A la frontière libanaise, les artistes d’un village arabe chrétien travaillent malgré la guerre
Pour la peintre Rima Khoury et le forgeron Walied Khoury, les roquettes du Hezbollah et les évacuations font mal, émotionnellement et financièrement, mais leur art les aide à tenir
Dès qu’il y a une accalmie dans les tirs de roquettes du Hezbollah depuis le sud du Liban, deux artistes de Fassuta, petit village arabe chrétien situé à moins de quatre kilomètres de la frontière libanaise, en profitent pour exercer leur art.
« En pleine guerre, il m’est impossible de m’exprimer avec des mots », explique Rima Khoury, professeure d’anglais et fondatrice de Beit Rima, galerie d’art et centre communautaire pour femmes et filles à Fassuta.
« Je suis Israélienne, ce pays est le mien, et la seule façon d’exprimer ce que je ressens, c’est l’art, les couleurs. »
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Khoury a peint plusieurs tableaux depuis le début de la guerre, le 7 octobre dernier, lorsque des milliers de terroristes du Hamas se sont infiltrés dans le sud d’Israël, pour y massacrer 1 200 personnes et en kidnapper 240, ce à quoi Israël a riposté en menant une campagne militaire destinée à libérer les otages et chasser le Hamas du pouvoir.
Mais Beit Rima, l’endroit où elle donnait ses cours d’art aux filles en plus d’accueillir Diwan Nisswan – un club de femmes qui, selon Khoury, réunit des centaines de femmes de tous les coins d’Israël – est fermé pour une durée indéterminée en raison des attaques quasi quotidiennes du Liban, qui, aux dires des forces dirigées par le Hezbollah, viennent en soutien au Hamas.
« Fassuta n’est pas la Fassuta que nous connaissons », affirme Khoury, qui est âgée de 54 ans.
Pas d’évacuation obligatoire pour ce village isolé de quelque 3 400 habitants, parcouru de petites rues pavées sinueuses, comme en dehors du temps, mais plus de la moitié des habitants sont partis et les accès sont restreints.
« En temps de guerre, chaque jour est un nouveau défi », dit-elle. « On entend et voit tomber les bombes. Mais je fais en sorte que chaque journée soit pleine d’activités positives. Nous n’abandonnerons jamais l’espoir. »
Khoury, qui est titulaire d’une maîtrise en études de genre de l’Université Bar-Ilan, espère pouvoir reprendre ses cours d’art. Cela lui manque, dit-elle, pas tant pour elle-même que pour les filles. À l’école primaire du village, où elle enseigne, elle doit accompagner les enfants jusqu’à l’abri anti-aérien lorsque les sirènes retentissent.
Les filles passent du « rire aux larmes en l’espace de 60 secondes ».
« Le bilan de cette guerre sera lourd pour elles », dit Khoury. « Certaines choses resteront gravées dans leur mémoire. Espérons que nous pourrons aussi y graver de bons souvenirs.
Le service militaire n’est pas obligatoire pour les habitants de ce village, mais certains hommes servent dans l’armée ainsi que dans la police des frontières. Khoury explique qu’avec d’autres femmes de Fassuta, elle prépare régulièrement des petits plats pour les soldats stationnés près du village.
« Nous leur faisons des soupes pour qu’ils aient des mères ici aussi, en plus de celle qui les attend à la maison », dit-elle. « À Noël, des familles ont rendu visite aux soldats. Ils prennent soin de nous et nous prenons soin d’eux. »
Khoury a également invité les soldats à venir à Beit Rima, qui fut la maison de son grand-père, le mukhtar ou chef de Fassuta, et qu’elle a rénovée. Elle a raconté aux soldats l’histoire de « l’endroit secret » où elle garde la clé, que, dit-elle en riant, « tout le monde à Fassuta connaît ».
« Je vois la guerre »
Non loin de là, le forgeron Walied Khoury, âgé lui de 56 ans, un parent éloigné de Rima Khoury, tente de travailler dans son atelier de forge chaque fois qu’il y a une pause dans les combats entre Israël et le Hezbollah. Walied Khoury est l’un des huit derniers forgerons en activité dans tout Israël.
« Si c’est calme et qu’il n’y a pas trop de roquettes, j’essaie de travailler », dit-il. « Mais c’est difficile parce que pour créer, il faut être au calme. »
Depuis sa fenêtre, qui ouvre sur les lignes de front et sur le sud du Liban, Khoury dit : « Je peux voir la guerre. » Jusqu’à présent, les attaques du Hezbollah ont coûté la vie à six civils israéliens et à neuf soldats de Tsahal.
En temps ordinaire, le forgeron, qui a remporté de nombreux prix pour ses sculptures, anime des ateliers dans lesquels il explique les techniques de forge et invite les participants à s’essayer à l’artisanat ancien. Khoury réalise des cadres de lit, des chandeliers et des objets décoratifs pour les touristes qui viennent traditionnellement à Fassuta au moment de Noël, de loin la période la plus animée pour le village, mais cette année, « personne n’est venu ».
Il a donc créé un site Internet marchand, mais il a du mal à joindre les deux bouts.
« La guerre apporte un tel lot de tristesse », dit-il. « C’est tellement dur pour nous spirituellement, financièrement, pour tout. »
Un temps commercial pour ses parents, qui possédaient une usine de transformation de viande, Khoury a appris la forge par nécessité pendant la deuxième guerre du Liban, en 2006.
Il lui fallait réparer un escalier métallique, chez lui, mais personne n’avait le savoir-faire requis. Il s’est donc formé lui-même et s’est rendu compte, chemin faisant, que cela lui plaisait. Il a regardé des vidéos sur YouTube – il chauffe d’ailleurs son fer dans un four qu’il a appris à construire en regardant des vidéos – et a étudié avec le maître forgeron Uri Hofi, du kibboutz Ein Shemer, décédé en 2023.
« Il faut y croire, même si c’est difficile », dit Khoury, qui, comme la plupart des autres villageois, est grec-melkite catholique.
Il y a peu, un après-midi, à la faveur de ce que Khoury a perçu comme une pause dans les combats, il en a profité pour forger une sculpture représentant deux mains tendues en forme de cœur.
« Les mains symbolisent deux nations qui aspirent à la paix », dit Khoury, espérant que « nous retournerons tous à notre vie de tous les jours, ensemble. »
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