Une université suisse recherche un professeur d’études juives … pas juif
L'université de Lucerne, un établissement public situé près de Zurich, n'autorise que les catholiques à enseigner les cours de théologie "doctrinale"
JTA – Une université publique suisse est à la recherche d’un nouveau professeur d’études juives, et l’une des conditions requises pour le poste vacant a attiré l’attention des juifs locaux : le candidat doit être de confession catholique.
Le poste de professeur d’études juives et de théologie est actuellement vacant à la faculté de théologie de l’université de Lucerne, située à une heure au sud de Zurich.
Bien que l’université soit publique, ce département académique est officiellement affilié à l’Église catholique, qui interdit aux professeurs non catholiques d’enseigner des cours « doctrinaux » tels que la philosophie, la liturgie, les écritures, la théologie catholique et la théologie fondamentale. Cela inclut l’enseignement des religions non chrétiennes et notamment du judaïsme. Les professeurs non catholiques peuvent être invités à titre de conférenciers ou de professeurs invités.
Le professeur d’études juives et de théologie sera responsable de l’enseignement et de la recherche en études sur le judaïsme, ainsi que de la direction de l’Institut de recherche judéo-chrétienne, selon le texte accompagnant l’offre d’emploi.
Alfred Bodenheimer, qui a travaillé à l’université de Lucerne de 1997 à 2003 dans un poste d’enseignement et de recherche sur le judaïsme, a déclaré que l’interdiction faite aux non-catholiques avait entravé sa carrière à l’université.
« Cela semble tout simplement dépassé à notre époque – de dire que la personne qui enseigne les études juives doit être exclusivement catholique », a confié Bodenheimer, qui enseigne aujourd’hui à l’université de Bâle, à la Jewish Telegraphic Agency.
« J’ai réalisé que, dans cette université, en tant que juif, je ne serais jamais qu’un subalterne, sans aucune chance d’avenir, d’influence etc », a-t-il ajouté. « J’ai pris conscience du fait que toute cette situation était extrêmement asymétrique, qu’en tant que juif, je ne serais jamais sur un pied d’égalité avec mon patron catholique. »
Comme Lucerne, l’université de Bâle est une université publique. Mais son département de théologie est protestant et donc non affilié à l’Église catholique. La Suisse compte au total 12 universités publiques, dont au moins deux ont des départements de théologie affiliés à l’Église catholique.
Margit Wasmaier-Sailer, doyenne de la faculté de théologie de Lucerne, a déclaré à la publication suisse Zentral Plus que les restrictions imposées par l’Église catholique avaient été incluses dans l’offre « pour des raisons d’équité et de transparence ». Alors que la faculté de théologie empêche effectivement les Juifs d’être recrutés au poste d’études juives, elle a précisé que la faculté s’engageait de son côté à enseigner cette matière.
« La faculté de théologie de l’université de Lucerne est la seule faculté de théologie catholique du monde germanophone où les études juives font partie du curriculum obligatoire de théologie », a déclaré Wasmaier-Sailer à la publication juive suisse Tachles. Elle n’a pas répondu à la demande de commentaire de la JTA.
Jonathan Kreutner, secrétaire général de la Fédération suisse des communautés juives, s’est dit troublé par cette exigence, qui n’est « vraiment pas acceptable à l’heure actuelle ». Kreutner a déclaré que son groupe discuterait de la question avec l’université et qu’il avait déjà parlé à l’évêque local. Il a ajouté que tous deux semblaient « tout à fait ouverts » à la recherche d’une solution.
« D’une part, il est clair que la faculté de théologie applique certaines règles concernant le pourvoi de ses postes », a déclaré Kreutner à la JTA. « C’est une chose. D’autre part, nous nous demandons bien sûr pourquoi ces règles sont si strictes ».
Il a ajouté : « S’il s’agit d’études juives, pourquoi fermer la porte aux candidats juifs ? ».
Bodenheimer a déclaré qu’il ne s’opposerait pas à ce qu’un professeur catholique soit engagé pour enseigner les études juives, mais il estime que les juifs et d’autres devraient être éligibles.
« Il y a d’excellents experts en études juives qui sont catholiques », a-t-il déclaré. » J’en connais et je ne suis pas du tout opposé à ce qu’un catholique obtienne le poste au final. Mais la porte doit être ouverte. Il faut donner aux gens une chance de montrer leurs compétences et décider ensuite ».
Selon lui, une solution possible serait de transférer les études juives au département de philosophie, où la condition d’appartenance à la foi catholique ne s’appliquerait pas. Il a ajouté que convaincre l’Église catholique d’abandonner ce sujet pourrait être « un peu compliqué sur le plan administratif », mais que l’institution millénaire devrait être capable de s’adapter.
« L’Église catholique est au milieu du XXIe siècle », a déclaré Bodenheimer. « Elle doit également être capable de s’adapter à un monde qui a profondément changé ».