Voir Begin comme le début de la fin du sionisme traditionnel
Pour l’historien Milton Viorst, la résurgence de Jabotinsky depuis 40 ans est responsable de la marginalisation des négociations de paix
LONDRES – Milton Viorst veut savoir pourquoi en à peine un siècle, le sionisme est passé de l’idéal de la recherche d’un refuge permanent pour les juifs, à la rationalisation de l’occupation continue par l’armée israélienne des « Palestiniens impuissants ». Il a donc soulevé la question dans son dernier livre, Le sionisme : naissance et transformation d’un idéal (Zionism: The Birth and Transformation of an Ideal), qui sera publié en anglais à la mi-juillet.
« Le thème principal de mon livre, explique Viorst, est comment nous, et je dis nous, parce que je me vois comme un sioniste, sommes passés de Herzl, qui pensait à une patrie juive, un refuge pour un peuple assiégé, à devenir au cours des décennies une puissance militaire où la paix et la sécurité ne sont pensées que dans un cadre militaire. »
« Israël est vraiment parti dans la mauvaise direction », dit Viorst.
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Ces dernières années, affirme Viorst, bien qu’Israël soit devenu une nation plus forte et ait prospéré, le sionisme s’est de plus en plus défini par la puissance militaire.
Viorst a commencé à écrire Le sionisme à un moment où des négociations de paix sérieuses au Moyen Orient avaient tout sauf disparu du discours de la diplomatie internationale. Ceci a mené l’historien à s’interroger, dans les premières pages du livre, pour savoir si le silence d’Israël sur le sujet suggérait que l’ADN juif était immunisé contre la paix.
« Clairement, explique Viorst, la paix n’a pas de manière scientifique ou biologique disparu de l’ADN juif. Mais il semble certain que la paix a disparu de l’ADN culturel [des juifs]. »
« Ce changement culturel vers une vue plus militante du sionisme n’a pas été aussi important pour les juifs des Etats-Unis », soutient Viorst.
Malheureusement, dit-il, cette opinion plus militante du sionisme s’est cependant répandue en Israël. Viorst pense qu’il faut souligner que pendant les dernières élections israéliennes, il n’y a eu presque aucune discussion sur la paix, dans tout le spectre politique.
Le Parti travailliste, qui était autrefois un parti pacifique, dit Viorst, « est devenu pour le moins neutre sur le sujet. »
Benjamin Netanyahu et le Likud, pendant ce temps, n’ont pas eu à s’inquiéter que la paix soit un sujet de la dernière campagne électorale, « parce que presque aucun autre parti politique ne prenait la position opposée », affirme le journaliste et historien.
Certes, établir un oasis de paix entre la Méditerranée et le Jourdain ne résoudra pas complètement la crise politique qui fait en ce moment rage dans tout le Moyen Orient. Mais, cela serait certainement un bon début, dit Viorst.
Cependant, la paix est improbable dans le climat politique actuel parce que la sécurité d’Israël est uniquement basée, selon lui, « sur sa capacité à dominer la région par la force militaire. »
Viorst est extrêmement critique de la manière dont les politiques israéliennes ont pris un virage à droite, particulièrement pendant les 40 dernières années. Bien qu’il dirige la majeure partie des responsabilités de ce changement vers une vision militante plus conservatrice du sionisme sur Israël lui-même, l’historien pense que l’establishment politique des Etats-Unis doit en accepter une certaine part.
« Les Etats-Unis n’ont rendu service ni à Israël, ni au peuple juif, ni au Moyen Orient ces dernières années, dit Viorst, principalement parce qu’ils acceptent de concéder presque toute idée que le gouvernement israélien a présenté. »
Pour Viorst, il est temps que les Etats-Unis commencent à adopter une attitude plus solide envers les politiciens israéliens : demander qu’Israël fournisse immédiatement un cadre pour la paix.
« Netanyahu a été brutal dans ses relations avec les Etats-Unis, avance Viorst, mais d’un autre côté, l’une des plus grandes faiblesses d’Obama a été de se soumettre à tout ce que dit Netanyahu. »
‘L’une des plus grandes faiblesses d’Obama a été de se soumettre à tout ce que dit Netanyahu’
Cette relation particulière entre les deux pays, souligne Viorst, a inévitablement signifié qu’Israël avait perdu la sympathie, et le respect, de nombreuses nations.
Aujourd’hui, la plupart des gouvernements du monde reconnaissent l’Etat palestinien, dit Viorst, une situation qu’il juge étrange « parce qu’officiellement il n’y a pas d’Etat palestinien ». Cette reconnaissance d’un Etat palestinien est simplement un autre reflet de comment de nombreuses nations tournent actuellement le dos à Israël, dit Viorst.
« Le temps n’est pas du côté d’Israël sur ce sujet, et ils doivent saisir l’initiative ici, pour que les choses s’améliorent bientôt », dit-il.
« Tant que Benjamin Netanyahu insiste pour dire qu’il n’y a pas de raison pour toute tentative de paix, et il continue à souligner que la seule question qui compte est comment retenir les territoires où vivent les Palestiniens, Israël sera de plus en plus en danger », dit Viorst.
Le sionisme : naissance et transformation d’un idéal consacre un chapitre entier à attaquer la politique de Netanyahu. Le deuxième mandat de Premier ministre de Bibi en 2009, affirme le livre, a ouvert une nouvelle ère de l’histoire israélienne.
« Un thème fréquent de la plupart des politiciens israéliens, jusqu’à ce moment, était de reconnaitre qu’il devait y avoir une certaine accommodation avec les arabes, dit Viorst. Cependant, Netanyahu a articulé son [hostilité envers les arabes] pendant la dernière campagne électorale, quand il a dit : nous continuerons à vivre par l’épée. »
« La seule idée en laquelle des personnes comme Netanyahu et [le ministre de la Défense] Avigdor Liberman croient est la guerre perpétuelle, ajoute-t-il. Ils ne peuvent voir aucune validité d’aucune sorte dans la position arabe. »
Viorst, citoyen américain qui vit à Washington, DC, est allé pour le première fois en Israël quelques mois après la guerre des Six Jours de 1967.
A présent, à plus de 80 ans, Viorst a passé la majorité de sa carrière, a la fois comme journaliste et comme historien, à étudier et écrire sur Israël et le Moyen Orient, contribuant à des journaux comme The New Yorker, The New York Times, et The Washington Post.
Ses livres sur l’histoire juive comptent Sands of Sorrow (Les sables de la peine) et What Shall I Do With This People? Jews and the Fractious Politics of Judaism (Que devrais-je faire avec ce peuple ? Les juifs et les politiques déchirées du judaïsme). Le premier a examiné les divisions politiques parmi les Israéliens, et le dernier s’est concentré sur les schismes récurrents qui se sont produits tout au long de l’histoire juive.
Aller en Israël pour la première fois, dit-il, a suscité en lui une conscience inattendue de ses racines juives, l’encourageant à se plonger profondément dans l’histoire et la pensée juive.
Pendant sa première visite en Israël, Viorst est passé en Cisjordanie et dans la bande de Gaza pour discuter avec des arabes locaux, qui lui ont présenté leurs propres perspectives sur le conflit israélo-palestinien.
Il lui est à ce moment apparu clairement, dit Viorst, que les pratiques de l’occupation militaire d’Israël « frisaient la brutalité ».
Dans son dernier livre, Viorst inclut une citation de Theodor Herzl, le père fondateur du mouvement sioniste.
Herzl a officiellement institué le sionisme, le faisant passé d’un idéal utopique ambitieux à un vocabulaire de la politique internationale, éveillant les juifs après des siècles de léthargie à la prise de contrôle de leur futur.
Cependant, Herzl avait anticipé les problèmes du sionisme, une fois que les juifs seraient effectivement retournés en Israël, écrivant que « si les juifs retournent un jour à la maison, un jour ils réaliseront qu’ils ne vont pas ensemble. Pendant des siècles, ils ont été enracinés dans divers nationalismes ; ils sont différents les uns des autres, groupe par groupe. La seule chose qu’ils ont en commun est la pression qui les unit. »
Viorst pense que la citation d’Herzl était particulièrement prémonitoire, que sa validité est aussi remarquablement pertinente aujourd’hui que ne l’était au 19e siècle, parce que, même si le conflit actuel d’Israël avec les Palestiniens reste une plaie ouverte, la rivalité entre les juifs en Israël est toute aussi importante.
Ceci est, fondamentalement, l’argument central du dernier livre de Viorst.
Les visions concurrentes du sionisme, affirme Viorst, plus particulièrement entre Zeev (Vladimir) Jabotinsky et David Ben-Gurion, continuent de hanter la politique israélienne jusqu’à aujourd’hui.
‘Ben-Gurion était probablement le politicien le plus intéressant d’Israël’
« Ben-Gurion était probablement le politicien le plus intéressant d’Israël, dit Viorst. Il a été une force extrêmement constructrice en termes de développement des institutions sur lesquelles la société israélienne est basée, même à présent, en conséquence de la guerre d’Indépendance. »
Ben-Gurion a adopté la position selon laquelle la seule manière de maintenir la sécurité d’Israël dans les premiers jours de l’indépendance était par la force militaire. Cependant, Viorst pense que même si la vision du sionisme de Ben-Gurion était certainement une vision militante, elle était plus pragmatique et moins fondamentale dans ses perspectives que celle de Jabotinsky.
Comme l’explique le livre de Viorst, Jabotinsky a aidé à fonder et commandé de nombreuses organisations juives militantes, dont la Haganah, qui a combattu à la fois les Anglais et les arabes pendant le mandat britannique.
Jabotinsky était un sioniste révisionniste, qui croyait en un sionisme plus dur, plus rigide, lourdement militaire et profondément divisé, qui ressemblait à l’hellénisme précoce, louant le courage, la physique, la virilité, et la volonté à faire la guerre.
Jabotinsky avait également proposé la création d’une force militaire juive qui établirait un « mur de fer » qui agirait comme une barrière invulnérable aux aspirations arabes. Il est possible, dit Viorst, de tracer une trajectoire allant des idées de Jabotinsky à l’atmosphère d’une ligne dure fondamentale accrochant la politique israélienne aujourd’hui.
Ce tournant radical vers la droite du sionisme, affirme Viorst, a fondamentalement commencé quand Menachem Begin est devenu Premier ministre en 1977. Begin avait une fois affirmé que Jabotinsky était « le plus grand dirigeant politique juif des temps modernes, après Herzl. » Et Viorst pense que Begin était déterminé, dès qu’il est arrivé au pouvoir, à être guidé par ces principes révisionnistes.
Sans Begin, Jabotinsky aurait tout bien pu disparaitre dans les archives de l’histoire juive. Cependant, tout comme Marx a eu besoin de Lénine pour transformer une théorie abstraite en idéaux politiques réels, Jabotinsky a eu besoin de Begin pour assurer sa survie d’icône juive, souligne Viorst.
« Israël, depuis que Begin est devenu Premier ministre, s’est concentré sur une idée principale : devenir une force militaire puissante qui pourrait dominer tous ses voisins, dit Viorst. Ceci est devenu le principe conducteur de la politique israélienne pendant les 40 dernières années. »
‘Jabotinsky respectait les arabes et leurs sentiments nationalistes. Begin n’a jamais eu cela’
Begin a bien pu être l’héritier de l’idée militante du sionisme de Jabotinsky, cependant, l’ancien Premier ministre était plus radical que Jabotinsky ne l’a jamais été, dit Viorst, principalement « parce que Jabotinsky comprenait mieux qui étaient les arabes. »
« Jabotinsky respectait les arabes et leurs sentiments nationalistes. Begin n’a jamais eu cela », souligne Viorst. Il est aussi extrêmement clair, affirme Viorst, que Netanyahu, qui est l’héritier de Begin, « n’a aucun respect ni aucune sympathie pour le nationalisme arabe. »
Viorst pense que cela a finalement mené à une situation où faire la paix en Israël est devenu quasiment impossible.
« Le bien-être des juifs n’est pas servi par ce rejet constant de la paix par les gouvernements israéliens que nous avons vus ces dernières décennies », dit Viorst.
« A moins que cela ne change, conclut-il, les juifs ne vivront jamais en paix en Israël. »
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