A Nuremberg, conserver les bâtiments nazis pour mettre en garde
Après vingt ans de débats, dans une Allemagne confrontée à une montée de l'antisémitisme et où le devoir de mémoire est contesté, la ville a pris le parti de la réhabilitation
Le débat est récurrent en Allemagne : faut-il préserver les édifices nazis, purs symboles de l’idéologie hitlérienne ? La ville de Nuremberg a choisi de lancer un projet de conservation pour cultiver le devoir de mémoire et de mise en garde.
Avec 85 millions d’euros, le site sera réhabilité dans les années à venir afin de sécuriser les bâtiments abimés par le temps et raconter leur histoire honteuse.
« C’est d’ici que tout est parti : la destruction, l’exclusion et au bout du compte la Shoah », qui a coûté la vie à 6 millions de Juifs, déclare Julia Lehner, responsable de la culture de la ville bavaroise lors d’un entretien avec l’AFP sur le site du congrès du parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP).
De la tribune Zeppelin inspirée du temple hellénique de Pergame, Adolf Hitler a déclamé de 1933 à 1938 ses discours racistes face à un demi million de membres du parti réunis une fois par an en septembre et autant d’Allemands enthousiastes venus de tout le pays assister aux parades.
A proximité, un autre colosse aux allures de Colisée romain : le palais des congrès. Jamais terminé, il est le deuxième plus grand bâtiment nazi en Allemagne, après le complexe de loisir de Prora sur l’île de Rügen.
Cette « monumentalité » visait à « intimider et à fasciner », rappelle l’historien Wolfgang Benz, « à démontrer la supériorité de l’idéologie nazie ».
Le site, conçu en grande partie par l’architecte Albert Speer sur 11 km², incarne « les persécuteurs », souligne Mme Lehner, rappelant qu’Hitler avait choisi Nuremberg comme centre de sa propagande. C’est là que les lois anti-juives furent promulguées en 1935.
C’est pourquoi les Alliés y ont jugé à partir de novembre 1945 les dirigeants du régime lors d’un procès historique dont l’Allemagne commémore le 75e anniversaire cette année.
Voile de l’oubli
L’héritage pèse depuis longtemps sur la ville. « Dans l’immédiat après-guerre, on aurait préféré le recouvrir du voile de l’oubli », reconnaît l’élue.
« Le conflit est toujours le même : est-ce qu’un édifice peut devenir un lieu de culte pour des néo nazis ? Si la réponse est oui, alors il faut le détruire », déclare M. Benz, comme cela a été le cas du bunker d’Hitler à Berlin.
Nuremberg a attiré occasionnellement des nostalgiques du 3e Reich. Il y a un an, une poignée d’entre eux ont organisé une marche contre l’accueil de migrants. Mais les incidents sont rares, indique la ville.
Après la guerre, seule l’immense croix gammée surplombant la tribune fut dynamitée par les Américains. Et en 1973, le site fut classé aux monuments historiques par les autorités bavaroises, avec le devoir pour la ville de le préserver pour informer les générations futures.
Une bonne décision, juge Florian Dierl, directeur du centre de documentation qui présente l’exposition « Fascination et Violence » installée sur le site depuis 1984.
Car le devoir de mémoire sur l’époque nazi implique de comprendre pourquoi « les Allemands sont restés fidèles au régime toutes ces années », dit-il. « En venant ici, on peut se faire une idée sur le pouvoir d’attraction qu’a exercé l’idée d’une communauté nationale-socialiste sur la population. »
Après la guerre, la plupart des bâtiments nazis furent réutilisés, souvent par nécessité, tels l’aéroport de Tempelhof ou le ministère de l’aviation du Reich d’Hermann Göring, qui abrite aujourd’hui le ministère des Finances, à Berlin.
A Nuremberg, le champ Zeppelin et ses gradins encerclés de 34 tours, face à la tribune, fut longtemps utilisé comme terrain de sport par les soldats américains, puis s’est ouvert à la musique. En 1978, le chanteur juif Bob Dylan y a donné un concert.
Aujourd’hui, les vestiges sont dégradés, en partie interdits d’accès en raison des risques d’éboulement.
Le palais est fermé au public. Son rez-de-chaussée sert d’entrepôt pour les cabanons du marché de Noël, une annexe accueille l’orchestre philharmonique, le centre de documentation s’est greffé en 2001 à l’une de ses extrémités.
« Faire parler les pierres »
Après deux décennies de débats parfois houleux, dans une Allemagne confrontée à une résurgence de l’antisémitisme et où le devoir de mémoire est contesté par l’extrême droite, la ville a donc finalement pris le parti de la réhabilitation. En dépit des opposants au projet qui auraient préféré voir l’argent investi dans la construction de logements par exemple.
Il s’agit de « faire parler les pierres », explique Mme Lehner, « en racontant leur histoire et en insistant toujours (…) sur le fait qu’elle ne doit jamais se reproduire ».
Les travaux seront par financés par la ville, la Bavière et l’Etat fédéral.
La somme servira essentiellement à sécuriser les édifices. Le champ, qui avant l’ère nazi était un lieu de pique-nique prisé, sera aménagé en espace de détente où des panneaux informeront sur la signification de chaque bâtiment. Le centre de documentation érigé en 2001, qui accueille 300 000 visiteurs par an, sera agrandi.
La communauté juive locale approuve le projet. Il s’agit « d’une bonne base pour montrer aux gens du monde entier et aux jeunes (…) quelle idéologie totalitaire ces bâtiments ont incarné », dit son président Jo-Achim Hamburger.
Car les géants de pierre nazi ont leur rôle de mise en garde à jouer. « Si on détruit cette histoire, on perdra peut-être une possibilité de rendre vraiment visible les dangers du totalitarisme ».
En 2014, le survivant de la Shoah Leon Weintraub, en visite à Nuremberg, avait plaidé avec force pour sa conservation.
« Je ressens une satisfaction particulière à me tenir face à cette expression de mégalomanie », avait-t-il dit. « Je ne me sens pas comme une victime, mais comme un vainqueur. ».