9 mois après, Israël n’est pas plus proche de ses objectifs
Le chemin de la victoire contre le Hamas est incertain pour Netanyahu, tout comme la libération des otages, la nécessité de dissuader le Hezbollah et celle de son maintien au pouvoir
Le 7 avril, six mois après l’attaque surprise du Hamas dans le sud d’Israël, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait assuré aux Israéliens que le pays n’était « qu’à un pas » de la « victoire totale » contre le groupe terroriste, cette « victoire totale » qu’il n’avait cessé de promettre depuis le début de la guerre.
Ce « pas » à effectuer avant l’incontestable triomphe avait semblé être la conquête de Rafah par l’armée israélienne – une conquête que Netanyahu avait garantie contre vents et marées.
Concernant (au moins) ce raid dans cette ville du sud de Gaza, le Premier ministre avait tenu parole : le 6 mai, les chars et les forces d’infanterie israéliennes avaient fait leur entrée à Rafah, se saisissant de la majeure partie des bataillons du Hamas qui avaient jusque-là étaient épargnés par les soldats.
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Les combats s’étaient déroulés bien mieux que ne l’avaient prédit les amis d’Israël dans le monde. En l’espace de deux semaines, l’État juif avait réussi à évacuer presque un million de civils alors que les experts américains avertissaient que de longs mois seraient nécessaires pour y parvenir.
L’agence d’aide humanitaire des Nations unies avait lancé une mise en garde quelques jours avant l’incursion, affirmant que des centaines de milliers de personnes allaient courir « un risque mortel imminent » si Tsahal décidait de lancer son offensive à Rafah. A l’exception d’un bombardement survenu à proximité d’un camp de déplacés qui a entraîné la mort de dizaines de civils, le bilan humain général est resté limité et les prévisions les plus sombres ne se sont pas matérialisées.
Plus de 550 terroristes ont été tués et des dizaines de tunnels ont été découverts, a fait savoir l’armée.
L’opération si vantée de Rafah touche dorénavant à sa fin. Le commandant de la Brigade Givati, Liron Betito, a indiqué la semaine dernière qu’elle serait terminée dans les quatre semaines à venir.
« Le Hamas sera bientôt vaincu à Gaza », a affirmé le commandant de l’armée de l’air, Tomer Bar, dans la journée de jeudi.
Au début de la semaine prochaine, Tsahal devrait officiellement annoncer que le Hamas a essuyé de graves dégâts dans ses moyens militaires. Ensuite, l’armée devrait amorcer la phase suivante de la guerre – des raids contre le groupe terroriste qui s’effectueront sur la base de renseignements, au moment où l’organisation tentera de relever la tête et de se reconstruire là où les soldats ont d’ores et déjà combattu.
Mais il est difficile de dire comment Israël fera la transition entre la fin des opérations majeures menées dans le cadre du conflit et la « victoire totale » promise par Netanyahu, une victoire qui ne pourra être pleinement tenue pour acquise que quand tous les objectifs poursuivis par Tsahal auront été atteints. Ces objectifs comprennent l’élimination du Hamas en tant que force militaire et en tant que régime, le rapatriement des otages et l’élimination définitive de la menace que représente la bande pour Israël.
Le Hamas est toujours là
Le Hamas a été ravagé, c’est indubitable. Bien plus de la moitié de ses forces armées ont été tuées, blessées ou capturées. L’organisation a perdu une grande partie de son principal atout stratégique, son réseau de tunnels, et son arsenal de roquettes est devenu l’ombre de ce qu’il était auparavant. De surcroît, Israël contrôle dorénavant la frontière avec l’Égypte, cette frontière par laquelle affluaient, en surface ou sous la terre, les armes mises au service de l’organisation terroriste.
Et pourtant, le Hamas n’est pas vaincu. La majorité de ses chefs, notamment Yahya Sinwar et Mohammed Deif, sont encore en vie, cachés quelque part dans les tunnels du sud de Gaza, restant aux commandes de l’organisation.
Le Hamas est encore la seule force en capacité de reprendre le contrôle de la bande une fois qu’Israël se sera retiré du territoire. Pour le moment, à la minute où les militaires ont été redéployés ailleurs, le Hamas a relevé la tête pour réaffirmer sa mainmise sur les zones qui avaient été abandonnées par les soldats.
L’État juif se prépare à de nombreuses années de combat à Gaza et à des raids militaires constants qui viseront à toujours réduire davantage les capacités du Hamas, comme c’est déjà le cas en Cisjordanie.
Un scénario qui pose néanmoins deux problèmes majeurs.
Le premier, c’est qu’il n’y aura pas d’accord conclu qui permettra de garantir que les 116 otages encore conservés en captivité – un grand nombre d’entre eux ne seraient plus en vie – pourront revenir en Israël.
Les États-Unis – aux côtés du Qatar et de l’Égypte – exercent des pressions concertées sur le Hamas, depuis que ce dernier a rejeté la dernière offre d’accord israélienne qui avait été présentée par le président américain Joe Biden, le 31 mai. La rhétorique utilisée par Washington a changé de manière notable alors que sa frustration face au groupe terroriste ne fait que croître.
Matthew Miller, le porte-parole du Département d’État américain, a pour la toute première fois déclaré, mardi, que la réponse apportée à la proposition israélienne de cessez-le-feu par le groupe terroriste équivalait à un rejet de sa part.
« A un moment dans des négociations », a indiqué le Secrétaire d’État américain Antony Blinken, il y a deux semaines, « et cela a été fait de long en large depuis maintenant longtemps, il y a donc un moment où, si une partie change ses revendications – notamment en soumettant des demandes sur des points qui avaient d’ores et déjà été convenus – il faut s’interroger sur la bonne ou sur la mauvaise foi de sa démarche dans les pourparlers. »
Selon le Wall Street Journal, l’Égypte et le Qatar ont menacé les chefs de l’organisation terroriste de sanctions, agitant le spectre du gel de leurs avoirs, de leur expulsion de la capitale qatarie – voire d’une éventuelle arrestation.
Mais rien n’a fonctionné – et cela ne devrait probablement pas changer à l’avenir. Le Hamas a des intérêts en jeu qui n’évolueront pas, en particulier en ce qui concerne la survie de l’organisation et celle de ses dirigeants. Les otages sont une assurance-vie qui permettent au groupe terroriste d’anticiper qu’il sortira de la guerre en ayant conservé sa cohérence, ayant en cela remporté la victoire. Il n’y a aucune raison que le Hamas accepte d’abandonner un grand nombre d’otages contre quoi que ce soit d’autre que la victoire.
Tous les regards se portent vers le nord
Deuxième point : ce scénario israélien signifie que les hostilités contre le Hezbollah, dans le nord du pays – des hostilités qui ne cessent de se renforcer – ne s’apaiseront pas grâce à un accord de cessez-le-feu à Gaza et qu’en conséquence, plus de 60 000 Israéliens resteront des réfugiés dans le pays qui est le leur dans un avenir proche.
Le Hezbollah avait commencé à attaquer le nord d’Israël en date du 8 octobre, avec pour objectif d’exercer des pressions sur Israël pour soutenir le Hamas, mais il a indiqué à de multiples reprises que ces frappes cesseraient si les combats à Gaza devaient se terminer. « Le lien entre le front libanais et le front de Gaza est clair et définitif, » avait souligné le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, au mois de mai. « Personne ne peut les séparer l’un de l’autre ».
L’administration Biden a mené des initiatives diplomatiques significatives par le biais de son envoyé spécial Amos Hochstein, qui a fait quatre déplacements à Beyrouth et à Jérusalem, dans le cadre de tentatives visant à apaiser les hostilités – en vain.
Washington et Jérusalem espèrent dorénavant que la conclusion des combats intenses à Gaza donnera au groupe terroriste chiite « la porte de sortie » dont il a besoin pour arrêter ses agressions.
Le Hezbollah a très certainement des raisons de vouloir calmer la situation dorénavant. Alors que la possibilité de prendre par surprise Israël par un raid des forces spéciales a disparu après la réussite de l’attaque du Hamas, le 7 octobre, il s’avère qu’Israël a de nombreux avantages dans un conflit qui se base sur le renseignement. Israël sait où se trouvent les commandants et les dépôts d’armes du groupe terroriste, et le pays est en capacité de les frapper avec précision.
Le bilan des pertes, quelles que soient leur nature, penche clairement en faveur d’Israël avec un ratio de 20 contre 1. Les unités et les infrastructures des forces spéciales Radwan du Hezbollah, près de la frontière – qui sont au cœur du plan d’invasion de la Galilée qui a été ourdi par le groupe terroriste – ont été refoulées. Des commandants de premier plan ont été éliminés.
Les attaques israéliennes dans le sud du Liban ont créé une « zone morte » dans un périmètre d’environ trois kilomètres au-delà de la frontière avec l’État juif, selon le Financial Times.
Et pourtant, le Hezbollah ne semble guère avoir l’intention de se replier. Il a obtenu de nombreuses armes, et notamment des drones dernière génération, de la part de l’Iran. Il les utilise de plus en plus pour attaquer les troupes et, ce qui est plus inquiétant, pour tester et étudier les systèmes israéliens de défense antiaérienne.
Et plus important encore, il montre à ses partisans et à ses patrons iraniens qu’il est un élément crucial dans les efforts livrés pour détruire l’État juif – une possibilité que l’Iran semble trouver de plus en plus envisageable.
Au vu de cette réalité, il y a des appels croissants – et l’espoir aussi – d’une guerre initiée par Israël au Liban. Les renseignements américains s’attendent à une escalade majeure entre Israël et le Hezbollah dans les prochaines semaines, en l’absence d’un cessez-le-feu avec le Hamas.
Mais si tel est le cas, il n’est nullement garanti que tous les problèmes seront résolus, comme certains paraissent pourtant le croire.
Israël pilonnera le Liban et le Hezbollah depuis le ciel et le Hezbollah infligera plus de dégâts aux villes israéliennes que cela n’a jamais été le cas, dans le passé, pour un ennemi de l’État juif. Les forces terrestres israéliennes se heurteront aux meilleurs défenseurs du groupe terroriste – mais le chef d’état-major, en 2019, avait reconnu que les troupes n’étaient pas préparées à remporter une victoire décisive sur le terrain contre l’organisation chiite. Et non seulement ce processus de préparation n’était pas terminé le 7 octobre, mais neuf mois de combats à Gaza ont épuisé l’armée.
La guerre s’achèvera par un nouveau cessez-le-feu assorti de garanties internationales, de la même manière que s’étaient terminés les conflits précédents. Il n’y a aucune raison que les évacués – ou qui que ce soit d’autre – accordent plus de crédit à une nouvelle Résolution potentielle du Conseil de sécurité de l’ONU qu’à la Résolution 1701, qui a fait la démonstration de son incapacité à conserver les forces du Hezbollah au nord du fleuve Litani.
La fin de la route ?
Alors que Biden et de Netanyahu se heurtent à des choix de plus en plus difficiles pour atteindre leurs objectifs au Moyen-Orient, les deux hommes doivent aussi faire face à la perspective d’un avenir politique incertain.
Après que le leader du parti HaMahane HaMamlahti a quitté le gouvernement d’urgence auquel il avait apporté le renfort de ses huit députés, le 9 juin, il ne reste plus à Netanyahu que sa coalition initiale de 64 membres, qui est constituée de factions de droite, d’extrême-droite et ultra-orthodoxes.
Et les tensions sont vives au sein de l’alliance. La décision prise par Netanyahu, la semaine dernière, de retirer un projet de loi très controversé qui renforçait les pouvoirs du grand rabbinat, soutenu par l’État, de l’agenda de la Knesset a sapé la confiance portée par les deux formations Haredim, Yahadout HaTorah et le Shas, dans les capacités du Premier ministre à promouvoir leurs intérêts.
Suite au retrait de la législation, les alliés ultra-orthodoxes du chef du gouvernement ont dit être inquiets, craignant que Netanyahu ne soit pas en mesure de faire avancer un texte portant sur l’exemption de service militaire des jeunes hommes de la communauté, comme il l’avait pourtant promis.
Venant s’ajouter aux difficultés de Netanyahu, la Haute cour de justice a ordonné à l’unanimité, cette semaine, l’intégration des étudiants haredim en yeshiva au sein de Tsahal.
Les partenaires d’extrême-droite de la coalition – le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir et le ministre des Finances Bezalel Smotrich — ont menacé de quitter la coalition si le Premier ministre devait accepter un accord sur les otages qui mettrait un terme à la guerre à Gaza et qui laisserait le Hamas au pouvoir.
Netanyahu maîtrise parfaitement l’art de maintenir autour de lui une coalition – mais la conserver intacte s’avère être un défi de plus en plus difficile à relever, et les capacités du Premier ministre à prendre les bonnes décisions politiques est de plus en plus entravée. Un accord sur les otages, même s’il était rendu possible d’une manière ou d’une autre, menacerait sa survie politique. Tout comme ce serait le cas d’autre un projet de loi sur le service militaire des jeunes ultra-orthodoxes, un texte qui apporterait un coup de pouce désespérément nécessaire à l’armée en lui permettant de renforcer le nombre de ses recrues masculines, tout en donnant une bouffée d’oxygène aux réservistes qui portent le fardeau de la sécurité nationale.
Même le dernier atout qui se trouve entre les mains d’Israël est difficile à jouer pour Netanyahu. A ce stade, le moyen le plus efficace d’exercer des pressions sur le Hamas serait de lentement remplacer sa gouvernance alors qu’il reste terré dans les tunnels.
Mais sa crainte de la réaction des partis de droite de sa coalition empêche Netanyahu de mettre en place un plan cohérent pour « le jour d’après » le Hamas, un plan qui impliquerait une présence de l’Autorité palestinienne sous une forme ou une autre et un soutien de la part des puissances arabes.
A la place, Israël fait des allusions à un plan qui serait actuellement préparé par l’armée et dont rien n’a filtré. Il commencera à être mis en œuvre dans les prochains jours dans le nord de la bande, a fait savoir mardi le Conseiller à la sécurité nationale, Tzachi Hanegbi. Mais en l’absence d’explications précises sur la nature de cette vision de l’après-guerre, il sera presque impossible de convaincre les partenaires arabes de s’investir dans ce projet.
De plus, après la performance catastrophique du président Biden lors du débat qui l’a opposé à Donald Trump, jeudi soir, les démocrates semblent prendre conscience du fait que le président est perçu comme un homme fatigué qui devra être remplacé s’ils veulent s’assurer que Donald Trump ne quitte& pas son domaine luxueux de Floride.
Si une telle initiative, qui serait sans précédent, devait arriver, il est difficile de dire dans quelle mesure elle affecterait les six derniers mois de mandat de Biden à la Maison Blanche. Ignorera-t-il les inquiétudes antérieures portant sur les réserves émises à son égard par les électeurs progressistes ? Continuera-t-il à agir pour la sécurité d’Israël, une question qui le préoccupe profondément ? Ou est-ce que les responsables de la Maison Blanche qui voudront rester au cœur d’une nouvelle présidence Démocrate – Kamala Harris et Gavin Newsom pourraient être de potentiels candidats – choisiront d’affirmer avec plus de force ce qu’est leur propre vision du monde, éloignant graduellement Biden du processus décisionnaire ?
Une stratégie commune ?
Les deux leaders vétérans ont encore une chance de placer leurs besoins politiques et leurs désaccords personnels de côté, et de convenir d’une stratégie commune qui décidera de la prochaine phase – cruciale mais encore opaque – de la lutte contre un Iran qui se présente ici sous la forme du Hamas et du Hezbollah.
Netanyahu se rendra à Washington dans moins d’un mois pour prendre la parole lors d’une session conjointe au Congrès. Le Premier ministre y aurait la possibilité de présenter une vision pour l’après-guerre et pour la question palestinienne plus largement, une vision qui serait susceptible de rallier derrière elle Biden et le parti Démocrate.
Si le sort réservé à Biden s’est éclairci d’ici là, Netanyahu n’aura pas à s’inquiéter d’un éventuel second mandat du président. Il pourra rendre hommage à ce sioniste de longue date pour ses décennies de soutien (mais pas trop toutefois pour ne pas contrarier Trump) et pour avoir permis aux démocrates d’avoir fait la démonstration de leur bonne volonté.
Biden, de son côté, pourra demander à ses alliés, au Congrès, d’écouter respectueusement le discours prononcé par le Premier ministre israélien et, plus important encore, il pourra enfin inviter Netanyahu à la Maison Blanche à l’occasion d’une importante démonstration d’unité, avec une opportunité donnée d’échanger en profondeur sur de potentielles stratégies.
S’ils refusent d’emprunter cette voie, les capacités à atteindre les objectifs que les deux hommes se sont fixés depuis le 7 octobre seront gravement mises en péril. Et l’Iran redoublera d’efforts dans sa stratégie de domination de la région – une domination qui rendrait beaucoup plus probable de nouveaux bains de sang dans les années à venir.
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