À Cannes, Nadav Lapid évoque « la censure qui devient une partie de votre âme »
Le réalisateur du film "Le genou d'Ahed" a lancé une attaque virulente contre ce qu'il considère comme des tentatives du gouvernement israélien de réduire les cinéastes au silence
La star montante du cinéma israélien Nadav Lapid a lancé une attaque virulente ce qu’il a décrit comme la censure dans son pays avec le film « Le genou d’Ahed », présenté à Cannes mercredi, où la politique rend selon lui les citoyens « malades et aveugles ».
Comme « Synonymes », film inspiré de sa propre expérience sur un jeune homme en rupture avec son pays, qui déménage à Paris en tentant de cacher son origine israélienne, Ours d’Or en 2019, « Le Genou d’Ahed » est en partie autobiographique, filmé et monté de manière abrupte.
Cette histoire d’un réalisateur, Y, (interprété par Avshalom Pollak) invité à projeter son dernier film dans un village reculé d’une région désertique, fait écho à son propre vécu d’artiste.
À son arrivée, pour que la projection puisse avoir lieu, une jeune fonctionnaire éprise d’art et de littérature (Nur Fibak), lui demande, sur instruction du ministère de la Culture, de signer un formulaire dans lequel il s’engage à n’aborder qu’une liste restreinte de sujets.
L’art peut-il combattre la censure ? La liberté d’expression est-elle défendable dans un pays en guerre permanente ? Autant de questions qu’aborde Nadav Lapid dans le film.
« Ce qui est triste en Israël, c’est qu’il n’y a pas besoin de mettre des tanks en face de l’Israeli Film Fund (le fonds chargé de soutenir le cinéma israélien, ndlr), il n’y a pas besoin d’arrêter un réalisateur et de le jeter en prison comme en Russie », a expliqué le cinéaste de 46 ans dans une interview à l’AFP. « Il suffit juste de dire ‘assez parlé de politique les gars, parlons juste famille' ».
« Brûlons! »
« Ce qui m’ennuie » c’est « quand la censure devient une partie de votre âme, de votre esprit », qu’elle vient « de l’intérieur. Elle vous accompagne comme une ombre », poursuit-il.
Lapid avance que ce qu’il estime être de la censure en Israël s’est développée sous les gouvernements de droite, en particulier sur la façon dont sont traités les Palestiniens. Permettant au passage aux artistes de mieux comprendre ce qu’est la répression : auparavant « le pays imposait une forte oppression à une partie de sa population mais dans le même temps les réalisateurs jouissaient d’une liberté totale. Ça devenait presque une blague ».
Désormais, le pouvoir « dit : nous dominons le pays, pourquoi ne pas dominer aussi le cinéma ? Mais peut-être que c’est une bonne chose. Je ne pense pas que les réalisateurs doivent être protégés. Comme réalisateurs, vous ne pouvez pas rester pour toujours en haut de la montagne à voir les vallées s’embraser. Maintenant, le feu nous rattrape. Brûlons ! », lance le réalisateur.
Selon lui, la fin de 12 ans de pouvoir de Benjamin Netanyahu ne va pas changer les choses : « je ne pense pas qu’il y ait de raison que les choses qui comptent réellement dans la société israélienne changent avec la nouvelle configuration politique ». « La maladie est toujours là, les gens sont toujours totalement aveugles. L’âme israélienne vit toujours avec cette victimisation sans fin », ajoute-t-il.
Mais « Le genou d’Ahed » est aussi un avertissement : lutter constamment contre le système peut aussi se retourner contre nous.
« Je ne crois pas faire des films de droite ou de gauche, ils sont plein de contradictions. À la fin du film, vous voyez que s’opposer à l’Etat est le seul choix possible, mais en fait, au final, vous continuez d’avoir les mêmes problèmes que ceux que vous étiez en train de combattre… ».