À Beit Shemesh, les quartiers deviennent haredim, évinçant les autres habitants
Les habitants du quartier Neve Shamir s'insurgent contre les projets visant à transformer ce qui devait être une communauté mixte en communauté ultra-orthodoxe

Quand Daniel avait emménagé avec sa famille dans le quartier de Neve Shamir à Beit Shemesh il y a trois ans, il avait apprécié le fait qu’il y avait beaucoup d’espace au sein de cette nouvelle communauté – qui, de surcroît, répondait aux besoins d’un large éventail de familles religieuses.
« C’est un quartier qui offre une bonne qualité de vie », s’exclame Daniel, qui a acheté sa maison à un prix réduit grâce au programme gouvernemental Mechir Lemishtaken, un programme qui est destiné aux jeunes familles. « Il y a toutes sortes de personnes qui vivent ici, principalement des Haredim ou des membres du mouvement national-religieux, mais il y a aussi un petit pourcentage de laïcs. La majorité des ultra-orthodoxes qui habitent ici travaillent, et certains d’entre eux sont allés faire leur service dans l’armée. Tout le monde est heureux de vivre ensemble et de se côtoyer ».
Mais aujourd’hui, les résidents du quartier de Neve Shamir, qui est également connu sous le nom de Ramat Beit Shemesh Hei, ou E – une lettre qui désigne le cinquième quartier de Ramat Beit Shemesh, après A, B, C et D – s’insurgent contre les projets qui visent à transformer ce qui devait être, à l’origine, un quartier mixte en quartier exclusivement commercialisé en direction des ultra-orthodoxes.
Le sujet a été mis sur le devant de la scène au mois de mars – après que le ministre du Logement, Yitzhak Goldknopf, s’est vanté devant le public qui assistait à une conférence sur l’éducation, à Beit Shemesh, d’avoir utilisé des voies détournées pour faire en sorte de placer le quartier entre les mains de la communauté haredi – à l’exclusion de toutes les autres.
« Ils pensaient qu’il serait ouvert au grand public mais nous avons trouvé le moyen de l’attribuer aux membres de la communauté ultra-orthodoxe », avait dit Goldknopf, des propos immortalisés par une vidéo. « Nous ne sommes pas en mesure de parler ouvertement de tous les détails ».
Ce changement est néanmoins connu depuis près d’un an.

Un nouveau projet immobilier – qui comprend la mise à disposition de 3 438 nouveaux appartements – est actuellement commercialisé dans le cadre du programme Mehir LeMatara. Ce dernier, qui est mis en œuvre par le ministère du Logement, prévoit que l’État s’accorde avec les entrepreneurs et avec les promoteurs immobiliers pour mettre sur le marché un certain nombre d’unités d’habitation à des prix réduits.
L’appel d’offres pour ce projet – qui comprend également des bureaux et des espaces commerciaux – avait été annoncé pour la première fois au mois de décembre 2023, deux mois seulement après que le Hamas a lancé sa guerre contre Israël, le 7 octobre 2023.
Néanmoins, lors du lancement de l’appel d’offres, en mai 2024, une ligne supplémentaire avait été ajoutée à la description du projet : « Le texte comporte des éléments qui conviennent à une population ultra-orthodoxe, ce qui est inattendu », dit Daniel.
Nouveaux quartiers
Situé au sud-est de Beit Shemesh, Neve Shamir ressemble à un chantier en activité, avec des rangées d’immeubles d’habitation qui apparaissent à différents stades d’avancée des travaux. Un peu plus d’un millier de familles vivent actuellement dans le quartier, sur les quelque 2 000 unités de logement prévues, indique Moshe Shitrit, membre de la municipalité de Beit Shemesh.
Alors que le quartier n’en est qu’à ses débuts, les infrastructures communautaires sont extrêmement limitées. « Il n’y a que des immeubles d’habitation. Il n’y a pratiquement pas de magasins ici, et il n’y a que très peu de synagogues officielles », dit Daniel, qui a demandé à utiliser un pseudonyme pour protéger sa vie privée. « Nous devons nous rendre dans l’un des quartiers voisins pour faire nos courses ».

Le jardin de Daniel se trouve sur le bord d’une falaise, surplombant d’autres quartiers. « Après avoir acheté notre appartement, nous avons remarqué qu’une zone ouverte, au bas de la falaise, était en train d’être préparée à des fins de construction, même si cela ne figurait pas dans les plans officiels de la municipalité. Nous avons posé des questions là-dessus, mais les gens ont refusé de nous apporter clairement une réponse. Des années plus tard, nous avons appris qu’ils voulaient construire des immeubles de douze étages à cet endroit. Ce qui va encore davantage congestionner un quartier où il n’y a déjà pas suffisamment d’infrastructures ».
Selon Daniel, le plan prévoit la construction de 809 appartements en enfilade, parallèlement à un immeuble existant de taille similaire qui ne compte que 210 unités de logement. Ce qui signifie qu’il sera rempli de ces petites habitations très denses qui sont habituellement conçues pour les familles haredim à faibles revenus.

« Ce qui est en jeu ici, c’est la qualité de vie », s’exclame Moshe Shitrit, dont le parti, au sein de la municipalité, s’oppose au projet. « Vous pouvez voir dans les plans de planification qu’ils cherchent à rendre le quartier encore plus peuplé, qu’ils veulent ajouter plus de synagogues tout en ayant moins d’infrastructures consacrées à la culture et au sport. Les gens qui ont acheté des maisons ici s’attendaient à un autre type de communauté ».
« Je n’ai pas envie de dire qu’il y a un conflit entre les communautés ultra-orthodoxe et laïque », précise Shitrit. « Un grand nombre des opposants au projet sont eux-mêmes haredim parce qu’ils ne veulent pas vivre dans un quartier qui serait exclusivement haredi, ce qui est en train d’arriver ».
Guerres de territoire
Avec une population forte d’environ 150 000 habitants, Beit Shemesh et ses différents quartiers ont connu différents conflits sociaux dans le passé. Hébergeant, à l’origine, des habitants qui étaient en majorité de nouveaux immigrants venus des pays arabes dans les années 1950, la ville a finalement été « découverte, » dans les années 1990, par des immigrants anglophones qui y ont vu une banlieue bon marché qui était située à proximité des deux plus grandes villes du pays, Jérusalem et Tel Aviv.
Les groupes ultra-orthodoxes avaient également commencé à acheter des maisons à Beit Shemesh dans les années 1990 – et ils représentaient jusqu’à 40 % de la population de la localité en 2011. Au fur et à mesure que les ultra-orthodoxes ont gagné en nombre (et en pouvoir), les membres des autres communautés, laïcs ou appartenant au mouvement national-religieux, des communautés dont le taux de natalité est plus faible, ont été de plus en plus poussés à la marge des quartiers. Les cas de ségrégation forcée et de coercition religieuse sont devenus de plus en plus fréquents alors que les « guerres de territoire » prenaient forme autour des groupes haredim qui se taillaient des espaces adaptés à leur mode de vie rigoureux sur le plan religieux.
Aujourd’hui, 70 % de la population de Beit Shemesh est ultra-orthodoxe, fait remarquer Shitrit, avec un paysage tentaculaire d’enclaves qui accueillent différentes communautés de diverses tendances ou origines religieuses. D’une manière générale, les quartiers de Ramat Beit Shemesh A et C sont populaires auprès des immigrants anglophones éduqués qui appartiennent à la communauté haredi, tandis que Ramat Beit Shemesh B accueille dorénavant des communautés aux idéologies plus extrêmes.
« Il y a une dizaine d’années, au moment où la ville continuait à s’élargir, le Likud a conclu un accord avec les partis haredim qui visait à diviser la ville », explique Shitrit. « Il a été décidé que Ramat Beit Shemesh D serait réservée aux ultra-orthodoxes et que Ramat Beit Shemesh E serait réservée à la population générale ».
Dans la mesure où une partie de Ramat Beit Shemesh E avait été prête avant Ramat Beit Shemesh D, de nombreuses familles haredim avaient également choisi d’y acheter des maisons – tout en respectant, de manière générale, la diversité des idées au sein de cette communauté majoritairement issue du courant national-religieux.
« Il y a bien eu quelques familles extrémistes au sein de la communauté dès le début, mais dans l’ensemble, tout le monde s’est très bien entendu », indique Daniel.

Les problèmes ont commencé lorsque la deuxième phase de planification des travaux, à Ramat Beit Shemesh E, a débuté, indique Shitrit. « Soudainement, les ultra-orthodoxes ont commencé à revendiquer le quartier en affirmant qu’il n’y avait jamais eu d’accord. Et c’est ce qui se passe maintenant avec ce nouvel appel d’offres ».
La version de l’histoire qui est avancée par le ministère du Logement est différente. Il affirme que les faits ont changé sur le terrain.
« C’est très simple. La municipalité est entrée en contact avec le ministère du Logement et elle lui a dit que si elle avait prévu de construire un quartier mixte il y a dix ans, un tel projet ne reflétait plus la réalité telle qu’elle se présente aujourd’hui sur le terrain », a commenté un porte-parole du ministère. « La quasi-totalité de la population est haredi et il n’y a aucun intérêt à installer dans ce quartier une communauté mixte. De plus, nous nous sommes engagés auprès des entrepreneurs qui construisent à cet endroit à veiller à ce que le projet soit commercialisé avec succès – et le fait de dire, dès le départ, qu’il s’agira d’une communauté ultra-orthodoxe contribuera à en garantir la réussite ».
Parvenir rapidement à un accord qui permettra de gérer les querelles similaires qui ne manqueront pas de faire leur apparition dans les années à venir sera crucial.
Beit Shemesh a été l’une des villes israéliennes dont la croissance a été la plus rapide au cours des deux dernières décennies, et un nouveau plan-directeur prévoit de largement multiplier par trois la population, qui pourra ainsi atteindre les 500 000 habitants dans les décennies à venir. Ce qui signifie que l’issue de cette saga créera probablement un précédent pour les futurs plans de construction.
Tendances nationales
L’élargissement des communautés haredim dans de nouveaux secteurs n’est pas l’apanage de Beit Shemesh. Il s’agit d’un phénomène national qui est attribuable en grande partie à des facteurs démographiques et économiques, explique Itschak Trachtengot, spécialisé dans les politiques économiques pour les communautés ultra-orthodoxes au sein de l’Université hébraïque.

« Traditionnellement, les Haredim ont toujours préféré se rassembler dans leurs propres quartiers, d’abord à Jérusalem et à Bnei Brak, puis, à partir des années 1980 et 1990, dans des villes-satellites comme Modiin Illit, Elad, Beitar Illit et Beit Shemesh », indique Itschak Trachtengot.
« Mais au fil des ans, au fur et à mesure que leur nombre a augmenté – et que le coût du logement a grimpé – ils ont commencé à s’installer dans des villes et dans des quartiers mixtes et laïcs. Vous pouvez le constater dans des villes comme Safed, Tibériade, Afula, Kiryat Gat, Kiryat Malachi, Ashdod. Un grand nombre d’entre elles comptent aujourd’hui dans leur population 25 % d’ultra-orthodoxes, sinon plus ».
Un schéma qui devrait continuer à se reproduire, selon Trachtengot. Le site d’information hébréophone Mida a annoncé qu’un certain nombre de projets liés au programme Mehir LeMatara, qui ont été réexaminés dans le pays, privilégient dorénavant le secteur haredi – c’est notamment le cas des communautés de Karmei Gat Ouest, de Rechasim et d’Elad.
« C’est très important de comprendre qu’en raison de l’organisation de leurs structures communautaires, lorsqu’un certain nombre de Haredim s’installent dans un endroit donné, beaucoup d’autres s’y installent également », explique Trachtengot. « Par conséquent, en raison de la croissance de la communauté, qui représente aujourd’hui près de 14 % des résidents de l’État d’Israël, on peut raisonnablement s’attendre à ce que vingt autres villes deviennent ultra-orthodoxes au cours des dix prochaines années ».
Même si les responsables des autorités locales et des villes ne sont pas en mesure de stopper cette tendance, il est déterminant qu’ils reconnaissent cette réalité et qu’ils s’y préparent, note Trachtengot.
« Comment peut-on se préparer au préalable à une telle situation ? La première chose à faire, c’est de trouver ceux qui, au sein de la population haredi, s’intéressent à la possibilité de cohabiter avec d’autres communautés et il faut leur donner les moyens de créer un environnement où ils s’intègreront, où ils ne s’isoleront pas », explique Trachtengot. « Ensuite, il faut créer des possibilités d’emploi qui seront adaptées à leurs besoins particuliers ».
C’est une réalité qui est constatée dans tout le pays, note Trachtengot. « Si vous ne vous y préparez pas, vous continuerez à assister aux conflits auxquels vous avez assisté à Beit Shemesh et ailleurs ».
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