Ancien député turc : la tentative de coup d’Etat pourrait susciter de l’antisémitisme
Comme les manifestations de 2013, la tentative de putsch ne fera probablement pas dérailler le rapprochement entre Jérusalem et Ankara, mais pourrait considérablement le ralentir
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël
La tentative par une partie de l’armée turque de prendre le pouvoir au président Recep Tayyip Erdogan pendant le week-end ne mettra pas en danger l’engagement d’Ankara envers la réconciliation avec Israël, mais pourrait déclencher un sentiment anti-israélien et antisémite, a prévenu samedi un ancien député turc, soulignant une « hausse spectaculaire de l’auto-justice et du discours de haine islamiste. »
Les politiciens populistes de Turquie ont tendance à accuser soit Israël, soit un complot juif, de la plupart des maux s’abattant sur leur pays, a déclaré Aykan Erdemir, qui était membre du Parlement pour le parti CHP (opposition) entre 2011 et 2015. « Grâce à la normalisation en cours entre Israël et la Turquie, Israël et les juifs ont été épargnés de tels discours de haine et d’être les boucs émissaires cette fois. »
Le ministre turc du Travail, Süleyman Soylu, a accusé les Etats-Unis d’avoir initié la tentative de coup d’Etat, « ce qui indique que les Etats-Unis ont remplacé Israël comme principal bouc émissaire des politiciens populistes pour l’instant », a déclaré Erdemir.
Cependant, a-t-il ajouté, « depuis la tentative de coup d’Etat, il y a une hausse spectaculaire de l’auto-justice et du discours de haine islamiste dans la rue turque. Ce n’est qu’une question de temps [avant] que la foule n’accuse les minorités. »

Alors que le gouvernement d’Erdogan continuera à chercher à normaliser ses relations avec Israël, les partisans de son parti, AKP, « pourraient tirer partie des troubles et de la mobilisation actuels pour propager des messages anti-israéliens et antisémites », a déclaré au Times of Israël Erdemir, qui travaille actuellement à la Fondation pour la défense des démocraties à Washington. « Cela pourrait être un résultat imprévu de l’activisme de rue des partisans de l’AKP. »
Erdemir a noté que Jérusalem avait publié samedi un communiqué de soutien au processus démocratique en Turquie, soutenant effectivement Erdogan, et que le plus haut diplomate israélien à Ankara, Amira Oron, avait assisté à une session extraordinaire du Parlement turc convoquée par le gouvernement d’Erdogan.
« Ces gestes seront accueillis dans tout le spectre politique en Turquie, et renforceront plus encore le processus de normalisation en cours. »
Il n’y a pas de raison de craindre que les évènements du week-end ne mettent en danger l’accord de réconciliation israélo-turc, qui a été annoncé le 27 juin par le Premier ministre Benjamin Netanyahu et a été approuvé par le cabinet de sécurité deux jours après, a déclaré Erdemir.
« En fait, moins Erdogan se sent en sécurité chez lui, plus il est probable qu’il répare les relations avec l’étranger », a déclaré Erdemir, qui enseigne aussi à l’université Bilkent, au sein du département de sciences politiques et d’administraion publique.
Nimrod Goren, expert de la Turquie de l’université Hébraïque de Jérusalem, a également déclaré qu’il était peu probable que le putsch contrecarré ne fasse dérailler l’accord. Cependant, il a prédit qu’il faudrait à présent plus de temps à Ankara pour finaliser le processus, puisque que cela implique que le Parlement turc approuve l’accord.
« J’estime que la tentative de coup d’Etat pourrait ralentir le processus de normalisation, pas à cause du manque de volonté politique, mais parce que la priorité interne en Turquie sera portée ailleurs », a-t-il déclaré au Times of Israël.
L’accord signé le mois dernier entre Ankara et Jérusalem stipule qu’avant que les deux parties n’échangent des ambassadeurs et restaurent des relations diplomatiques complètes, le Parlement turc doit voter une loi protégeant de poursuites civiles et pénales les soldats israéliens qui ont participé au raid de 2010 contre un navire d’une flottille à destination de la bande de Gaza, pendant lequel neuf Turcs ont été tués.
« A présent, je ne suis pas certain que cela soit au programme en Turquie », a déclaré Goren, qui dirige Mitvim, l’Institut israélien pour la politique étrangère régionale.
En mars 2013, Netanyahu avait appelé Erdogan et s’était excusé pour les « erreurs opérationnelles » dans l’incident de la flottille, et avait promis de « conclure un accord de dédommagement/non-responsabilité », selon un communiqué publié à ce moment par le bureau du Premier ministre.
Quelques semaines après cet appel, qui avait été initié par Netanyahu à la demande du président américain Barack Obama, les manifestations dites du parc Gezi avaient commencé en Turquie.
« Cela avait changé l’ordre des priorités nationales, a déclaré Goren, et cela pourrait aussi arriver cette fois. »