A la frontière syrienne, une ville kurde tranquille en 2018, avant la tempête
L'année dernière, à Kobané, le "Times of Israel" a rencontré un peuple kurde intéressé par la vie israélienne et optimiste pour un avenir pacifique. Cet espoir devait être anéanti
KOBANE, Syrie – Assis dans une mosquée de cette ville à majorité kurde du nord de la Syrie l’année dernière, le cheikh Omar s’est dit optimiste quant à l’amélioration des choses pour son peuple.
« Les États-Unis et l’Europe nous ont aidés à nous débarrasser de l’EI », a-t-il dit, faisant référence au groupe de l’État islamique dont le califat autoproclamé a jadis établi un règne de terreur à travers la Syrie orientale et une grande partie du nord-ouest de l’Irak.
« A présent, nous espérons retrouver une vie normale, où musulmans et non-musulmans peuvent s’asseoir ensemble et partager nourriture, eau et même terre », a déclaré Omar au Times of Israel.
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Tandis que le cheikh prononçait ces mots d’espoir, il est probable qu’il ne pouvait pas imaginer qu’à peine un an s’écoulerait avant que les habitants de Kobané ne soient à nouveau menacés d’un massacre de masse.
2014 : En état de siège par l’Etat islamique
Pour comprendre la position dans laquelle se trouve aujourd’hui la ville de Kobané, également connue sous le nom d’Ayn al-Arab, il faut remonter cinq ans en arrière, au second semestre 2014. A l’époque, l’EI avait mené à bien une vaste conquête de terres dans le nord de la Syrie et s’était avancée vers la périphérie de Kobané.
À ce moment-là, l’organisation terroriste avait déjà pris la plupart des villages environnants, encerclant la ville de trois côtés. Pour les habitants, la seule issue de secours était en direction de la frontière turque au nord, où ils devaient affronter des soldats turcs pour le moins peu sympathiques envers la population kurde.
Pendant plusieurs mois, la population de Kobané a été assiégée, parfois affamée, alors que les Kurdes armés tentaient à tout prix de repousser les forces d’invasion de l’EI avec l’appui des bombardements aériens des forces alliées.
Le blocus de Kobané est rapidement devenu l’un des fronts les plus médiatisés de la couverture médiatique de la guerre avec l’EI, les deux parties ayant tenté de revendiquer une victoire. Les Kurdes ont affirmé que l’EI n’avait conquis que les banlieues et qu’ils tenaient toujours le centre-ville ; L’EI a affirmé qu’il contrôlait toute la ville.
Le groupe terroriste a même diffusé un clip vidéo du journaliste britannique John Cantlie, qui aurait été filmé dans le centre de Kobané.
Il fait toujours plus noir avant l’aube
Ce n’est qu’après quatre mois de siège, des centaines de civils tués et des dizaines de milliers de personnes déplacées que les Kurdes ont finalement réussi à expulser l’EI de la ville en décembre 2014, libérant ainsi les villages voisins.
Avec le temps, un calme relatif et un sentiment de sécurité sont revenus à Kobané. Les habitants de la ville qui avaient fui ont lentement regagné leurs foyers. Les commerçants restauraient leurs magasins tandis que les bénévoles aidaient au difficile travail d’enlèvement des cadavres qui jonchaient les rues.
L’impressionnante campagne de Kobané est devenue un symbole de la lutte contre l’EI – non seulement en raison de sa durée prolongée, mais aussi parce que c’était la première fois qu’un effort de coopération des forces terrestres locales combiné au soutien aérien des alliés occidentaux réussissait à libérer de vastes étendues de terre de l’emprise du groupe terroriste.
Il s’agissait d’une manifestation marquante du travail acharné et de la détermination des forces kurdes, et elle a trouvé un écho dans le monde entier.
« Combien coûte un paquet de cigarettes en Israël ? »
Le voyage de ce journaliste à Kobané peut être attribué à l’initiative d’un journaliste kurde local qui y est né et y a grandi. Après avoir passé quelques jours ensemble à Qamishli et visité l’ancienne capitale du califat de l’EI, Raqqa, le journaliste Nizar – dont le nom a été changé pour protéger son identité – nous a offert la rare opportunité de découvrir sa ville natale.
Le trajet de Raqqa à Kobané a duré plusieurs heures. La vue bucolique à travers la vitre de la voiture compense l’éreintant trajet sur des routes cahoteuses et parfois non pavées. Alors que la nuit commençait à tomber, Nizar s’est arrêté dans le seul hôtel en activité de la ville.
Une fois les affaires de ce journaliste rangées dans une chambre d’hôtel – qui, par nécessité, a été partagée avec deux autres journalistes français – Nizar, son frère Suhaib et un autre parent ont escorté le groupe jusqu’à un restaurant local qui servait des kebabs de qualité supérieure.
Les hôtes kurdes ont exprimé un vif intérêt pour Israël, posant question après question sur l’histoire et la vie du pays aujourd’hui. Ils avaient une connaissance impressionnante des nombreuses guerres de l’État juif, en particulier la guerre d’Indépendance, la guerre des Six Jours de 1967 et la guerre de Kippour de 1973.
Mais ils s’intéressaient aussi à des questions plus banales, comme le coût d’un paquet de cigarettes en Israël, la discrimination entre juifs ashkénazes et séfarades, et la fréquence des mariages mixtes entre juifs et arabes, entre autres choses.
« Les Juifs sont aussi nos frères »
Le lendemain matin, Nizar m’a fait visiter brièvement Kobané. De grands tronçons de route étaient encore endommagés et, dans presque toutes les rues, des maisons ont été bombardées par des avions américains pendant la guerre contre l’EI.
Malgré les traumatismes et les destructions subis par les Kurdes, ils semblaient déterminés à se concentrer sur l’avenir. Les équipes de construction travaillaient d’arrache-pied pour reconstruire, les commerçants se réveillaient tôt pour étaler les marchandises dans leurs magasins et les petits enfants jouaient à cache-cache parmi les ruines, contribuant tous à un sentiment de retour à la normale.
C’est dans l’une des mosquées locales qu’Omar, chef spirituel, a raconté au Times of Israel la dure période du siège de l’EI.
« Pendant le siège, nous avons connu de nombreuses difficultés – nous avons eu faim et soif, nos garçons ont été tués, et dans certains cas, les jeunes enfants ont été forcés de regarder leurs parents se faire décapiter » a-t-il dit.
Omar a accusé l’EI d’avoir tué des milliers de personnes pour des raisons politiques sous prétexte de guerre religieuse, et a condamné les vues extrémistes de l’organisation.
« Chrétien, musulman, c’est la même chose », dit-il. « Même les Juifs sont nos frères, seuls les extrémistes voient des différences. »
Omar n’a pas caché son hostilité envers le président turc Recep Tayyip Erdogan, que les Kurdes accusent depuis longtemps de coopérer avec l’EI. Les séparatistes kurdes en Turquie combattent depuis des décennies le gouvernement turc, souvent violemment, pour son indépendance, et Erdogan considère les forces armées kurdes à la frontière de son pays comme une menace qui doit être éliminée.
« Les organisations radicales servent les intérêts du ‘Sultan' », a dit M. Omar, se référant à Erdogan. « L’EI a été créé au nom de la religion, mais ils n’ont que des objectifs politiques, sans aucun lien avec la religion. »
Mais en terminant la conversation sur une note de foi et d’optimisme, Omar a exprimé l’espoir que « Kobané redeviendra comme elle était et même mieux, une nation unie comme les États-Unis ou l’Europe ».
« Nous espérons continuer à recevoir de l’aide des pays occidentaux. S’ils continuent avec leur aide, cela apportera un grand soulagement à nos résidents, et la vie à Kobané redeviendra normale », a-t-il ajouté.
L’histoire se répète
Moins de 15 mois après cet entretien, le rêve d’une vie normale pour les habitants de Kobané n’a jamais paru aussi improbable. Les forces américaines et françaises ont abandonné la région, donnant le feu vert à une invasion turque qui se traduirait par une catastrophe pour les opposants kurdes.
La ville risquait de tomber aux mains de mandataires turcs venus du nord ou d’être livrée aux mains des soldats du dictateur syrien Bashar el-Assad venant du sud.
Parmi les membres des milices turques figurent des extrémistes islamiques – dont certains se sont même battus pour l’EI – qui déclarent carrément leur intention de trancher la gorge des Kurdes « infidèles ».
L’armée syrienne est arrivée dans la région sous prétexte de protéger les Kurdes. Mais dans la pratique, elle est là pour récupérer les territoires perdus pendant la guerre civile, brisant ainsi le fantasme kurde de « Rojava », l’autonomie qu’ils cherchaient enfin à établir dans le nord de la Syrie.
« A l’heure actuelle, la situation à l’intérieur de Kobané est encore calme, mais à tout moment elle peut changer », a récemment déclaré un résident local au Times of Israel.
« Les Turcs ont bombardé les villages environnants, et ils ne font pas de distinction entre soldats et civils », a-t-il dit. « La ville est toujours sous contrôle kurde, donc les choses restent les mêmes, mais les soldats d’Assad sont à la frontière. »
Depuis lors, la police militaire russe est entrée à Kobané et, dans certains cas, il y a même des preuves que des troupes syriennes circulent dans la ville avec des drapeaux russes – peut-être pour éviter les bombardements turcs.
Un accord conclu le 22 octobre entre Erdogan et le président russe Vladimir Poutine promettait que, au moins temporairement, les Turcs n’envahiront pas Kobané. Mais l’accord avait un prix pour les Kurdes : renoncer à leur souveraineté et céder la ville qui est devenue le symbole kurde de la libération aux mains étrangères.
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