par l’Église pour interdire la liturgie traditionnelle, notamment la prière demandant à Dieu la conversion des Juifs au christianisme.
Lors de la cérémonie, Marans et Bambera ont tous deux estimé que l’antisémitisme existait dans l’aile traditionaliste de l’Église, tout en soulignant que ce phénomène restait marginal.
Toutefois, la série de récentes déclarations du pape François peuvent être considérées comme une étude de cas sur la façon dont les valeurs catholiques et les citations extraites des Écritures peuvent froisser les membres de la communauté juive.
Le mois dernier, le souverain pontife s’est appuyé sur des propos tenus par des experts pour affirmer que « ce qui se passe à Gaza a les caractéristiques d’un génocide » – une accusation qu’Israël rejette avec véhémence. Il a demandé qu’une enquête minutieuse soit menée sur cette accusation.
Le ministère de la Santé de Gaza, qui est placé sous l’autorité du Hamas, affirme que plus de 45 000 personnes ont été tuées ou sont présumées mortes au sein de l’enclave côtière pendant la guerre qui avait été déclenchée par le pogrom commis par le groupe terroriste dans le sud d’Israël, l’année dernière – un bilan qui est invérifiable et qui ne fait pas de distinction entre civils et terroristes. De son côté, Israël déclarait, au mois de novembre, avoir tué environ 18 000 terroristes à Gaza en plus d’un millier sur le sol israélien, le 7 octobre et les jours qui avaient suivi.
Israël, de son côté, affirme prendre « de nombreuses mesures » pour minimiser les atteintes aux civils et souligne que le groupe terroriste viole systématiquement le droit international et exploite brutalement les institutions civiles et la population comme bouclier humain pour ses activités de terrorisme, en combattant depuis des zones civiles, notamment des maisons, des hôpitaux, des écoles et des mosquées.
Au début du mois de décembre, le pape François a également assisté à la présentation d’une crèche un peu particulière au Vatican – l’enfant Jésus y était enveloppé d’un keffieh, le foulard devenu le symbole du nationalisme palestinien, un clin d’œil à l’égard des militants qui ont pu estimer que Jésus, un enfant juif né à l’époque romaine, était palestinien. La crèche a finalement été retirée après la vive indignation qui a été exprimée par les groupes juifs.
Auparavant, dans une lettre adressée aux catholiques du Moyen-Orient en date du 7 octobre – le jour du premier anniversaire du pogrom commis par le Hamas, lorsque quelque 6 000 Gazaouis dont 3 800 terroristes dirigés par le Hamas ont pris d’assaut le sud d’Israël, tué plus de 1 200 personnes, principalement des civils, enlevé 251 otages de tous âges, qui avaient été prises en otage dans la bande – François avait dénoncé « l’esprit du mal qui fomente la guerre », citant un passage de l’Évangile de Jean. Il évoquait dans sa missive cet esprit maléfique qui « depuis le commencement, a été meurtrier », qui est encore le « menteur et père du mensonge ». Ces citations avaient suscité une vive controverse, dans la mesure où dans la Bible chrétienne, ces mots sont prononcés par Jésus au moment où il s’adresse à un groupe de Juifs, qu’il qualifie d’enfants du diable.
Une terminologie critiquée par Philip Cunningham, professeur de théologie et spécialiste des relations entre Juifs et catholiques à l’université Saint-Joseph.
« C’est dangereux de citer des mots polémiques en les sortant de leur contexte, en particulier des mots qui ont constamment suscité de l’hostilité à l’égard des Juifs pendant de nombreux siècles », a-t-il écrit dans un magazine jésuite, America.
« Il y a aussi quelque chose de particulièrement surréaliste dans cette lettre datée du 7 octobre. »
Marans et Bambera ont débattu – ne voyant pas nécessairement les choses du même œil – des propos tenus par le pape François pendant une grande partie de la cérémonie organisée à l’occasion du lancement du glossaire (le pape a également fait des déclarations qui condamnaient clairement l’antisémitisme, y compris pendant la guerre actuelle à Gaza). Marans, directeur des affaires interreligieuses de l’AJC, a déclaré, pendant une interview, que François avait fait la démonstration de son opposition à l’antisémitisme, ajoutant néanmoins que sa conduite avait rapidement fait apparaître une « crise » née d’un « manque d’attention portée aux relations entre catholiques et Juifs ». Les propos concernant un génocide présumé de la part d’Israël, a ajouté Marans, ont été les plus problématiques de la part du souverain pontife.
« L’utilisation fantaisiste du mot ‘génocide’ à l’encontre du peuple juif est dangereuse car elle donne au seul État juif une caractéristique qui apporte de l’eau au moulin de ceux qui détestent les Juifs – ce que le pape François n’est absolument pas et je le dis sans équivoque », a noté Marans.
« Comment parvenir à justifier cet engagement massif à s’opposer à l’antisémitisme après les déceptions que nous ressentons en entendant ces paroles et en voyant ces actes ? »
Pour Bambera, ces déclarations ont simplement reflété l’importance accordée par les catholiques aux valeurs de la paix et de la vie humaine. Les propos de François ont découlé de son inquiétude pour « la dignité de la personne humaine », a précisé l’évêque, y compris pour la dignité des Palestiniens et des Israéliens.
« En examinant la souffrance des personnes victimes du terrorisme et de la guerre, qu’il s’agisse du peuple juif ou d’innombrables autres dans le monde, le pape parlera toujours de la valeur de la vie humaine et de la nécessité de la préserver et de la protéger », a expliqué Bambera lors de la cérémonie. Il a également répété que François s’opposait avec fermeté à la haine anti-juive.
Si Bambera et Marans ont interprété différemment les propos du pape François, ils se sont toutefois accordés sur la voie à suivre à l’avenir : celle du dialogue.
« Je comprends parfaitement la réaction de la communauté juive et j’en tiens compte ; je comprends parfaitement les inquiétudes, peut-être la blessure, peut-être le souci de ce que tout cela est susceptible de signifier pour nos relations », a dit Bambera au cours d’un entretien.
« L’un des aspects les plus significatifs de la relation que nous avons établie – un aspect que le pape François soutient et encourage – c’est le fait que nous puissions, Juifs et catholiques, évoquer ce sujet avec franchise ».
Cela fait plus d’un demi-siècle que l’AJC encourage le dialogue entre catholiques et Juifs. L’organisation avait participé activement à l’élaboration de la déclaration de 1965 qui avait été faite par l’Église, une déclaration appelée « Nostra Aetate » et adoptée dans le cadre de Vatican II. Elle rejetait l’antisémitisme et affirmait que les Juifs n’avaient pas tué Jésus. Le groupe avait fait appel au rabbin Abraham Joshua Heschel en tant que conseiller pour participer à l’élaboration de ce document historique.
Marans a indiqué que les relations entre les deux communautés n’ont fait que s’améliorer depuis. Il a ajouté que, même à la lumière des récentes déclarations du pape sur Israël, le comportement des catholiques à l’égard d’Israël était plus favorable aux Juifs que celui des fidèles appartenant à certains courants libéraux du protestantisme, qui ont pu appeler au désinvestissement d’Israël.
« C’est un univers différent du côté catholique parce qu’il y a un réel engagement dans les relations qui unissent les catholiques et les Juifs », a-t-il estimé.
« Aujourd’hui, apporter un soutien sans réserve aux relations entre les deux communautés est un acquis au sein de l’Église catholique. »
L’AJC a fait part de son intention de traduire l’édition de son glossaire dans d’autres langues, dont l’espagnol et le polonais, et elle espère s’en servir comme modèle pour les églises protestantes et pour les autres religions. Holly Huffnagle, la directrice du bureau chargé de la lutte contre l’antisémitisme au sein de l’AJC, déclare que l’objectif qui est poursuivi par le groupe est d’enseigner ce qu’est l’antisémitisme et comment reconnaître la haine anti-juive.
« Les gens sont plus enclins à écouter ceux qu’ils connaissent, ceux en qui ils ont confiance », note-t-elle. « Si vous êtes catholique, vous écouterez plus volontiers votre prêtre qu’un responsable juif. »
Travailler avec des partenaires interconfessionnels est devenu d’autant plus important que ces liens se sont récemment relâchés, à un moment où les mouvements de protestation contre les actions lancées par Israël dans le cadre de la guerre – et l’antisémitisme – ont grimpé en flèche.
« L’espace chrétien est un partenariat naturel », a-t-elle déclaré.
« À quoi cela ressemble-t-il d’aller voir d’autres confessions et de trouver un moyen de réaliser ce projet conjointement ? Nous devons faire un pas en arrière en ce moment, car nous avons vu de vraies relations se dégrader. »
Bambera et Marans ont tous deux déclaré que la clé du succès de ce projet serait que les dirigeants catholiques utilisent le glossaire et transmettent son message à la base. Bambera raconte qu’un archevêque d’un grand archidiocèse américain lui a demandé s’il pouvait le distribuer à son clergé, ce qu’il a considéré comme un bon signe.
Il a ajouté qu’il espérait avoir « davantage de conversations sur des questions difficiles » entre catholiques et Juifs.
« Ces questions difficiles ne doivent pas interrompre le dialogue. Elles devraient pouvoir se développer parce que le dialogue est enraciné dans le respect et la compréhension mutuels. »
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