Accusé d’antisémitisme, « Si tu me venges », sur Netflix, aurait dû faire attention
Dans ce film moyen pour les ados, le "méchant" porte autour du cou, bien visible, une étoile de David, entraînant un tollé sur internet - une polémique pourtant aisément évitable
Le film numéro un en Amérique du nord ce week-end sur Netflix, la plus grande plateforme de streaming, est une comédie pour adolescents pas particulièrement bonne mais regardable qui s’appelle « Si tu me venges ».
Un film léger qui affiche ouvertement sa nostalgie des films pour lycéens qui ont biberonné la génération précédente, comme « Fatal Games », « Clueless », « Dix bonnes raisons de te larguer » et « Lolita malgré moi » pour l’esthétique bubblegum, immaculée. Mais un film qui ne peut toutefois guère se prévaloir d’une intrigue originale ou de dialogues particulièrement recherchés.
Il n’y a a priori aucune raison d’évoquer « Si tu me venges » dans un journal tel que celui-ci – et il est certain que les jeunes qui ont regardé le film, ce week-end, l’auront oublié dans peu de temps en découvrant le prochain streaming à la mode – mis à part peut-être le fait que certains, sur les réseaux sociaux, l’ont accusé d’être antisémite.
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Des posts publiés sur Facebook et des publications sur Twitter indiquent que certains spectateurs ont été surpris par la manière dont un personnage juif s’intègre dans le film. Voici le topo :
L’intrigue de « Si tu me venges » se déroule dans une école préparatoire de l’ultra-élite. Tout le monde complote contre tout le monde et personne, jusqu’à la fin, ne se démarque pour sa vertu dans cet univers impitoyable. Nos deux personnages principaux (interprétés par Camila Mendes et Maya Hawke, la fille d’Ethan) concluent ensemble un pacte : mener mutuellement à bien les désirs de vengeance de l’autre.
Une idée qui se base vaguement sur le complot du roman de Patricia Highsmith, Strangers on a Train (reprise plus tard pour le grand écran par Alfred Hitchcock dans son film culte, « l’Inconnu du nord-express » et, encore ultérieurement, utilisée par Danny DeVito dans « Balance maman hors du train ».) « Si tu me venges » ne revendique pas le livre de Highsmith comme source officielle d’inspiration, mais l’une des adolescentes lit l’ouvrage lors d’un plan court, un petit clin d’œil adressé à tous ceux qui sauront saisir la référence.
Suivent ensuite des rebondissements qui finissent pas révéler que tout le monde, dans l’école, est médisant, menteur, obsédé par les faux ‘likes’ sur Instagram et tout le reste. La distribution est un véritable arc-en-ciel de diversité, réunissant toutes les races et toutes les orientations sexuelles. Toutefois, le grand méchant, celui dont le père est le plus riche et possède le plus grand réseau politiquement parlant, est un abruti fini du nom de Max Broussard, qui est interprété par Austin Abrams.
Wikipedia, qui s’est fait une spécialité étrange de pointer « qui est Juif », indique que le père d’Abrams est d’origine juive et russe. Rien n’est dit sur l’ethnie de Broussard, même s’il utilise le mot en yiddish « kvell » à un moment du film. Mais vers le troisième acte du film, qui a été tourné à Miami – ce qui explique les plans de chemises fréquemment déboutonnées – se distingue assez clairement, autour du cou de Max, un pendentif sous forme d’étoile de David.
Et pourquoi, se sont donc interrogés certains, le seul Juif présenté dans le film est-il donc un imbécile manipulateur et sexiste qui, s’avère-t-il, empoisonne une atmosphère déjà toxique toute la structure sociale de l’école ?
C’es sûr que dit comme ça, il est facile de comprendre pourquoi certains ont pu ressentir un malaise.
Mais il y a un autre rebondissement. Deux personnages de second plan dans le film sont profondément gentils – et l’un d’entre eux, la sœur de Max, Gabbi, incarne la voix de la clarté morale pendant tout le film. J’ignore totalement si Talia Ryder, qui joue le rôle de Gabbi, est juive, et je ne pense pas que cette question soit pertinente (la seule chose que je sais, c’est qu’elle n’est pas la fille de Wynona Ryder – la question aurait apparemment été fréquemment posée, et avec une bonne raison : Elles se ressemblent beaucoup !). Mais, en toute logique, son personnage est juif, et il s’avère que la demoiselle est blanche comme neige.
Et pourtant, comme le souligne un compte Twitter, jamais une étoile de David, un Chaï ou quoi que ce soit de similaire n’apparaît à son cou sur les images. Il est vrai qu’un spectateur issu de la génération-cible et qui regarde le film à moitié – en écrivant des textos ou en se baladant sur TikTok – peut facilement échouer à faire le lien.
Le positionnement politique du film – s’il y en a un – est vaguement libéral.
On sympathise, d’une manière ou d’une autre, avec le personnage de Camilla Mendes en tant que membre d’une minorité en lutte qui est parvenue à entrer dans cette école luxuriante jusqu’au ridicule grâce à une bourse. Le personnage de Maya Hawke est homosexuel et sa sexualité n’est jamais, ne serait-ce qu’un instant, rejetée par les autres (même s’ils sont « mauvais » pour d’autres raisons). Alors pour un film qui semble avoir pris un soin infini à être « du bon côté » des choses, le choix délibéré d’avoir fait du méchant irrécupérable un Juif se fait forcément remarquer. N’y a-t-il pas eu un producteur quelque part sur le plateau pour dire : « Mais vous êtes vraiment sûr de vouloir faire ça ? »
Bien sûr, en réalité, ayant grandi dans le New Jersey (c’est la même chose que la Floride, mais nous, au moins, on a la neige), j’ai évidemment rencontré des gamins comme Max Broussard. Certains n’étaient pas Juifs, d’autres l’étaient. L’art est supposé refléter la vie, et la seule pensée d’une tribune constituée d’usagers des réseaux sociaux qui souhaiteraient restreindre l’art sur la base de ce qui est considéré comme politiquement correct entraîne chez moi une vague d’anxiété.
Récemment, « Everything Everywhere All At Once », un film extraordinaire, a suscité une controverse intense parce que l’un des personnages, interprété par l’actrice juive Jenny Slate, est traitée de « gros nez » par un personnage chinois. Les créateurs du film, qui ne sont pas Juifs, ont présenté leurs excuses – ce qu’ils n’auraient pas dû faire, à mon avis. Pour ceux qui l’ignorent, « Gros nez » – je l’ai appris en résultat de cette polémique mineure – est une expression certes impolie mais commune utilisée par de nombreux Chinois contre les Blancs en général. Mais plus important encore : la vie est compliquée, un être humain a de nombreuses facettes et éradiquer cette réalité des films en colorant tous les aspects de la vie et de la psyché en rose bonbon finira par entraîner une culture très ennuyeuse.
Contrairement à « Everything Everywhere All At Once », malgré tout, « Si tu me venges » est un film d’une telle médiocrité que je n’ai pas la force de le défendre en tant qu’œuvre d’art sacrée. Contrairement à la polémique du « gros nez », qui a le mérite d’une certaine honnêteté dans la composition du personnage, l’apparition au premier plan de l’étoile de David dans un film peu mémorable donne le sentiment, comme le diraient mes amis britanniques, que le réalisateur a marqué un but contre son camp. Il était facile d’éviter la polémique et de ne pas l’inclure.
S’agit-il d’antisémitisme ? Je ne le sais pas. Les gens font des films sur ce qu’ils veulent, et prétendre que tous les Juifs seraient des saints est stupide. Habituellement, c’est là que je vous recommande de regarder le film et d’en juger par vous-même – mais en tant que critique, je ne peux vraiment pas le faire. On est coincés. A croire que quelqu’un a réellement cherché à se venger de nous.
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