À Rouen, les fidèles de la synagogue incendiée prient dehors
"Nous, les Juifs, on est habitués à la haine, mais pour la France, c'est inquiétant," déclare Yohanan Natanson
Comme chaque vendredi soir, Yohanan Natanson s’est rendu à la synagogue de Rouen pour célébrer la prière du Shabbat. Mais il n’a pas pu entrer dans l’édifice, incendié à l’aube par un individu ensuite abattu par la police.
Quelque quarante personnes, dont des enfants, se sont réunis dans l’enceinte de la synagogue, dans une petite cour bétonnée protégée par un filet anti-projectiles. Leurs sourires, en se saluant, semblent forcés : chacun a en mémoire les événements du matin.
Un homme de 24 ans, de nationalité algérienne sous OQTF (Obligation de quitter le Territoire français), a incendié vers 06H30 la synagogue de Rouen, selon le parquet.
Alors que de la fumée s’échappait encore de l’édifice, l’individu s’est « dirigé en courant vers un policier en le menaçant [d’un] couteau », selon un communiqué du parquet. Avec son arme, le policier a tiré et tué l’agresseur.
Les dégâts, dans la synagogue, sont « énormes », a regretté auprès de l’AFP la présidente de la communauté juive de Rouen Natacha Ben Haïm.
Certains passent une tête à l’intérieur de la synagogue pour constater à leur tour l’ampleur des dégâts : des murs noircis, des gravats par terre, un plafond et des bancs couverts de suie.
Impossible d’y prier ce soir. Les lourds rouleaux de la Torah ont été sortis dans la cour et très vite, comme le veut le rituel, dix hommes se réunissent pour réciter la prière du Shabbat, qui marque le début du jour de repos religieux.
« On va faire Shabbat ici, dans la cour, car à l’intérieur l’atmosphère est suffocante et la salle est plongée dans l’obscurité », explique Natanson, 69 ans.
Il soupire. « Ça n’est pas anodin de mettre le feu à une synagogue », souligne-t-il. « Nous, les Juifs, on est habitués à la haine, mais pour la France, c’est inquiétant. »
S’il remercie les forces de l’ordre et les pompiers rapidement intervenus sur les lieux, il regrette que l’individu n’ait pas été « renvoyé en Algérie » plus tôt.
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, en visite à Rouen, a affirmé que cet homme « particulièrement dangereux, particulièrement violent » était inscrit au fichier des personnes recherchées depuis « quelques semaines ».
« Vivre ensemble »
Pour marquer sa solidarité avec la communauté juive sous le choc, le curé de Rouen, Geoffroy de la Tousche s’est rendu à la synagogue avec une quinzaine de jeunes catholiques.
« Avec les jeunes, nous allons prier tout le week-end pour les Juifs », assure-t-il.
Il s’inquiète. « Hier, c’était Saint-Étienne-du-Rouvray [où deux jihadistes avaient tué un prêtre en 2016, NDLR], aujourd’hui c’est une synagogue. Demain, ce sera une mosquée », craint-il.
Les agresseurs de lieux cultes et de fidèles « ne croient pas en Dieu », martèle-t-il.
Tantôt murmure, tantôt chant, la prière des hommes est parfois audible jusque dans la rue où a été abattu l’agresseur.
Selon le rabbin de cette synagogue, Chmouel Lubecki, sa communauté compte « à peu près 150 à 200 familles ».
Non loin, Latifa Ibn Ziaten écoute attentivement, le visage encadré par un foulard beige à motifs.
Le 19 mars 2012, Mohammed Merah avait tué par balles l’enseignant juif Jonathan Sandler et deux de ses enfants, Gabriel, 3 ans, et Aryeh, 6 ans, ainsi q’une autre petite fille de 8 ans, Myriam Monsonégo dans le collège-lycée Ozar Hatorah, à Toulouse, après avoir abattu Imad Ibn Ziaten, Mohamed Farah Chamse-Dine Legouad et Abel Chennouf à Toulouse et à Montauban les jours précédents.
« J’ai vécu un drame qui m’accompagne toujours et je soutiens la communauté juive de tout mon cœur. Nous sommes tous des frères et des sœurs », dit-elle alors que des enfants, dans le calme, jouent dans la cour.
« Le ‘vivre-ensemble’ est important », insiste-t-elle.