À New York, des Israéliens s’en prennent à une organisation pro-refonte judiciaire
Les manifestants ont organisé un rassemblement devant les bureaux du Fonds Tikvah, étroitement lié au député Rothman et au Kohelet Policy Forum
Luke Tress est le vidéojournaliste et spécialiste des technologies du Times of Israël

NEW YORK – Plusieurs dizaines de manifestants se sont rassemblés devant les bureaux d’une organisation juive conservatrice à New York mercredi pour protester contre ses liens avec la réforme du système judiciaire largement controversée proposée par le gouvernement israélien.
Les manifestants accusent le Fonds Tikvah de soutenir la législation, qui aura un impact dramatique sur la société israélienne si elle est adoptée dans sa forme actuelle, bien que les dirigeants américains de l’organisation ne vivent pas dans le pays, n’y paient pas d’impôts et n’élèvent pas leurs familles en Israël.
Le Fonds Tikvah, une organisation à but non lucratif basée à New York, est étroitement lié au Kohelet Policy Forum, un groupe de réflexion israélien qui joue un rôle clé dans la politique conservatrice israélienne et dans les efforts législatifs du gouvernement.
Les manifestants ont crié « honte » en hébreu et en anglais devant les bureaux du Fonds Tikvah dans le centre de Manhattan, et ont scandé « quittez votre emploi » à l’adresse des employés de l’organisation qui sortaient du bâtiment, tandis que des agents de sécurité surveillaient le rassemblement derrière des volets métalliques dans le hall d’entrée de l’immeuble.
« Honte à ceux qui financent le régime fasciste », a crié un manifestant dans un mégaphone. « Nous ne renoncerons jamais à la démocratie. Nous ne vous laisserons pas ruiner notre pays. »
« Ils travaillent très dur pour détruire notre démocratie, mais nous sommes là », a hurlé un manifestant. « Ils ont beaucoup plus d’argent que nous, mais nous avons la justice de notre côté. »
« Démocratie ou rébellion », ont-ils scandé en hébreu.
Le groupe de protestation israélien, composé principalement d’expatriés et de résidents temporaires aux États-Unis, organise des rassemblements la plupart des week-ends dans le Washington Square Park de Manhattan. L’accent mis sur le Fonds Tikvah marque un changement de stratégie.
« Le Fonds Tikvah soutient le Kohelet Forum. Ce sont eux qui rédigent la réforme du système judiciaire en Israël », a déclaré Shany Granot-Lubaton, organisatrice de la manifestation. « Ils sensibilisent à ce sujet, ils y consacrent des tonnes d’argent, ils font campagne à ce sujet. »
« S’ils cessaient de financer ce projet, il n’aurait pas lieu. Ce sont eux qui en sont responsables », a-t-elle déclaré à propos de la réforme. Le Fonds Tikvah n’a pas souhaité répondre à une demande de commentaire.
Le rassemblement a coïncidé avec la Journée internationale des droits de la femme. Un certain nombre de manifestants se sont déguisés en personnages de « La Servante écarlate », un costume qui en est venu à symboliser la répression des femmes et des valeurs progressistes lors de manifestations en Israël et à l’étranger.
« Les premières personnes qui seraient touchées par la refonte judiciaire seraient les femmes et les minorités », a déclaré Granot-Lubaton au Times of Israel. « Il s’agit de personnes de droite et extrêmement conservatrices, qui ne se soucient pas du fait que les droits des femmes en Israël ne seront plus ce qu’ils sont aujourd’hui. »

Ce groupe de manifestants israéliens fait partie d’une organisation d’expatriés appelée UnXeptable, qui a organisé des rassemblements contre le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu aux États-Unis et dans d’autres pays. Le groupe prévoit une manifestation contre le ministre des Finances Bezalel Smotrich à Washington, lors de sa visite dans la capitale américaine la semaine prochaine.
Kohelet a été profondément impliqué dans les efforts du gouvernement pour remanier le pouvoir judiciaire, et a fourni un soutien à d’autres lois controversées ces dernières années, notamment la loi sur l’État-nation de 2018 et la déclaration de l’ancien secrétaire d’État américain Mike Pompeo selon laquelle les implantations de Cisjordanie n’étaient « pas incompatibles avec le droit international » en 2019.
Kohelet rédige des projets de loi pour les députés, fournit des justifications juridiques pour les politiques et s’efforce de promouvoir un réseau conservateur couvrant Israël et les États-Unis, entre autres activités.

Le Fonds Tikvah a des liens de longue date avec Kohelet et a fait des dons importants au groupe de réflexion israélien.
Le président de Kohelet, Moshe Koppel, siège au conseil d’administration du Fonds Tikvah et a reçu un salaire annuel de 15 000 dollars – du Fonds Tikvah – en 2019, dernière année pour laquelle les déclarations fiscales sont disponibles. (Koppel a écrit au sujet de la législation sur le blog du Times of Israel). D’autres membres du personnel ont également migré d’une organisation à l’autre.
Jeudi, des manifestants en Israël ont barricadé la porte des bureaux principaux de Kohelet à Jérusalem dans le cadre d’un rassemblement contre la réforme.
Tikvah est également lié au député Simcha Rothman, président de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, et figure clé de la coalition qui a accéléré le passage de la législation judiciaire à la Knesset en dépit de l’opprobre général suscité par cette initiative. Tikvah compte Rothman parmi ses anciens élèves et l’a accueilli dans son podcast et lors d’autres événements. Le député Amichaï Chikli (Likud) est un autre ancien étudiant de Tikvah.
Rothman a nommé Shimon Nataf, ancien chercheur de Kohelet, comme conseiller juridique.

Le Fonds Tikvah a également fondé l’Israel Law and Liberty Forum, un groupe juridique axé sur la « restriction judiciaire » et d’autres questions. L’organisation s’inspire de la Federalist Society, un groupe conservateur américain qui a exercé une influence considérable sur la politique intérieure. Le forum a accueilli Rothman pour des discussions juridiques entre autres, notamment lors d’une conférence des dirigeants de Tikvah.
Le président du Fonds Tikvah, Elliott Abrams, avait qualifié la réaction au nouveau gouvernement de panique « hystérique » dans un article publié le mois dernier.
Tikvah publie également le magazine juif Mosaic, qui a accueilli Rothman pour des conférences sur la réforme judiciaire, et gère une académie en ligne et des programmes éducatifs pour les jeunes et les étudiants. Il a déclaré plus de 113 millions de dollars d’actifs en 2019.
Des membres du groupe ont rencontré le Premier ministre hongrois de droite, Viktor Orban, en janvier. Orban s’est prononcé en faveur de la transformation de la Hongrie en « démocratie illibérale » et entretient des relations étroites avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Un organisme de collecte de fonds pour Kohelet basé à Philadelphie, l’American Friends of the Kohelet Policy Forum, a versé à l’organisation 6,3 millions de dollars en 2019, selon les déclarations fiscales américaines. Le groupe des Friends a affirmé dans sa déclaration de 2019 que Kohelet était non partisan, une condition nécessaire pour protéger son statut d’exonération fiscale aux États-Unis.

Selon un article de Haaretz datant de 2021, les principaux bailleurs de fonds de Kohelet sont les milliardaires américains Jeffrey Yass et Arthur Dantchik.
La rabbin Jill Jacobs, directrice de Truah, un important groupe juif progressiste américain, a demandé à la presse et au public de prêter davantage attention aux groupes de droite qui soutiennent les politiques conservatrices en Israël, en pointant du doigt Kohelet et plusieurs autres organisations.
« Les Juifs américains investissent de l’argent sur le terrain pour changer la politique israélienne et le font depuis des années », avait déclaré Jacobs au Times of Israel avant une manifestation organisée le mois dernier par des Juifs américains devant le consulat d’Israël.
« Souvent, l’attention se porte sur les groupes qui s’élèvent à gauche contre la politique israélienne, mais il faut être plus attentif à la manière dont l’argent des Juifs américains et des chrétiens pousse Israël de plus en plus vers la droite », avait-elle ajouté.

Selon ses détracteurs, ce projet portera profondément atteinte au caractère démocratique d’Israël en bouleversant son système d’équilibre des pouvoirs, en accordant presque tous les pouvoirs à la coalition et en laissant les droits individuels sans protection et les minorités sans défense.
Les partisans affirment qu’il s’agit d’une réforme indispensable pour mettre un frein à l’activisme de la Haute Cour.
Les projets législatifs du gouvernement ont suscité des manifestations de masse en Israël depuis plus de deux mois, ainsi que de vives réactions de la part des politiciens de l’opposition et des mises en garde sévères de la part d’économistes, de chefs d’entreprise, d’experts juridiques et de responsables de la sécurité.
Un certain nombre de sondages ont montré que la législation est largement impopulaire auprès du public.
Certains dirigeants de Kohelet se sont même prononcés contre certaines parties du projet.
Koppel avait déclaré à la fin du mois dernier que la législation permettant à la Knesset de passer outre les décisions de la Haute Cour de justice à la majorité simple, un élément central des réformes radicales promises, était une « idée stupide« . Il avait déclaré qu’il travaillait à la formulation d’une version de compromis de la législation.
Michael Sarel, directeur du Kohelet Economic Forum, a averti mercredi que les propositions actuelles étaient susceptibles d’entraîner de graves conséquences pour l’économie. Il a également averti que les propositions telles qu’elles sont actuellement avancées donnent un pouvoir illimité au gouvernement, avec un potentiel d’abus dangereux.