Vienne: Une compositrice israélienne évoque des aspects de sa vie dans un opéra consacré à Alma Mahler
Ella Milch Sheriff déclare avoir travaillé sur "Alma" dans l'ombre du pogrom du 7 octobre et avoir incorporé l'antisémitisme de la compositrice dans le livret de son œuvre
Le 7 octobre 2023, la compositrice Ella Milch Sheriff s’était réveillée tôt dans la matinée, dans son appartement de Tel Aviv. Elle avait entendu le bruit d’une explosion.
Le ciel était bleu, le soleil brillait et son compagnon lui avait dit de se rendormir.
Quelques instants plus tard, le vacarme causé par les sirènes des voitures de police et des ambulances leur avait permis de découvrir qu’une roquette lancée depuis Gaza s’était abattue devant leur immeuble.
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« C’est ainsi que tout a commencé pour nous », raconte Milch Sheriff.
C’était le début du pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël – les hommes armés avaient tué plus de 1 200 personnes, des civils en majorité, et 251 personnes avaient été kidnappées, prises en otage à Gaza.
« Le choc a été énorme », confie Milch Sheriff.
Elle n’avait plus pu composer ou écouter de la musique – et encore moins travailler sur « Alma », un opéra que lui avait commandé le Volksoper consacré à la musicienne Alma Mahler-Werfel, l’épouse du célèbre Gustav Mahler.
À l’époque, Milch Sheriff était plongée dans la composition du deuxième acte de l’opéra, dont la première a eu lieu le 26 octobre. Elle devait terminer la partition pour piano avant la mi-janvier – une échéance habituelle pour le théâtre lyrique européen, qui est généralement planifiée au moins quatre ans à l’avance.
Elle est finalement retournée dans sa pièce blindée – qui fait également office de studio. Elle a remis ses écouteurs et elle s’est concentrée sur son travail : la composition d’un opéra viennois sur le thème du 20e siècle.
« Cela m’a énormément aidée, pendant quelques heures par jour, à surmonter les choses terribles qui s’étaient produites autour de moi », dit Milch Sheriff.
Aujourd’hui, un an plus tard, la musicienne se trouve à Vienne, en Autriche, pour les répétitions générales et pour la première de « Alma » – projet sur lequel elle a travaillé pendant une bonne partie de la dernière décennie.
Lors de son entretien avec le Times of Israel, Milch Sheriff se trouve au beau milieu de la dernière semaine de répétitions. Six années se sont écoulés depuis sa dernière grande production, « La Banalité de l’amour », en 2018, une œuvre qui était consacrée à la liaison qui avait uni la philosophe Hannah Arendt et son mentor, Martin Heidegger.
Elle dit qu’à l’époque, elle avait déjà eu l’idée d’un opéra sur la vie d’Alma Mahler-Werfel – une personnalité qu’elle ne connaissait pas aussi bien qu’aujourd’hui.
Elle raconte avoir été intriguée par l’histoire de cette femme, une jeune compositrice, une muse qui avait abandonné sa musique par amour pour son premier mari, le grand compositeur Gustav Mahler. Certains éléments de l’existence de Mahler-Werfel viennent refléter la vie de Milch Sheriff, l’épouse de feu Noam Sheriff, célèbre compositeur et chef d’orchestre israélien qui était décédé en 2018.
Comme Mahler-Werfel, Sheriff avait également vingt ans de plus que son épouse. Il n’avait toutefois jamais insisté auprès d’elle pour qu’elle abandonne son travail et sa passion.
Alma Mahler-Werfel avait rencontré Mahler, directeur musical de l’opéra de Vienne, chef d’orchestre, compositeur et personnalité très en vue. Elle était tombée très amoureuse. Il l’avait sommée de renoncer à son travail – une décision qui, selon Milch Sheriff, avait frappé l’âme d’Alma en plein cœur, une flèche empoisonnée dont elle ne devait jamais guérir.
Milch Sheriff explique qu’au fil des ans, elle a découvert la maternité douloureuse et angoissée de Mahler-Werfel, mère de quatre enfants dont un seul avait survécu, Ana Mahler, la deuxième fille d’Alma et de Gustav. Ana est un personnage qui joue un rôle majeur dans l’opéra.
Mahler-Werfel avait perdu trois enfants, elle avait avorté et elle n’avait pas assisté aux funérailles de certains de ses enfants – ce qui amène toujours Milch Sheriff à s’interroger sur le destin réservé à cette jeune et belle femme de Vienne devenue l’ombre d’elle-même, alcoolique, vivant une vieillesse plongée dans l’amertume.
« Si elle avait vécu de nos jours, sa destinée et sa vie auraient été complètement différentes », estime Milch Sheriff.
Milch Sheriff tire ses propres conclusions de la vie malheureuse de Mahler-Werfel et elle demande aux spectateurs de comprendre le processus traversé par sa protagoniste, même s’ils n’éprouvent aucune affection à son égard ou qu’ils ne parviennent pas à s’identifier pas à elle.
D’autres éléments de l’opéra et de l’histoire de Mahler-Werfel ont pris, ces derniers mois, un écho particulier. Elle était antisémite – comme une grande partie de la société viennoise de l’époque, un fait que n’a pas souhaité taire le dramaturge israélien Ido Ricklin, qui a écrit certains de ces dialogues de haine antijuive dans le livret.
(Si Mahler-Werfel était antisémite, elle avait épousé deux Juifs : Gustav Mahler, qui s’était converti au catholicisme, et son troisième mari, l’écrivain Franz Werfel).
Milch Sheriff ne voulait pas non plus dissimuler ce détail – et elle dit y avoir beaucoup réfléchi au cours de ces derniers mois. Elle est en Europe depuis le pogrom qui avait été commis par le Hamas, le 7 octobre, et le début de la guerre qui oppose actuellement Israël au Hamas. Une Europe où le sentiment anti-israélien a atteint des sommets.
La compositrice israélienne explique qu’elle s’est efforcée de souligner, au cours des interviews qu’elle a pu accorder et autres conversations, qu’elle milite elle-même pour la paix et qu’elle s’oppose au gouvernement israélien actuel – mais qu’elle fait toutefois la distinction entre l’opposition au gouvernement et l’opposition à Israël en tant que pays.
« Nous avons un pays magnifique avec des gens extraordinaires, et malheureusement le centre et la gauche sont comme des prisonniers aux mains de l’extrême-droite », note-t-elle. « En Europe, on mélange le fait d’être antijuif et le fait d’être anti-israélien, et ça me met hors de moi ».
Malgré tout, au cours des douze derniers mois, avec la nouvelle réalité post-7 octobre et au beau milieu de la guerre, Milch Sheriff continue à travailler sur l’opéra et elle considère que ce travail fait partie intégrante de la continuité vivace de l’existence de son pays : Israël.
« Nous faisons de la culture, de l’opéra, de la musique, de la littérature, de l’art, nous n’avons pas arrêté d’offrir de la culture et si nous avions arrêté, ça aurait été la fin d’Israël. Nous survivons grâce à la culture, pas grâce à la religion », estime-t-elle.
Et on peut en dire autant de son opéra, « Alma », ajoute-t-elle.
« Nous avons trois Israéliens – une compositrice, un dramaturge, Ricklin, et un chef d’orchestre, Omer Meir Wellber – qui présentent une nouvelle œuvre dans l’un des plus opéras les plus prestigieux sur une thématique viennoise », fait-elle remarquer. « A l’époque que nous vivons, j’ai envie de dire qu’il s’agit d’une sorte de provocation ».
Il y a trois représentations de « Alma » – les 4, 6 et 9 novembre.
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