Une mère britannique se bat depuis plus de dix ans pour voir ses enfants autrichiens
La romance a tourné au cauchemar pour Beth Alexander ; les juges de Vienne lui interdisent tout contact avec ses fils de 12 ans ; le grand rabbin britannique Mirvis la soutient
LONDRES – C’est le cauchemar de toutes les mères. Depuis plus d’une décennie, Beth Alexander est dans l’incapacité de voir ses deux fils. Elle mène une bataille juridique complexe et apparemment sans fin pour obtenir la garde de ses jumeaux devant les tribunaux autrichiens.
L’histoire d’Alexander – une histoire d’amour éclair qui s’est transformée en une lutte amère pour récupérer ses enfants, des allégations de jeu déloyal dans les cercles juridiques viennois et une intervention dramatique du grand rabbin britannique – a fait la une des journaux internationaux, tandis que son sort lui a valu le soutien de la communauté et du parlement au Royaume-Uni.
Alors qu’elle lance une nouvelle campagne pour pouvoir voir ses enfants, le juge autrichien chargé de l’affaire a rejeté les derniers efforts d’Alexander – et est allé plus loin, interdisant tout contact entre la mère et les enfants – en disant que ce n’était pas dans l’intérêt des enfants âgés de 12 ans de voir leur mère.
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Alexander, qui a grandi dans une famille juive à Manchester, dans le nord-ouest de l’Angleterre, a rencontré son mari alors qu’il était encore étudiant à l’université de Cambridge en 2006. Michael Schlesinger, qui avait récemment obtenu son diplôme de médecin, a rapidement demandé sa main. Le couple s’est marié en quelques mois. Bien qu’au départ ils étaient censés vivre en Angleterre, elle pense que Schlesinger n’a jamais eu l’intention de quitter son Autriche natale, où ils se sont installés après leur mariage.
Le mariage, qu’Alexander qualifie « d’imposture », a rapidement commencé à s’effondrer. « Il ne supportait pas d’être marié », a-t-elle déclaré au Times of Israel. Même lorsqu’elle est tombée enceinte, son mari n’a montré « aucun signe d’enthousiasme ».
Moins d’un an après la naissance de S. et de B., Alexander raconte qu’elle a été forcée de passer une nuit dans un refuge pour femmes. Lorsqu’elle est rentrée chez elle, son mari a tenté en vain de la faire interner, affirmant qu’elle souffrait de maladie mentale. Schlesinger, qui n’a pas répondu aux demandes répétées de commentaires, a précédemment nié les allégations d’abus sur Alexander.
Le couple s’est séparé peu de temps après. Les enfants ont vécu avec Alexander, Schlesinger n’ayant initialement reçu qu’un accès sous surveillance. Ses tentatives pour obtenir la garde ont d’abord échoué mais, deux mois seulement après les avoir rejetées, le juge a fait volte-face.
En juillet 2011, Schlesinger a obtenu la garde exclusive et immédiate, le tribunal ayant jugé que « le père est mieux placé pour exercer la garde et promouvoir le bien-être de l’enfant » et que, malgré « un bon lien » avec eux, « la mère n’a qu’une capacité limitée pour élever ses enfants ».
Le tribunal a également estimé que Schlesinger était susceptible d’être plus coopératif que sa femme pour assurer « le contact avec la famille de l’autre parent ».
Aucune préparation ni transition n’a été requise. Les services sociaux n’étaient même pas impliqués ; au lieu de cela, la police s’est présentée au domicile d’Alexander à Vienne l’après-midi même et ses fils de deux ans ont été emmenés.
Elle est, jusqu’à ce jour, toujours hantée par ce souvenir.
« Cela a été fait de la manière la plus brutale et la plus violente qui soit. C’était horrible. Mon avocat était en vacances. Le consul à l’ambassade qui s’occupait de l’affaire était également absent. C’était barbare. Ils ont été arrachés de leurs chaises hautes », se souvient-elle. Ses parents l’ont encouragée à rentrer au Royaume-Uni. « J’étais dans un tel état. J’étais hystérique et traumatisée. »
« J’étais tellement confiante. Je veux que mon histoire soit un avertissement pour les autres femmes. Les gens pensent que c’est très romantique d’aller vivre dans un autre pays. Ils ne réalisent pas les conséquences d’avoir un enfant à l’étranger. Vous n’avez aucun droit, vous ne serez pas protégé(e) », averti Alexander.
Pendant deux mois – en pleine querelle juridique au sujet de ses droits de visite – Alexander n’a pas pu voir ses enfants. Après quoi, elle n’a d’abord été autorisée à voir ses enfants que deux fois par semaine pendant quelques heures et sous surveillance.
« C’est un secret de polichinelle » explique Alexander. L’un des juges principaux à Vienne, ayant des liens avec la famille de Schlesinger, a parlé avec le juge chargé de l’affaire. Cette intervention, selon Alexander, a changé toute l’orientation de l’affaire.
Pendant plus de deux ans, Alexander s’est battu devant les tribunaux pour à la fois annuler la décision de garde et obtenir un droit de visite moins contraignant. Mais même les petites victoires n’étaient que des « victoires à la Pyrrhus ». Un rapport psychiatrique ordonné par le tribunal a été effectué sur Alexander – par un psychologue qui, selon les allégations, n’avait pas les compétences nécessaires en psychiatrie pour adultes – qui semblait indiquer qu’elle avait des capacités cognitives altérées et des capacités parentales réduites. Cependant, lorsqu’elle a présenté au tribunal deux autres rapports réfutant cette fausse évaluation, ceux-ci ont été rejetés. Il en a été de même pour une décision de la cour d’appel qui a demandé que des rapports psychiatriques similaires soient effectués sur les enfants et sur le père.
Alexander dit qu’elle ne se battait pas seulement pour ses droits en tant que mère, mais aussi par profonde inquiétude quant au bien-être de ses garçons. Les enfants, dit-elle, semblaient souvent « dérangés » et « en mode zombie » ; ils souffraient de maux d’estomac et pleuraient tout le temps. Elle a même découvert que l’un des garçons s’était mutilé à l’école (un fait que l’école n’a pas signalé).
La confusion d’Alexander quant au fondement des décisions de justice s’est aggravée lorsque, en janvier 2014, la Cour suprême autrichienne a rejeté sa demande de garde sans aucune explication au-delà du seul mot « rejeté ».
Cependant, elle a au moins pu à persuader les tribunaux de lui accorder un accès supplémentaire sans surveillance. En 2014, par exemple, elle a finalement été autorisée à avoir ses fils pour des visites nocturnes. Puis l’année suivante, elle a été autorisée à les emmener en vacances.
Elle se souvient de vacances « fantastiques » qu’elle, ses parents et leurs petits-enfants ont passées dans les Alpes durant l’été 2016. « Les enfants étaient si heureux, ils se sont épanouis. Ils n’avaient jamais eu autant de liberté. Nous avons fait tellement de choses amusantes. »
Mais ces progrès apparents se sont brusquement arrêtés peu de temps après, lorsque son mari est retourné devant les tribunaux et que l’accès d’Alexander a été de nouveau, considérablement réduit. Les visites supervisées ont été de nouveau imposées.
« Après toutes ces années de lutte à travers le système, c’était un retour à la case départ », dit Alexander. « Je n’en pouvais plus. »
Elle a qualifié les visites supervisées de forme de « maltraitance des enfants ».
« C’est la chose la plus humiliante », estime Alexander. « Vous devez vous asseoir dans un centre, une femme est là en train de prendre des notes. Je ne voulais pas que mes enfants me voient ainsi, comme si j’étais une criminelle. »
Désemparée, face à l’insistance de ses parents, elle est retournée au Royaume-Uni.
Alexander, alors conférencière dans une université de Vienne, a décidé de se reconvertir en avocat en droit de la famille.
« J’ai étudié le droit pour m’autonomiser », dit-elle. « Je ne peux pas décrire la frustration que je vivais ; j’allais d’un avocat à l’autre et aucun ne semblait pouvoir m’aider à avancer. Je me suis donc dit : je vais devenir avocat, à la fois pour aider mon propre cas mais aussi pour aider d’autres parents. »
Pendant cinq ans, Alexander n’a pas vu ses fils. Elle leur a envoyé des cadeaux et des cartes, a essayé d’organiser des appels vidéo WhatsApp réguliers et a acheté des ordinateurs portables aux garçons pour pouvoir leur envoyer des e-mails sans savoir si ses fils les ont bien reçus.
Au Royaume-Uni, elle a cependant été aidée par des partisans de haut niveau. En 2014, des parlementaires – tels que les députés conservateurs Mike Freer et Matthew Offord et les députés travaillistes Graham Stringer et Ivan Lewis – ont organisé un débat à la Chambre des Communes.
Stringer, membre de la circonscription dans laquelle vivaient à l’époque les parents d’Alexander, a déclaré aux députés : « J’ai un grand respect pour l’État autrichien… J’aime l’Autriche, mais la décision dans l’affaire Beth Alexander est un fléau pour le système judiciaire autrichien et j’espère qu’il sera corrigé. »
Lewis a qualifié l’affaire de « l’une des pires erreurs judiciaires » qu’il n’a jamais connues au cours de sa longue carrière en tant qu’élu.
« Beth… a été faussement et cruellement qualifiée de malade mentale et de mère inapte, deux diagnostiques réfutés par des professionnels indépendants », a-t-il ajouté.
La cause d’Alexander a également été reprise par le Board of Deputies of British Jews, dont les dirigeants ont rencontré l’ambassadeur Autrichien à Londres pour leur faire part de leurs préoccupations. « Je crains qu’une grave erreur judiciaire n’ait été commise », a déclaré Jonathan Arkush, alors vice-président du conseil d’administration, après la réunion de décembre 2013.
Alexander a également obtenu le soutien du grand rabbin britannique Ephraim Mirvis. Peu de temps après la décision abrupte de la Cour suprême autrichienne en 2014, il lui a fourni une lettre ouverte exprimant son inquiétude face à la « décision inhabituelle du tribunal de priver une mère du droit d’élever ses enfants ».
« Plus important encore, je suis préoccupé par les rapports qui suggèrent que la croissance et le développement des jumeaux sont affectés, alors que la mère n’est en aucun cas impliquée dans les questions relatives à la santé, au bien-être et à l’éducation de ses enfants », a-t-il écrit.
Plus tôt cette année, il a été révélé que Mirvis s’était envolé pour Vienne en 2018 en compagnie d’Arkush, alors président du conseil d’administration, pour intercéder en faveur d’Alexander. Les deux hommes ont rencontré les jumeaux et les dirigeants de la communauté juive de Vienne. Schlesinger aurait cependant refusé de rencontrer Mirvis et a rejeté la tentative du grand rabbin d’au moins assurer à Alexander un appel hebdomadaire régulier avec ses fils.
Alexander est très critique de la manière dont la communauté juive de Vienne s’est solidarisée autour de son ex-mari et, selon elle, aurait cherché à saper son combat. C’est une « communauté misogyne, patriarcale et soudée », affirme-t-elle. « En tant qu’étrangère sans pouvoir comprendre la langue ou la culture, je n’avais aucune chance. »
Cette accusation est rejetée par Oskar Deutsch, le président de l’IKG, qui représente la communauté juive de Vienne. Dans une lettre à Mirvis le mois dernier, il a écrit : « La décision concernant la garde des enfants est légale et a été rendue par des tribunaux autrichiens indépendants. La communauté juive n’a pas participé au procès en dehors du fait que de nombreux membres l’ont aidé individuellement avant, pendant et après les audiences. »
Le gouvernement autrichien a également défendu le traitement de l’affaire. En réponse à un courriel d’un des partisans d’Alexander, le ministère fédéral des Affaires européennes et internationales a déclaré que l’affaire était « menée par des tribunaux autrichiens indépendants, leur décision finale étant fondée sur un examen objectif des positions des deux parents et, surtout, sur le bien-être des enfants. »
L’année dernière, Alexander a tenté de profiter d’une nouvelle opportunité offerte par la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne pour poursuivre son combat par l’intermédiaire de l’Unité internationale d’enlèvement basée à La Haye et de l’Unité de Liaison. Elle espérait que sa demande pour des appels téléphoniques réguliers et une visite à Vienne tous les deux mois serait déterminée par un nouveau juge, qui examinerait l’affaire de manière indépendante pour la première fois. Mais l’affaire a fini par être tranchée une nouvelle fois par le même juge viennois qui suit l’affaire depuis le début. La justice a rejeté la demande et, affirmant que les fils ne voulaient pas voir leur mère, a déclaré qu’il n’était pas dans leur intérêt qu’Alexander obtienne gain de cause.
Alexander a pris cette dernière déception à bras-le-corps.
En janvier, une nouvelle campagne a été lancée et un événement en ligne a été organisé par des partisans, dont Mirvis, Offord, le rédacteur en chef du Jewish Telegraph, Paul Harris, et la directrice générale de Jewish Women’s Aid, Naomi Dickson.
« Nous tous qui connaissons Beth », a déclaré le grand rabbin, « nous savons qu’elle est une personne aimante, attentionnée, généreuse et, surtout, une mère merveilleuse. Le fait qu’elle ait été séparée de ses enfants et qu’elle n’ait pas fait partie de leur vie depuis si longtemps est une terrible tragédie. »
Alexander dit que la décision du juge de n’ordonner aucun contact est la raison de la nouvelle campagne. « Si il m’avait permis un accès même minimal – tel qu’un appel hebdomadaire – je serais probablement restée silencieuse. L’injustice de n’avoir aucun contact m’a poussée à rendre cela public. »
Alexander prépare une nouvelle contestation judiciaire avec une demande de garde exclusive. Son ex-mari, affirme-t-elle, a fondé ses demandes initiales sur le fait qu’il serait le parent le plus coopératif et le plus tolérant ; qu’il autoriserait le contact et l’accès et serait effectivement coopératif avec son ex-femme. Selon elle, les preuves accumulées ces dix dernières années soulèvent de sérieuses interrogations quant au sérieux de cet engagement.
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