A 93 ans, le « violoniste sur le toit » est toujours au travail
Sheldon Harnick est au Royaume-Uni pour une première de sa nouvelle comédie musicale, 'Rothschild & Sons' - et prépare déjà une future opérette
LONDRES – Le parolier Sheldon Harnick a écrit les mots de certains des spectacles les plus connus de l’histoire musicale de Broadway, dont « Fiorello! » (1959), « Elle m’aime » (1963) et « un Violon sur le toit » (1964). Mais, admet Harnick, ni lui ni son partenaire d’écriture, le compositeur Jerry Bock, ne s’attendaient à ce qu’ « Un violon sur le toit » devienne un phénomène aussi international, avec des productions toujours jouées dans le monde entier 50 ans plus tard. Il a valu au duo deux Tony Awards en 1965, et en 1971 il a été adapté dans un film oscarisé avec Chaim Topol.
À près de 94 ans, le parolier basé à New York travaille toujours. Il est à Londres pour la première au Royaume-Uni de « Rothschild & Sons » – une comédie musicale moins connue basée sur le spectacle de 1970 de Harnick et Bock, « The Rothschilds ». L’homme paraît abordable et enjoué.
Dans un hôtel du centre de Londres où il séjourne avec sa femme, Margery, il parle de sa longue et illustre carrière avec modestie et franchise. « The Rothschilds » a été inspiré par le best-seller de Frederic Morton sur la dynastie bancaire et cette version plusieurs fois réécrite a été jouée pour la première fois à Broadway en 2015. Elle raconte l’histoire de Mayer Rothschild et de ses cinq fils et comment, issus de la pauvreté du ghetto juif du 18e siècle à Francfort, ils sont devenus une famille puissante à travers l’Europe.
Harnick a récemment écrit quelques chansons pour cette nouvelle production.
« J’ai décidé de faire la musique moi-même [aussi] et je suis plutôt content du résultat », dit-il avec un sourire. Le spectacle original a marqué la collaboration finale entre Harnick et Bock. Après presque 13 ans de collaboration, et juste six ans après « Le Violon », leur partenariat d’écriture fructueux a pris fin. A cause en partie de désaccords concernant « Les Rothschild ».
« Jerry est devenu extrêmement ami avec notre directeur [Derek Goldby] et le reste d’entre nous a estimé qu’il n’était pas le bon directeur pour le spectacle », explique Harnick.
« Et nous nous sommes un peu éloignés l’un de l’autre à ce moment-là. Je dois aussi dire que je savais, tout le long, que Jerry lui-même était un parolier de premier ordre. Au moment où nous avons rompu, il était, je pense, impatient d’écrire ses propres paroles, ce qu’il a fait », dit-il.
Ils se sont réunis à nouveau de nombreuses années plus tard, peu avant la mort de Bock en 2010, afin d’écrire une nouvelle chanson pour « Le Violon sur le toit ». C’était, dit-il, une expérience étrange.
« Nous nous sommes sentis un peu mal à l’aise mais l’atmosphère s’est réchauffée très rapidement. Je pensais que nous allions revenir à l’ancien style et que nous recommencerions à écrire ensemble, mais il ne voulait pas. Il voulait écrire son propre projet », dit Harnick.
Né en 1924, Harnick a grandi à Chicago, dans un quartier non-juif où il se souvient de l’antisémitisme.
« Il y avait un garçon italien dans la rue en face de moi et chaque fois qu’il m’attrapait seul, il me battait. Mes parents se plaignaient constamment à ses parents et finalement il s’est arrêté mais c’était mon introduction à une sorte d’antisémitisme parce que pendant qu’il me battait, il disait : ‘tueur de Christ’. Bien qu’il y eut peu de Juifs dans le quartier, Harnick dit qu’ils ont réussi à réunir assez de fonds pour acheter une église abandonnée et la transformer en synagogue. Leur rabbin était une source d’inspiration pour le jeune Harnick. « Je l’ai apprécié et pendant un moment j’ai pensé, c’est ce que je veux faire. Je veux être un rabbin comme lui », dit-il.
Mais Harnick n’était « pas un mauvais joueur de violon » et il a ensuite projeté d’être violoniste. « Je pensais que si je pouvais être dans la deuxième section de violon d’une symphonie de second ordre quelque part, je serais au paradis », explique-t-il en souriant à nouveau.
Après son service militaire de trois ans, il a continué à étudier la musique à l’Université Northwestern, même si, finalement, il ne se considérait pas assez bon pour devenir un violoniste professionnel. Harnick était aussi un poète et il explique que quand il était dans l’armée, il a écrit des chansons pour les petites amies de ses camarades soldats. Il dit qu’il a choisi spécifiquement Northwestern en raison de sa revue de collège somptueuse, connue sous le nom de l’Union des hommes de l’Association des femmes athlétiques (WAAMU) et dans sa première année, il a contribué à une chanson. Mais, dit-il, « Au moment où j’ai obtenu mon diplôme, j’avais écrit la moitié du spectacle. » Dans le public il y avait Dave Garroway, un disc-jockey de Chicago bien connu, qui a conseillé à Harnick que s’il voulait faire carrière dans le spectacle musical, il devait aller à New York.
À l’origine, Harnick s’est retrouvé à écrire de nouvelles paroles pour des spectacles qui n’ont pas marché. « Mon implication était purement technique. Le directeur me disait ce qu’il voulait et j’essayais de réaliser tout ce dont il avait besoin. »
Mais au moment où il travaille sur la version musicale de « Shangri-La » au milieu des années 1950, il est présenté à Jerry Bock et « Il s’est avéré que nous avons tout de suite accroché ».
Les deux hommes ont développé une méthode particulière de travail en commun que Harnick n’avait jamais utilisée avec quelqu’un d’autre.
« Une fois que nous avions déterminé l’histoire, Jerry allait dans son studio et commençait à écrire la musique. Et puis à un moment donné, il me donnait une cassette et il y avait peut-être huit à douze chansons. Si deux d’entre elles attiraient mon attention, c’était déjà beaucoup. Mais c’était une merveilleuse façon de commencer parce que j’étais tellement amoureux de ces deux chansons que j’étais impatient d’en écrire les paroles. »
L’expérience leur a appris qu’un bon spectacle dépend de l’importance d’une bonne histoire. « Ma première comédie musicale avec Jerry Bock était ‘The Body Beautiful’ (1958) », raconte Harnick. « Ce n’était pas un livret fort et à cause de cela, le spectacle a été un flop. Il a duré environ cinq ou six semaines et c’était une expérience d’apprentissage. Je ne l’avais pas suffisamment étudié pour savoir quels étaient les pièges, où étaient les faiblesses à travailler. »
« Je pense que j’ai appris rapidement et mon implication depuis lors a été totale. Et au final, je veux dire que j’étudie le livret et que je parle à l’auteur et je lui dis où je pense qu’il y a besoin d’améliorations, je discute avec mon compositeur, je lui dis où je pense qu’il a fait des erreurs ou je le félicite là où il n’y en a pas, »dit-il.
« Un Violon sur le toit » est classé comme l’une des comédies musicales les plus réussies jamais écrites. Harnick croit que son succès sur la longueur est largement dû à son personnage, Tevye (créé par Sholem Aleichem dans son livre, « Tevye the Milkman »).
« Il est l’un de ces personnages centraux, imposants, avec lesquels je pense que tout le monde parvient à s’identifier. Il représente la paternité et la famille », dit Harnick. Ce sujet universel de la famille signifie que, indépendamment du contexte, le public semble se connecter avec l’histoire, bien qu’il ait été placé dans un shtetl au début des années 1900, dit-il. Mon épouse et moi avons une amie qui est une chanteuse bien connue aux États-Unis, Florence Henderson. Quand elle a vu [une reprise] du spectacle à New York », se souvient-il, « elle est venue en courant dans l’allée et a dit, ‘Sheldon, ce spectacle est à propos de ma grand-mère irlandaise !’ »
« Un Violon sur le toit » a également été un triomphe, ajoute Harnick, grâce à son directeur, Jerome Robbins. « Il était formidable, à la fois en tant que chorégraphe, réalisateur et directeur de casting. »
Ses exigences concernant Bock et Harnick étaient élevées, il leur faisait faire plusieurs réécritures mais, « Ca a fini par être un superbe livret [écrit par Joseph Stein] et une superbe partition et ce fut grâce à Robbins qui nous harcelait, disant que telle chanson n’était pas assez bonne, réécrivez-là, encore. Et c’est ce que nous avons fait. »
Au fil des ans, Harnick a vu de nombreuses versions du « Violon sur le toit », mais il a dit que la plus étrange a été la représentation en japonais auquelle il a assisté à Tokyo à la fin de l’année dernière.
« C’était merveilleux parce que la société de production japonaise avait demandé des copies des décors et des costumes originaux et ils les ont dupliqués », explique-t-il. « Les acteurs avaient les yeux bandés, ils avaient l’air occidental et pas particulièrement japonais. Les acteurs avaient participé à beaucoup de plateaux de télévision et étaient des interprètes merveilleux – [le spectacle entier] était formidable. »
Harnick décrit les comédies musicales comme un divertissement polyvalent.
« Une comédie musicale réussie est à la fois émotionnelle et parfois passionnante, rythmiquement et harmoniquement », dit-il.
« Elle atteint des endroits dans notre psyché qui n’atteignent pas toujours le dialogue de sorte que si de bonnes paroles sont bien mises en musique, elles peuvent rendre les paroles encore plus importantes et plus percutantes. C’est une valeur quadruple : la musique, les paroles, le livret et la danse. »
Mais, continue-t-il, le théâtre musical a changé depuis ses débuts. Il attribue cela à l’influence d’Andrew Lloyd Webber.
« Beaucoup de jeunes compositeurs ont tendance à écrire plus de musique, ils font plutôt des opéras pop. Quand j’ai [commencé] sur la scène new-yorkaise, une comédie musicale était à moitié dialoguée, à moitié chantée et maintenant il y a plus de musique, sinon que ça », dit-il.
En 2016, Harnick a reçu un Tony Award pour l’ensemble de ses réalisations au théâtre. Et il travaille toujours.
Qu’est-ce qui le motive encore ?
« J’aime écrire des paroles », explique-t-il. « J’aime trouver une rime que personne n’a déjà utilisée. J’aime la forme et le frisson d’entendre ce qu’un compositeur peut faire à la musique, y compris la mienne. C’est très excitant. »
J’aime trouver une rime que personne n’a déjà utilisée
Harnick est sur le point de commencer à écrire le texte d’une opérette basée sur une pièce française, « A World Where Boredom Reigns » [Un monde où règne l’ennui].
« Malgré le titre, ce n’est pas du tout ennuyeux », dit-il avec un sourire. « J’ai fait une traduction de ‘The Merry Widow’ [La Veuve joyeuse] et je pense que cette pièce peut aboutir à une sorte d’opérette. Il n’y a pas de dates prévues. J’espère juste vivre assez longtemps pour la finir. »
« Rothschild & Sons » se déroule au Park Theatre de Londres jusqu’au 17 février.
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