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Affaire Malka Leifer : Son accusatrice se réjouit d’une « victoire collective »

Nicole Meyer regrette de n'avoir pu obtenir justice à titre personnel, mais avec ses deux sœurs, elle va vivre sa vie en s'engageant aux côtés des victimes

Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.

Les sœurs Nicole Meyer (à gauche), Elly Sapper (au centre) et Dassi Erlich (à droite) quittent le tribunal de comté de Melbourne le 3 avril 2023, après le procès de l’ancienne directrice d’école Malka Leifer. (Crédit : William WEST / AFP)
Les sœurs Nicole Meyer (à gauche), Elly Sapper (au centre) et Dassi Erlich (à droite) quittent le tribunal de comté de Melbourne le 3 avril 2023, après le procès de l’ancienne directrice d’école Malka Leifer. (Crédit : William WEST / AFP)

Alors que le président de jury égrenait sa décision pour les 27 chefs d’inculpation pour abus sexuels sur enfants portés contre l’ex-directrice de l’école Adass Israël, Malka Leifer, lundi, ses trois accusatrices avaient pu penser que leur cauchemar n’était pas terminé.

Aux cinq premiers chefs d’accusation lus par le juge Mark Gamble, de la Cour du comté de Victoria, le président de jury avait en effet répondu « non coupable ».

Mais tandis que les sœurs Nicole Meyer, Ellie Sapper et Dassi Erlich se tenaient par la main, assises au fond de la salle d’audience, le vent avait subitement tourné, le président de jury rendant 18 verdicts de culpabilité sur les 22 chefs d’accusation restants.

« C’est une victoire collective qu’elle soit enfin reconnue coupable [de la plupart des accusations]. C’est ce dont nous rêvions et c’est ce pour quoi nous nous battions depuis si longtemps. Cette victoire collective – même si ce n’est que sur 18 des chefs d’accusation – est incroyable », déclare Meyer au Times of Israel, par téléphone, quelques heures plus tard.

Les trois femmes se sont battues sans relâche pour obtenir l’extradition de leur ex-enseignante d’Israël, où elle avait trouvé refuge il y a 15 ans après avoir quitté Melbourne, où se sont déroulés les faits.

L’aînée ne cache pas toutefois une certaine amertume suite à l’énoncé du verdict.

Les cinq premières accusations sont en effet celles qu’elle a portées contre Leifer, entre 2003 et 2006. Les 22 autres sont liées aux témoignages de Sapper et Erlich.

« Ne pas avoir obtenu justice personnellement va me demander beaucoup de travail », confie Meyer.

Malka Leifer, à droite, est conduite dans une salle d’audience à Jérusalem, le 27 février 2018. (Crédit : AP Photo/Mahmoud Illean, dossier)

« En tant que femme religieuse, qui représente des victimes religieuses qui ont encore plus de mal à se manifester, j’ai un sentiment d’échec mais j’espère me tromper », ajoute Meyer, révélant le poids du fardeau qu’elle porte depuis une vingtaine d’années.

Le temps d’une longue interview, Meyer revient sur ce verdict difficilement compréhensible. Elle compare son expérience des systèmes juridiques israélien et australien et dit son impatience de vivre enfin l’avenir – cet avenir qu’elle n’ose plus envisager depuis trop longtemps.

Un long, long chemin vers la justice

La quête de justice de Meyer a fait la une des journaux du monde entier, grâce à Erlich qui avait porté la première des accusations contre Leifer en 2008.

C’est au moment où ces accusations avaient été rendues publiques que le conseil d’administration de l’école ultra-orthodoxe pour filles de cette communauté très insulaire de Melbourne avait acheté un billet d’avion à la directrice, de nationalité israélienne, pour lui permettre de revenir dans le pays qu’elle avait quitté huit ans plus tôt.

L’affaire s’était arrêtée là.

Comme beaucoup d’autres délinquants sexuels, Leifer a alors vécu librement en Israël, dans une implantation isolée du nord de la Cisjordanie, avant d’être arrêtée en 2014.

Elle avait feint une maladie mentale grave pour retarder la procédure. Elle était parvenue à convaincre un tribunal de Jérusalem qu’elle souffrait d’une maladie psychique en 2016 et le procès en extradition a été suspendu.

Sur la foi d’images, recueillies par des détectives privés, montrant Leifer en train de mener une vie tout à fait normale, elle avait été de nouveau arrêtée en 2018.

Les aléas de la procédure avaient encore été nombreux.

Des rabbins orthodoxes de haut rang s’étaient porté personnellement garants de Leifer, tandis que d’autres avaient assumé ses frais de justice.

Le député Yahadout HaTorah Yaakov Litzman au parlement israélien, à Jérusalem, le 1er juillet 2021. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Malgré les preuves de plus en plus nombreuses de sa parfaite santé mentale, le tribunal de district de Jérusalem avait continué à accepter les demandes répétées de la défense qui réclamait toujours de nouvelles audiences visant à déterminer son aptitude à l’extradition.

De manière inexplicable, un psychiatre assermenté d’État était revenu sur ses déclarations, ce qui avait encore retardé le procès.

En 2019, il s’était avéré que le vice-ministre de la Santé de l’époque, Yaakov Litzman, était à l’origine de la décision prise par le psychiatre de revenir sur son diagnostic, déclarant Leifer inapte au procès.

Le député du mouvement hassidique de Gur avait fait pression sur le médecin-expert pour empêcher l’extradition de Leifer, qui entretenait des liens avec sa communauté.

Accusé d’abus de confiance pour ces faits l’an dernier, Litzman avait plaidé coupable. Il a depuis néanmoins réussi à éviter la prison et il a seulement été condamné à une amende de 940 dollars.

En dépit de ces révélations, le tribunal de district de Jérusalem avait poursuivi ses audiences sur l’aptitude mentale de Leifer jusqu’à ce qu’elle soit finalement jugée apte à être extradée et renvoyée en Australie, en janvier 2021.

Cette procédure aura requis plus de 70 audiences et mis à rude épreuve les liens par ailleurs étroits entre Jérusalem et Canberra.

Les tensions s’étaient ressenties plus durement encore dans les relations entre Israël et la communauté juive d’Australie, l’une des plus fidèles de la diaspora. Cette dernière avait été profondément choquée par la douleur que les responsables de leur communauté étaient prêts à infliger aux victimes d’abus et à ceux qui les soutiennent.

Des obstacles du côté israélien

Dans l’interview accordée lundi, Meyer admet qu’elle n’a pas encore traité le chapitre israélien de la procédure judiciaire – car elle s’est surtout concentrée sur le procès de Melbourne qui a suivi.

Que pense-t-elle des deux systèmes judiciaires ? À cette question, elle répond : « En Israël, notre voix était inaudible. Ici [en Australie], on nous entendait, mais la plupart du temps, pas assez. »

Le défenseur des droits des victimes Manny Waks (à droite) tient le téléphone via lequel les victimes de Malka Leifer, Dassi Erlich, Nicole Meyer et Elie Sapper, s’adressent aux journalistes du tribunal de district de Jérusalem, le 26 mai 2020. (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)

Âgée de 37 ans, elle dénonce ce qu’elle décrit comme le refus du tribunal de Victoria de divulguer la totalité des crimes et abus commis par Leifer en raison de diverses ordonnances d’embargo.

« Constater que Malka Leifer ne pouvait pas manipuler le système comme elle l’a fait en Israël a été un immense soulagement », confie Meyer, rappelant que l’ex-directrice d’Adass Israël avait cessé de feindre la maladie mentale à son retour en Australie.

Elle pense même que Leifer n’aurait jamais été extradée en Australie si elle et ses sœurs n’avaient pas lancé une campagne publique, il y a six ans, à grands renforts de déplacements en Israël, pour plaider en faveur de l’extradition de leur ancienne professeure.

Revenant sur les difficultés à se faire entendre, Meyer se rappelle avoir siégé au tribunal de district de Jérusalem et s’être sentie comme une spectatrice, empêchée de témoigner « alors même que les preuves des agressions [de Leifer] étaient évidentes. Ses avocats ont essayé de nous faire expulser de la salle d’audience, comme si nous n’avions pas le droit d’être là. »

« Alors oui, Israël a des comptes à rendre en la matière, tout comme Litzman », assure Meyer.

« Mais nous l’avons forcée à venir [en Australie] et elle est enfin reconnue coupable, en dépit de tous les obstacles auxquels nous avons été confrontées à cause des plus hauts responsables en Israël. »

La directrice de l’école ultra-orthodoxe pour filles Adass Israël, Malka Leifer (à gauche), avec ses élèves, dont Nicole Meyer (au centre) en 2003. (Autorisation)

Une réforme judiciaire australienne est-elle nécessaire ?

Meyer explique que ses deux dernières années en Australie ont été beaucoup plus difficiles que prévu.

« Oui, nous avons eu notre journée de parole au tribunal, mais je n’ai pas pu dire tout ce que j’avais sur le cœur. »

Le tribunal a en effet interdit à Meyer d’évoquer ce qu’elle considère pourtant comme des années supplémentaires d’abus de la part de Leifer, qui ont eu lieu après qu’elle se soit fiancée à l’adolescence, alors qu’elle était inconsciente de l’emprise de son ex-professeure en raison d’années de traumatisme et d’un manque d’éducation sexuelle.

Le jury n’a pu entendre des témoignages que sur cinq chefs d’accusation, alors que Meyer parle « de six ans et demi d’abus ».

Elle pense que l’accusation a retiré une partie des faits, qui auraient rendu l’affaire plus difficile encore à comprendre pour la plupart des membres du jury.

N’est demeurée au final qu’une toute petite partie du témoignage original, auquel « manquaient des éléments importants de contexte », et que la défense a fait en sorte de « détruire » lors d’un très long contre-interrogatoire de trois heures que Meyer qualifie de « nouveau traumatisme ».

Vue d’artiste de l’ancienne directrice de l’école de Melbourne, Malka Leifer, à la Cour du comté de Victoria à Melbourne, en Australie, le 8 février 2023. (Crédit : Mollie McPherson / AAP Image via AP)

Meyer est convaincue que l’exposé limité des faits qui a été présenté au jury explique les verdicts de non-culpabilité dans les accusations liées à son témoignage.

Elle estime que le système juridique australien a besoin d’être réformé car les victimes d’abus se sentent au final plus traumatisées qu’elles ne l’étaient auparavant.

« On fait beaucoup pour les droits de l’accusé. Malka Leifer avait beaucoup plus de droits que nous. Elle a pu assister à l’intégralité de la procédure dans la salle d’audience, alors que nous, non », explique Meyer.

« Il faut une réforme profonde pour garantir les droits des victimes, à la hauteur des droits des accusés. »

Aucun regret

En dépit de ce verdict de culpabilité partielle, Meyer assure ne pas regretter d’avoir porté plainte contre Leifer.

« Etre passé par tout ça pour ouvrir la voie à d’autres personnes… c’est ça qui fait tenir », assure-t-elle.

« Nous ne regrettons pas cette épreuve parce que Leifer est maintenant mise hors d’état de nuire, » ajoute-t-elle.

« Elle s’est défendue bec et ongles, mais nous avons prouvé que nous pouvions en faire tout autant. »

Alors que le président du jury finissait de lire le verdict, Meyer s’est retournée cinq fois pour croiser le regard de l’ex-directrice. « Vous n’avez plus de pouvoir sur moi. Je l’ai repris », se souvient-elle avoir pensé.

Un détective privé a surpris Malka Leifer en train de faire ses courses à Bnei Brak, le 14 décembre 2017. (Capture d’écran/YouTube)

Même si elle n’a pas obtenu le même verdict de culpabilité que ses deux sœurs, Meyer assure ne pas s’être sentie seule lundi.

« Nous nous sommes assises toutes les trois, côte à côte, au tribunal et nous ne nous sommes pas quittées. Mes deux sœurs m’aiment beaucoup et elles auraient aimé qu’au moins une [des] accusations [qui me concernent] reçoive un verdict de culpabilité afin que nous puissions chacune obtenir justice », dit-elle.

« Mais ce qui nous lie est tellement fort que les verdicts de culpabilité que Leifer a reçus l’ont finalement été en notre nom à toutes. »

Meyer dit se concentrer désormais sur les suites du verdict de lundi et sur la détermination de la peine de Leifer, avec l’espoir qu’il n’y ait pas d’appel.

« Nous voulons toutes les trois mettre cette histoire derrière nous et aller de l’avant, avec la conviction d’avoir fait ce qu’il fallait pour la mettre hors d’état de nuire », conclut-elle.

« Nous voulons maintenant être la voix d’autres rescapées d’abus sexuels, chacune d’entre nous à sa manière. »

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