À 83 ans, l’illustre chorégraphe israélienne Rina Schenfeld a soif de scène
L’égérie de la danse moderne a toujours besoin de son public et continue d'inventer de nouvelles formes de relations avec lui
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette année fut créative pour la célèbre danseuse et chorégraphe Rina Schenfeld.
La pandémie l’a contrainte à rester seule chez elle. Mais cela ne l’a pas empêchée d’écrire des chansons. A 83 ans, elle n’a jamais cessé de danser – dans son lit, sur le balcon avec une poupée, avec le mur et parfois même avec un sac en plastique.
Et aujourd’hui elle est prête à interpréter « The Diary » (Le journal), une œuvre qu’elle a créée et qui sera présentée dans l’espace intime de son studio de Tel Aviv, lors de deux représentations prévues jeudi et vendredi devant une vingtaine de spectateurs.
« Cette année m’a beaucoup appris. Mais ça suffit », a déclaré Schenfeld. « Pour la danse, ce ne fut pas facile. J’ai trouvé le moyen de continuer à être créative, ce qui me donne à la fois confiance et du bonheur. »
Ce furent des mois de création obsessionnelle : écrire des chansons la nuit et danser le jour. Elle se demandait si elle voudrait danser à nouveau devant un public. Elle s’interrogeait sur le rôle du public et celui du danseur.
Schenfeld a conclu qu’il n’est nul besoin « d’être jeune, jolie ou sexy pour se présenter devant le public », mais de le faire pénétrer dans son univers et lui permettre d’avoir sa propre expérience.
« Je n’avais jamais vraiment pensé auparavant que mon travail consiste à voir, à apporter ma propre expérience, de faire corps avec le public et réciproquement. »
Les chansons qu’elle a composées durant cette période n’ont pas été écrites uniquement pour accompagner la danse, mais comme une voix qui se développe en toute autonomie, jouant alternativement avec ou contre elle.
« Je dis les chansons et elles me répondent », explique-t-elle.
Après avoir étudié le ballet lorsqu’elle était jeune adolescente à Tel-Aviv et avoir vu à vingt ans, Martha Graham sur scène, Schenfeld souhaite développer son propre style de danse moderne.
Elle part étudier à la Julliard School de New York, avec Graham et d’autres grands chorégraphes.
En 1964, Graham et la baronne Batsheva de Rothschild fondent la Batsheva Dance Company de Tel-Aviv et choisissent Schenfeld comme première danseuse et chorégraphe. Elle crée alors son propre style éclectique qui utilise également des objets et qu’elle va promouvoir durant 47 ans au Rina Schenfeld Dance Theatre.
Le New York Times la considère comme « l’une des artistes les plus importantes de sa génération ».
« J’ai un besoin continuel de créer », déclare Schenfeld. « C’est la chose la plus importante de la vie. Les enfants créent tout le temps quand ils jouent. Je le vois bien avec mes petits-enfants. Tous les êtres humains sont censés le faire. »
Alors que la pandémie se développait et qu’Israël entrait et sortait de trois périodes de confinement, Schenfeld avait prévu de présenter son travail au Centre Suzanne Dellal pour la danse et le théâtre (à l’origine Batsheva). Mais les règlements concernant les rassemblements publics n’ont pas cessé de changer, les spectacles étant programmées puis annulés selon les circonstances.
Alors qu’Israël sort de son troisième confinement, que l’on assiste à l’ouverture progressive des institutions culturelles et des théâtres, Schenfeld présentera ses œuvres dans son studio avant de les produire à partir d’avril à Suzanne Dellal.
Elle envisage également de présenter plus tard cette année son nouveau spectacle au Festival d’Israël.
« J’ai tant fait de choses cette année. J’ai joué dans des festivals en ligne. Un documentaire sur ma vie a été filmé. J’ai donné des conférences, construit des archives de mes œuvres en ligne. Du coup je me demandais tout le temps si j’avais vraiment besoin d’un public. Et la réponse fut oui, » a-t-elle expliqué.