À l’approche des JO, un « voyage de la mémoire des champions » à Auschwitz
Le voyage devait avoir lieu fin novembre mais avait dû être reporté après l'assaut du 7 octobre ; depuis, "plusieurs dizaines de participants se sont désistés", a déploré le CRIF
Contre l’antisémitisme et le racisme, le sport a aussi « un rôle à jouer », notamment auprès « des jeunes générations » : c’est le sens du voyage inédit effectué dimanche par une délégation sportive française dans le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, à l’approche des Jeux olympiques.
« On va passer six heures dans le camp, c’est-à-dire plus que la plupart des gens qui y ont été déportés »: avec ce brutal rappel que 80 % des arrivants étaient envoyés directement vers les chambres à gaz, le guide donne le ton, dans le car qui amène la vingtaine de sportifs et responsables de fédération (boxe, basket) vers le plus grand camp d’extermination construit par les nazis, dans le sud de la Pologne.
Il y a là plusieurs anciens champions : Richard Dacoury (basket), Camille Lacourt (natation), Fabrice Santoro (tennis), Michaël Jeremiasz (tennis fauteuil), Jean-Marc Mormeck (boxe), emmenés par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) pour son voyage annuel.
Sous les averses de neige, la délégation visite ce qu’il reste du camp de Birkenau (en grande partie détruit par les SS), depuis la rampe d’arrivée jusqu’aux ruines des crématoriums.
Après une cérémonie commémorative, le groupe passe l’après-midi dans le camp d’Auschwitz I, avec ses baraquements en brique et ses vitrines où s’entassent chaussures, valises et cheveux.
« Logique de transmission »
Les visages sont graves, les questions précises ; « Et les enfants ? » « tout est d’origine, ou ça a été restauré ? » « est-ce qu’ils pouvaient pratiquer leur religion, même en cachette ? »
Ce « voyage de la mémoire des champions », une première en cette année olympique, veut s’inscrire « dans une logique de transmission », explique Yonathan Arfi, le président du Crif, en soulignant l’importance des valeurs sportives « dans la lutte contre l’antisémitisme et toutes les haines ».
« On a un vrai rôle à jouer », approuve Jean-Marc Mormeck. Il s’agit de « sensibiliser et ‘challenger’ la jeune génération, parfois hermétique à un certain nombre de sujets », selon Michaël Jeremiasz, qui avait déploré, après l’attaque sanglante du groupe terroriste islamiste du Hamas en Israël 7 octobre, « le silence des sportifs » qui n’étaient selon lui « pas à la hauteur ».
Le voyage devait initialement avoir lieu fin novembre mais a été reporté après cette attaque et de la guerre qui s’est ensuivie.
Depuis, certains participants se sont désistés, déplore Pierre Fraidenraich, président de la commission sports du Crif. « Pour certains, c’était lié à leur image : ils ne voulaient pas être associés, comme si ce voyage était un acte pro-israélien ».
Pourtant, la démarche se veut « humaniste et pédagogique », certainement « pas politique », explique Richard Dacoury, parrain du voyage, qui s’alarme de voir la société « glisser vers toujours plus de violence, de racisme, d’antisémitisme ».
« Liquidés »
Pour ce public de « champions », l’historien Olivier Lalieu du Mémorial de la Shoah (organisateur des voyages à Auschwitz), rappelle qu’il y a aussi eu une histoire sportive à Auschwitz, avec des matches de foot et un ring de boxe.
« Pour les nazis, organiser des matches participe de la perversité du système, et pour eux c’était une récréation », affirme-t-il.
Plusieurs sportifs célèbres ont été déportés ici parce que Juifs, alors même qu’ils étaient adulés dans leurs pays : le boxeur Young Perez, champion du monde 1931, le nageur Alfred Nakache, plusieurs fois champion de France…
« Ce n’est pas parce que vous êtes sportifs que vous avez ici une faveur. Vous aurez peut-être un peu plus d’attention, une ration de soupe supplémentaire. A partir du moment où cette valeur récréative n’existe plus, les sportifs aussi sont liquidés », explique Olivier Lalieu.
Ainsi Young Perez va mourir lors des marches de la mort organisées par les SS pour fuir le camp. L’Allemand Julius Hirsch, immense star du football dans son pays avant-guerre, a lui aussi été tué dans les camps.
Alfred Nakache, lui, a survécu. Le nageur reprit l’entraînement et participa même aux JO de 1948 à Londres. Il est mort en 1983, à l’âge de 67 ans.