Un réalisateur choisit de montrer Auschwitz en couleur
Le documentaire "Auschwitz Untold in Color" revient sur la résistance juive, le génocide culturel, le meurtre de Tsiganes
LONDRES – Pour la première fois, des téléspectateurs américains et britanniques ont récemment eu l’occasion de voir des images d’archives en noir et blanc et des photographies en couleur des camps de la mort nazis.
Mais David Shulman, le producteur et réalisateur du documentaire en deux parties « Auschwitz Untold In Color », admet qu’il a abordé l’idée avec « beaucoup de réserve ».
« Je pensais que cela pourrait être perçu comme incroyablement grossier étant donné le contexte. Je me suis dit que mettre de la couleur à la Seconde Guerre mondiale et la diversité des images qu’on aurait de la Seconde Guerre mondiale était sans commune mesure avec la Shoah et les camps », explique-t-il.
Le scepticisme initial de David Shulman s’est cependant dissipé lorsqu’il a commencé à voir les résultats.
« J’ai en fait été stupéfait par la dimension humaine – le sens de l’humanité – que cela ajoute aux archives en noir et blanc lorsqu’elles sont très habilement mises en couleur », commente le documentariste primé.
« Cela crée vraiment une différence qualitative phénoménale, et j’ai été surpris », se réjouit-il. « En tant que cinéaste, je pensais que je lirais une image d’une personne en tant que personne avec toute son humanité, qu’elle soit en noir ou en blanc ou en couleur… Cela ajoute vraiment une dimension d’humanité qui manque autrement ».
Un petit nombre d’images des camps a été originellement tourné en couleur.
D’origine américaine, mais basé au Royaume-Uni, David Shulman reconnaît le bénéfice que représente l’usage de la couleur pour le film, qui raconte l’histoire de la Shoah du point de vue de 16 survivants.
La couleur est désormais très familière au public britannique depuis la production de documentaires télévisées telles que « World War I In Color » et « World War II In Color », ainsi qu’au succès du documentaire de 2018 « They Shall Not Grow Old ». Ce dernier a eu recours au procédé pour montrer aux spectateurs l’horreur des tranchées dans lesquelles les soldats britanniques ont combattu lors du conflit de 1914-18.
« ‘They Shall Not Grow Old’ était si puissant et si efficace qu’il… a suscité un intérêt et une réceptivité encore plus grands pour ce film particulier », estime David Shulman.
Il souligne que la colorisation n’était pas, cependant, sa motivation première pour rejoindre l’équipe de production. Au contraire, il voulait mettre en lumière des aspects de la Shoah qui, selon lui, ont trop souvent été inexplorés.
« J’avais le sentiment que l’histoire de la persécution des Roms avait été historiquement négligée. J’ai eu le sentiment que le niveau de résistance juive – les partisans, les ghettos où il y a eu des révoltes – a généralement été négligé », dit-il. « J’ai eu le sentiment que la destruction de la culture juive et yiddish – le génocide culturel – n’était généralement même pas prise en compte comme thème ».
J’ai eu l’impression que le niveau de résistance juive – les partisans, les ghettos où il y a eu des révoltes – a généralement été négligé
« Ce sont des domaines qui m’intéressaient particulièrement, et c’est ce que fait le film », indique le documentariste, dont les précédents travaux se sont penchés, entre autres, sur le racisme en Amérique et le mouvement des droits civiques aux États-Unis.
Les survivants présentés dans le documentaire sont originaires de Grande-Bretagne, des États-Unis et d’Europe. Ils comprennent un artiste, un scientifique, des écrivains, des éducateurs, des médecins et un résistant, ainsi qu’un « double survivant » – un membre de la synagogue Tree of Life à Pittsburgh, en Pennsylvanie, qui a survécu à l’attaque d’octobre 2018 qui a fait 11 morts et 7 blessés.
Parmi ceux qui apparaissent dans le film figurent Arek Hersh, né à Sieradz, en Pologne, Mindu Hornick, originaire de Tacovo, en Tchécoslovaquie, et Agnes Kaposi, née à Debrecen, en Hongrie.
Le réalisateur américain reconnaît le caractère poignant de ce documentaire qui « sera l’un des derniers grands documentaires sur la Shoah auquel participeront des survivants toujours vivants ». Cette réalité a été, selon lui, un facteur majeur dans le fait que l’acteur britannique Sir Ben Kingsley, lauréat d’un Oscar, ait accepté d’en être le narrateur.
L’œuvre porte sur les formes de résistance qui ont eu lieu à l’intérieur du camp, notamment la rébellion des ouvriers du crématorium et les tentatives de sabotage des chaînes de montage d’armement. Il raconte l’histoire d’un membre de la résistance juive clandestine qui a participé à la résistance armée contre les nazis en Lituanie alors que sa famille était massacrée dans un camp de la mort. Il inclut également la voix rarement entendue d’un survivant rom.
Les réalisateurs ont discuté avec les participants du fait qu’un aspect du documentaire impliquerait la colorisation, un processus dans lequel un logiciel informatique examine les séquences originales et donne des teintes réalistes à différents éléments. Selon Shulman, cela a suscité une « variété de réactions », ajoutant que certains survivants qui apparaissent dans le film étaient « sceptiques ».
« Ils ne savaient pas vraiment quoi penser de l’idée de la couleur », dit-il. « Ils avaient le sentiment que les images correspondaient à leur vision des choses, alors pourquoi faire des changements ? ».
D’autres, en revanche, étaient « tout à fait derrière » l’idée. « Tous les personnages du film font un travail pédagogique important sur la Shoah. C’est devenu leur mission, et ils travaillent avec les jeunes », souligne David Shulman.
« Donc, un certain nombre de personnes avec qui nous avons discuté de ce sujet étaient convaincues qu’un jeune public – en particulier les lycéens – serait hermétique à tout ce qui serait en noir et blanc. Ils ne s’y identifient pas… C’est ancien [et] cela ne leur parle pas personnellement ».
Le documentariste estime cependant que chercher à remédier au manque de connaissances de nombreux jeunes sur la Shoah – et à leur incapacité supposée à s’y référer – va bien au-delà de la simple colorisation des images.
« L’autre chose que je voulais vraiment faire, de quelle que manière que ce soit, était de donner au film une résonance contemporaine autant que possible », dit-il. « Nous avons utilisé beaucoup de plans contemporains… quand nous avons établi des lieux où il y avait des camps de la mort ou des camps de travail ou des pogroms. »
Les reportages comprennent également « des commentaires de participants qui parlent de la montée du fascisme en des termes qui ont une grande résonance contemporaine », ajoute M. Shulman.
La pertinence, indique Shulman, est la clé du programme pour raconter à nouveau l’histoire de la Shoah. Enfant et adolescent, il se souvient avoir eu le sentiment que la Shoah était « ancienne et lointaine ».
« Aujourd’hui, c’est un paradoxe complet », dit-il. « Elle semble beaucoup plus récente et beaucoup plus pertinente qu’elle ne l’était à l’époque ».
« D’une certaine manière, elle semble plus contemporaine qu’il y a 25 ou 30 ans », poursuit Shulman, « et je pense que c’est à cause de la politique dans le monde : la montée du nationalisme dans le monde entier et la complexité actuelle de l’antisémitisme. C’est extrêmement pertinent et a beaucoup d’échos… en particulier comment les craintes et les angoisses des gens peuvent être exploitées à des fins politiques ».
La série a été personnellement importante pour ses créateurs. Pour le producteur Sheldon Lazarus, responsable de la promotion, « c’était certainement un projet passionnant », rapporte David Shulman.
« Pendant très longtemps, il a toujours désiré voir un film qui serait une approche contemporaine de l’histoire de la Shoah », ajoute-t-il.
Leo Pearlman, l’un des fondateurs de la société de production Fulwell 73 et producteur exécutif du documentaire, est le petit-fils de survivants de la Shoah. La famille de Shulman a quitté l’Europe pour l’Amérique dans les années 1920, mais toute la famille n’a pas pu s’échapper.
« Tous les frères et sœurs de mes grands-parents qui sont restés étaient… au cœur de l’action, là où de nombreux massacres de Juifs [ont eu lieu] lorsque les nazis sont entrés en Ukraine et dans cette partie de l’Union soviétique », explique-t-il.
« J’ai entendu une histoire racontée par ma tante qui disait que soudainement ils n’ont plus reçu de nouvelles de la famille, de ses oncles et tantes », se souvient David Shulman. « Ils ont tout simplement cessé de recevoir des cartes postales et des lettres ».
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