Akko, haut lieu de coexistence judéo-arabe, sous le choc des troubles récents
Après une semaine de chaos et de destruction d'entreprises appartenant à des Juifs, les habitants se regroupent et tentent de tourner la page
C’est un lundi calme dans des ruelles de la Vieille Ville d’Akko, les résidents et les commerçants reviennent lentement à la normale après le chaos, les émeutes et les destructions de plus d’une douzaine d’entreprises appartenant à des Juifs, il y a deux semaines, dans cette ville côtière historique.
Les propriétaires nettoient les débris, balaient le verre brisé, retirent les traces de feu, et déposent des déclarations de sinistre à leur assurance.
Ils demandent aussi comment cela a pu se produire à Akko, une ville classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, attractive pour les touristes grâce à ses hôtels de charme, ses restaurants de chef et sa réputation de coexistence entre ses habitants arabes et juifs.
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Il n’y a pas de réponse unique, mais les habitants ont leur avis.
Ils pointent du doigt le problème de drogue bien connu à Akko, qui touche les jeunes hommes arabes à la fin de l’adolescence et au début de la vingtaine ; la police d’Akko qui n’est pas entrée dans la Vieille Ville une seule fois pendant la semaine de violences ; et le système éducatif qui n’offre pas assez de débouchés aux jeunes Arabes.
« Akko n’est pas Savyon », a déclaré Judith Bar Or, directrice du centre touristique du Fonds national juif de la Vieille Ville, qui a subi d’énormes dommages lors des troubles. Elle faisait référence à une banlieue chic en périphérie de Tel-Aviv. « Il y a beaucoup de criminels ici. Les racines du problème sont d’ordre criminel, la criminalité a davantage d’influence que la coexistence. »
Akko, qui abrite 50 000 personnes, dont près de 32 % d’Arabes, s’est métamorphosée ces dix dernières années, pour devenir ce que beaucoup espéraient être l’exemple par excellence de ville mixte.
La Nouvelle Akko présente des immeubles résidentiels, des écoles et des centres commerciaux typiques de toute ville israélienne, et abrite différentes tranches de la démographie israélienne, dont une population d’origine Mizrahi et des Israéliens russes qui ont immigré dans les années 1990.
C’est cependant la Vieille Ville d’Akko – située sur la baie le long de la Méditerranée et dont certains quartiers remontent à l’époque byzantine et à l’ère des Croisades, avec des touches élégantes de la période turque ottomane – qui attire la plupart des visiteurs.
Environ 95 % des habitants de la Vieille Ville sont arabes. Ces dernières années, des entrepreneurs juifs israéliens ont découvert ses ruelles sinueuses et ses bâtiments historiques, et ont acheté des propriétés pour les transformer en hôtels de charme et tzimmers, le terme israélien pour désigner les chambres d’hôtes.
Ces commerces appartenant à des Juifs ont été pris pour cibles lors de la récente vague de violence, notamment le célèbre restaurant de poissons Uri Buri sur le port, et Effendi, l’hôtel-boutique méticuleusement rénové à l’intérieur de la Vieille Ville, qui appartiennent à Uri Jeremias et ont tous deux été incendiés.
Dans le passé, le maire d’Akko Shimon Lankri, qui a été réélu en 2018 avec 85 % des voix, a attribué la revitalisation de la Vieille Ville à des propriétaires locaux comme Jeremias.
« J’ai honte de regarder Uri dans les yeux », a avoué Abdu Matta, un guide local et défenseur du patrimoine qui a grandi et vit toujours dans la Vieille Ville avec sa famille. « Les habitants ont essayé de protéger les commerces juifs, mais on les a sommés de s’écarter. Nous ne nous attendions pas à ce niveau de violence. »
Arabesque, un tzimmer de l’époque ottomane méticuleusement rénové qui appartient à l’écrivain Evan Fallenberg, a été détruit, ses fenêtres brisées, les meubles et vaisselle cassés et ses portes et matelas incendiés.
Idem pour Duck You Akko, un concept-store appartenant à des Juifs, une galerie d’art dans le bazar turc, le centre du Fonds national juif, le bureau local du ministère du Tourisme, le théâtre judéo-arabe Acco, et même Flooka, un restaurant de poissons appartenant au chef arabe Saed Shami, qui a travaillé à Uri Buri pendant de nombreuses années avant d’ouvrir son propre restaurant de fruits de mer.
« Je n’ai pas de colère, ce n’est pas ça que je ressens », a déclaré Fallenberg. « Je ressens une profonde tristesse liée aux causes de ces événements. Nous devons analyser notre rôle dans tout cela. Les Juifs doivent comprendre toute la discrimination, mais les Arabes doivent aussi faire le ménage. »
Au théâtre judéo-arabe Acco, dirigé par le metteur en scène juif Moni Yosef et le directeur artistique arabe Khaled Abu Ali, Yosef a décrit un sentiment de trahison envers la ville, parce que « quelqu’un de stupide a fait ça ». Pourtant, ils sont déterminés à ce que la saison théâtrale commence comme prévu le 10 juin.
« Aucun de nos employés n’était impliqué et c’est notre succès », a déclaré Yosef.
Le théâtre, qui met en scène des pièces en arabe et en hébreu, se targue d’un fort sentiment de communauté parmi ses employés et ses acteurs.
« Si nous ne pouvons pas faire notre travail, c’est un échec », a déclaré Abu Ali. « Ce que nous avons réussi à créer ici, au Théâtre Acco, ça devrait être fait partout. »
En même temps, rien de tout cela n’est tellement surprenant, a déclaré Yosef.
« Il y a une population arabe ici, et elle est sensible à tout cela, à Sheikh Jarrah, à Al Aqsa », a-t-il expliqué, faisant référence à une série d’événements à Jérusalem qui ont précédé la récente escalade à Gaza. « Ils n’ont pas le sentiment d’appartenir à la société israélienne, ils ont de la famille dans les territoires – tout est là, sous la surface. Il y a des choses compliquées ici. »
Fallenberg, qui a acheté la maison devenue Arabesque il y a huit ans, a noté que certains de ses voisins arabes propriétaires de tzimmer sont devenus de proches amis et ont essayé d’empêcher la foule de détruire sa maison d’hôtes pendant la semaine de troubles.
« Je ne veux pas rénover [Arabesque] pour les touristes », a déclaré Fallenberg, qui se dit hôtelier par accident. « Je veux le faire pour les résidents, et c’est cela qui attirera les touristes. »
Shelly Ann Peleg, archéologue et défenseur passionnée du patrimoine d’Akko, qui a guidé lundi un groupe d’habitants, militants et organisateurs d’Akko dans la Vieille Ville, a expliqué que la vie de nombreuses familles arabes locales consiste à mettre de la nourriture sur la table tous les jours, des préoccupations différentes de celles des entrepreneurs à la recherche d’un bon investissement.
« Le tourisme est le gagne-pain de ces familles, c’est important », a-t-elle déclaré.
« Vous ne pouvez pas rendre la ville super luxueuse sans investir dans la population », a déclaré Tina, une résidente locale qui travaille dans une galerie appartenant à des Juifs qui a été détruite lors des récents troubles.
Il a fallu du temps aux habitants arabes de la Vieille Ville d’Akko pour développer leurs propres entreprises touristiques, selon Daniel Arama, chef du département du tourisme d’Akko, mais une fois qu’ils ont rejoint la tendance, ils ont compris son potentiel.
« Il y a dix ans, il n’y avait pas un seul tzimmer dans la Vieille Ville, et maintenant il y en a presque 100 », a déclaré Arama, assis dans les bureaux de la Vieille Ville de la municipalité côtière, qui ont été saccagés pendant la semaine d’émeutes. « Nous vivions dans l’euphorie. Akko était un exemple pour d’autres villes. »
Pourtant, il pense que le tourisme reviendra, d’abord par les Israéliens, qui voient la ville balnéaire comme une excursion facile pour la journée.
« La mémoire est courte », a déclaré Arama.
Il y a déjà des discussions sur une force de police touristique pour sécuriser la zone de la Vieille Ville d’Akko. L’éducation a également été mentionnée à plusieurs reprises lors de la tournée de lundi, avec des discussions sur des jardins d’enfants judéo-arabes, des programmes pour enseigner la tolérance dans les écoles arabes et juives, et le besoin vital de programmes professionnels concrets dans les écoles arabes, dont la plupart des élèves ne vont pas à l’université.
Shami, le chef et propriétaire de Flooka, a parlé du programme d’école de cuisine dans l’un des lycées arabes, qui ne comptait que trois élèves quand il a commencé et qui en compte maintenant plus de 100. En plus d’acquérir de sérieuses compétences culinaires, les chefs en herbe apprennent les lois juives sur la casheroute afin qu’ils trouvent plus facilement du travail dans les cuisines d’hôtels d’Israël, pour la plupart casher.
« Les jeunes qui ont fait cela ne connaissent rien à la politique », a-t-il déclaré. « Nous devons trouver un moyen pour que cela ne se reproduise plus. »
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