Affaire des enfants yéménites : « Aucune réponse ne sera satisfaisante »
Des immigrants du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord affirment que leurs bébés leur ont été enlevés dans les années 1940 et 1950, alors que les autorités les ont déclarés morts
Les autorités médicales ont exhumé, mercredi, le corps d’un bébé mort en 1948 à Tel Aviv, afin de faire toute la lumière sur ce qui est arrivé à l’enfant, né dans une famille d’immigrants yéménites persuadés qu’il leur a été enlevé.
L’exhumation complète de la tombe par les médecins légistes devait prendre plusieurs heures.
Le Centre national de médecine légale a indiqué qu’il faudrait attendre les conclusions de l’examen de ce premier corps pour décider si huit autres tombes seront ouvertes, dans le cadre de l’affaire dite des enfants yéménites.
La tombe de Yosef Melamed, déclaré mort à l’hôpital des suites d’une maladie il y a près de 75 ans, a été ouverte mercredi matin au cimetière Nahalat Yitzhak, près de Tel Aviv.
La famille de Melamed ne croit pas que l’enfant soit mort ou enterré.
Sa mère, Shulamit Melamed, aujourd’hui âgée de 90 ans, pense que son fils a été enlevé et adopté, et qu’il serait toujours en vie.
Elle n’a pas été informée de l’exhumation, de crainte que cela ne constitue un trop grand choc pour elle et sa santé.
« Maman n’a jamais cru à sa mort. Le fait qu’ils l’aient enterré aussi rapidement a toujours été suspect à ses yeux », a déclaré Ruti Sharabi, la sœur de Yosef, au site d’information Ynet.
« Mon frère avait les yeux verts et la peau claire : il ne ressemblait pas à un garçon yéménite », a-t-elle ajouté. « Si la tombe est vide, nous nous demanderons où il peut bien être, mais au moins nous saurons qu’il est vivant. »
La sœur de Yosef, Vered Driham, a déclaré au site d’information Walla que, quel que soit le résultat de l’exhumation, des questions resteraient sans réponse.
« La réponse que nous obtiendrons ne sera jamais suffisante : si on trouve pas d’ossements, cela laissera ouverte la question de savoir où est Yossi », a-t-elle expliqué.
Les familles de ceux dont les tombes se trouvent à côté de celle de Melamed ont accepté la demande des avocats représentant la famille Melamed et convenu que, si les corps de leurs proches étaient découverts en même temps que le bébé, ils subiraient également des tests ADN.
Yosef est le fils de Shalom et Shulamit Melamed, venus du Yémen en 1943. Shalom a combattu dans la brigade Givati pendant la guerre d’indépendance et a été tué en avril 1948 en escortant un convoi militaire à Jérusalem.
La même année, Shulamit, 17 ans, conduit son fils malade, alors âgé d’un an et demi, à l’hôpital de Tel Aviv. Le lendemain matin, le personnel de l’hôpital lui annonce que son bébé est mort pendant la nuit et qu’ils l’ont enterré au cimetière Nahalat Yitzhak pour lui épargner un chagrin supplémentaire.
Shulamit croit son fils mort jusqu’en 1963, date à laquelle elle reçoit un avis de conscription de l’armée le concernant. Elle demande des explications au ministère de l’Intérieur et reçoit bientôt un document indiquant que son fils a « quitté » le pays cette année-là.
Des immigrants venus du Yémen et d’autres pays du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord soutiennent depuis des décennies que leur enfant, frère ou sœur leur ont été enlevés, bébés, dans les années 1940 et 1950. La version des autorités assure que les enfants sont bien morts.
L’exhumation d’Uziel Houri, en mai dernier, aurait dû donner lieu à des tests ADN. Elle a été interrompue lorsqu’un deuxième corps a été trouvé sous la pierre tombale. La famille de Houri a dû retourner devant le tribunal demander la permission d’exhumer la tombe adjacente afin que l’enquête se poursuive. Elle attend toujours une réponse.
L’affaire dite des enfants yéménites implique plus d’un millier de familles – surtout des immigrants du Yémen, mais aussi des Balkans, d’Afrique du Nord et d’autres pays du Moyen-Orient – convaincues que leurs enfants leur ont été enlevés dans des hôpitaux israéliens et donnés en adoption, parfois à l’étranger, dans les premières années suivant la fondation de l’État d’Israël.
Au fil des ans, les enquêtes officielles de l’État ont écarté toutes les allégations d’enlèvement organisé par le personnel médical ou le gouvernement.
Toutefois, les soupçons restent et ont contribué à dessiner une ligne de fracture tenace entre Juifs d’origine européenne et autres, d’origine moyen-orientale.
Trois commissions d’enquête très médiatisées ont écarté les accusations de complot et constaté que la plupart des enfants étaient morts de maladies à l’intérieur des camps d’immigration.
L’enquête la plus récente, réalisée en 2001, a révélé qu’il était possible que certains enfants aient été donnés à l’adoption sur décision individuelle de certains travailleurs sociaux, mais en aucun cas dans le cadre d’une politique nationale. Invoquant les lois sur la protection de la vie privée, la commission d’enquête a ordonné que les témoignages recueillis demeurent scellés pendant encore 70 ans.
En février 2021, le gouvernement a autorisé un programme d’indemnisation concernant la question des enfants yéménites, à hauteur de 162 millions de shekels.
La proposition de loi s’accompagnait d’une déclaration selon laquelle « le gouvernement d’Israël regrettait les événements qui se sont produits dans les premiers jours suivant la création de l’État et reconnaissait la souffrance des familles dont les enfants se sont trouvés au cœur de cette question douloureuse ».
Certaines familles exigent que le gouvernement déclassifie les documents confidentiels relatifs à l’affaire, suspectant le programme d’indemnisation d’être une tentative d’«acheter leur silence ».