Angela Warnick Buchdahl : La situation à Gaza et la méfiance envers Netanyahu compliquent le soutien des Juifs US
Alors que les relations israélo-américaines sont menacées, les propos de la rabbin de la Central Synagogue NYC, lors d'une conférence sur le peuple juif, ont suscité de vives critiques
Une éminente femme rabbin de New York, affiliée au mouvement réformé, a affirmé que Les juifs américains ont du mal a soutenir Israël dans sa guerre contre le Hamas, en raison de la méfiance envers gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu et des souffrances des civils à Gaza. Ces propos lui ont valu de vives réactions de la part d’autres rabbins américains.
La question a été évoquée par Angela Warnick Buchdahl, la principale femme rabbin de Central Synagogue à New York, lors d’une conférence qui s’est tenue mercredi à la Bibliothèque nationale d’Israël à Jérusalem sur le thème du peuple juif, à laquelle elle participait à distance en vidéoconférence.
Ses propos et son assertion que les souffrances à Gaza « devraient bouleverser tout être humain » ont suscité de vives réactions contraires, notamment de la part de Shmuley Boteach, rabbin orthodoxe bien connu et ardent défenseur d’Israël. Celui-ci l’a accusée de commettre une « trahison publique de son peuple ».
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Le rabbin Harold Kravitz, ancien président de l’assemblée rabbinique Conservative-Masorti, a déclaré qu’il trouvait les propos de Buchdahl tout à fait fondés. Il a, par ailleurs, souligné l’impact de la partialité dans la couverture de la guerre par la presse, ainsi que les dommages causés à la cause d’Israël par la présence d’extrémistes au sein de la coalition israélienne.
Les remarques de Buchdahl, qui interviennent alors que les relations bilatérales entre les États-Unis et Israël sont fragilisées, soulignent l’effet polarisant que les hostilités ont sur les relations que certains Juifs américains entretiennent avec Israël et au sein de leurs propres communautés.
Lors d’une table ronde organisée mercredi à Jérusalem dans le cadre de la conférence Heschel, qui portait sur le peuple juif et les relations entre Israël et la diaspora en temps de guerre, un intervenant a demandé à Buchdahl si « au fur et à mesure que la guerre se poursuit, votre communauté éprouve-t-elle des difficultés à soutenir Israël ? ».
La réponse de Buchdahl a été détaillée. Elle a déclaré que « la perte de vies humaines à Gaza, alors que la guerre se poursuit, a rendu les choses très compliquées », ajoutant que « les informations que voient les Américains sont très différentes ».
Les Juifs américains, a-t-elle ajouté, « voient la dévastation et la perte… d’enfants, de femmes et de vies innocentes, et, bien sûr, que la guerre est nécessaire pour défendre Israël, mais la destruction de villes entières. La faim et le désespoir sont tels que les gens se battent pour manger. Ce sont des images qui devraient bouleverser n’importe quel être humain. Et c’est d’autant plus difficile que la confiance dans le gouvernement israélien actuel n’est pas, je dirais, au beau fixe ».
« Je pense que cela a précédé le 7 octobre. Et je pense que cette guerre va amplifier ce phénomène. Lorsque vous voyez les images que nous voyons, la méfiance envers le gouvernement actuel et l’absence de plans clairs pour l’après-guerre, je pense que tous ces éléments font qu’il est beaucoup plus difficile pour les Juifs d’Amérique, à mesure que la guerre se prolonge, de la soutenir. Et puis, bien sûr, ils ressentent les pressions des communautés qui nous entourent et qui réclament un cessez-le-feu », a-t-elle ajouté.
Cette femme rabbin faisait partie du groupe d’une dizaine de rabbins américains qui se sont rendus en Israël en novembre dans le cadre d’un voyage de solidarité après l’assaut lancé par le groupe terroriste palestinien Hamas le 7 octobre, au cours duquel ses terroristes ont assassiné près de 1 200 personnes en Israël et en ont kidnappé 253 autres. Sa synagogue, achevée en 1872, est l’un des plus anciens lieux de culte juifs en activité à New York. C’est également un lieu de sensibilisation et de défense des intérêts juifs fréquenté par certaines des personnalités les plus influentes de la communauté juive locale.
Son malaise face à la guerre est partagé par de nombreux juifs libéraux américains, y compris par J Street, le groupe de pression modéré fondé en 2007 pour concurrencer l’AIPAC, le lobby pro-israélien plus conservateur. « Le nombre de morts civils et la crise humanitaire à Gaza que l’opération militaire du gouvernement Netanyahu a provoqués sont inacceptables et ne correspondent pas aux intérêts et aux valeurs américains », ont-ils écrit en décembre.
Très tôt dans cette guerre contre le Hamas, des rabbins américains progressistes ont exprimé leur malaise face aux actions d’Israël. En janvier, Jay Michaelson, qui se décrit comme un rabbin non-confessionnel et un professeur de méditation dans la lignée du bouddhisme theravada, a écrit dans The Forward que « même le plus ardent défenseur d’Israël doit admettre que des tragédies terribles, voire indicibles, ont eu lieu à Gaza ».
Mais de telles critiques ont été rares de la part de rabbins plus conventionnels comme Buchdahl, qui est pourtant intervenue dans les médias israéliens et a pris la parole lors de rassemblements en Israël en faveur de la libération des otages.
Boteach, auteur de 31 livres, et considéré par certains comme le premier rabbin vedette en Amérique, a indiqué que de nombreux Juifs américains n’étaient pas d’accord avec les sentiments partagés par Buchdahl.
« Le rabbin Angela Buchdahl », a confié Boteach au Times of Israel, « semble souffrir de confusion morale au sujet d’Israël et du Hamas, alors permettez-moi de venir l’éclairer ». Les terroristes du Hamas, que Boteach a qualifiés de « nazis avec des Go-Pros », sont responsables de la mort d’enfants palestiniens, a-t-il dit, en ajoutant « qu’Israël a tout fait pour minimiser les souffrances de nos frères et sœurs palestiniens qui vivent sous le culte de la mort du Hamas ».
Boteach a conseillé à Buchdahl de « faire un sérieux examen de conscience sur sa trahison publique de son propre peuple. Ce qu’elle aura certainement l’occasion de faire depuis le confort de son appartement de Manhattan, pendant que mes deux fils servant dans Tsahal, comme des centaines de milliers d’autres jeunes hommes et femmes juifs, supportent le poids de ce conflit pour s’assurer que la vie juive, après deux mille ans, bénéficie enfin d’une protection et de valeurs. » Il a conclu en disant que « les rabbins feraient mieux, parfois, de réfléchir avant de parler ».
Abraham Cooper, un autre rabbin orthodoxe et le directeur de l’action sociale mondiale du groupe de défense du Centre Simon Wiesenthal, a également contesté les remarques de Buchdahl.
Le « sentiment permanent de solidarité entre Israéliens pour éliminer le Hamas », a-t-il dit, « continue à rassembler les juifs américains dans leur soutien à Israël », tout comme le sentiment de traumatisme lié à l’attaque du 7 octobre, a-t-il déclaré au Times of Israel.
Les images des souffrances des Palestiniens à Gaza, que les médias imputent de plus en plus à Israël, « dominent la couverture médiatique [et] ont un impact sur les Juifs parce que notre culture est une culture de la vie », a souligné Cooper. « Mais au bout du compte, pour la grande majorité des juifs américains, nos bulles d’avant le 7 octobre ont éclaté et la sinistre solidarité avec la lutte existentielle d’Israël pour sa survie se poursuit ».
Le rabbin Kravitz, ancien président de l’Assemblée rabbinique, l’association professionnelle internationale des rabbins conservateurs, a déclaré que « si le rabbin Buchdahl décrit avec précision les sentiments de nombreux juifs américains, il est important de noter les autres réactions des juifs américains face à la poursuite du conflit ».
Kravitz a indiqué au Times of Israel qu’il ajouterait aux propos de Buchdahl que « l’inclusion dans la coalition gouvernementale actuelle d’extrémistes, dont les positions haineuses reflètent mal Israël et le peuple juif, fait beaucoup de tort à la cause d’Israël ».
Il a ajouté que « nombre de nos concitoyens sont choqués par la partialité de la couverture médiatique et du discours des politiques sur ce qui se passe a Gaza. Une grande partie du monde ignore les atrocités commises le 7 octobre et le fait que quelque 130 personnes sont toujours retenues en otage ».
À la conférence, Buchdahl a également souligné la montée de l’antisémitisme aux États-Unis après le déclenchement de la guerre et a déclaré que « de mon vivant, nous ne nous sommes jamais sentis aussi anxieux et vulnérables en tant que juifs aux États-Unis ». Les Juifs américains ont été choqués par le silence de « ceux que nous considérions comme des alliés ou des leaders moraux face à ce qui était clairement une effroyable attaque terroriste » le 7 octobre, a-t-elle ajouté.
Selon des chiffres non vérifiés du ministère de la Santé du Hamas, quelque 32 000 personnes ont péri à la suite de l’offensive israélienne à Gaza, qui selon l’Organisation des Nations unies (ONU), serait confrontée à une « famine imminente ». Ces chiffres ne font pas la distinction entre les civils et les terroristes armés du Hamas et d’autres groupes terroristes à Gaza. Israël affirme avoir tué au moins 13 000 de ces terroristes.
La guerre, qui a éclaté et se poursuit en pleine année électorale aux États-Unis, met à rude épreuve les relations bilatérales entre ce pays et Israël. Le président américain Joe Biden, qui s’est engagé à soutenir la guerre d’Israël contre le Hamas et a envoyé des centaines de tonnes de matériel militaire à Israël, s’opposerait à une incursion israélienne du bastion du Hamas à Rafah et ferait pression sur Israël pour qu’il allège les souffrances des civils dans la bande de Gaza.
La semaine dernière, le chef de la majorité au Sénat, Chuck Schumer, qui est lui-même Juif, a déclaré dans un discours très inhabituel que « la coalition Netanyahu ne correspond plus aux besoins d’Israël après le 7 octobre » et que « de nouvelles élections étaient la seule manière de permettre la tenue d’un processus décisionnel sain sur l’avenir d’Israël. »
Netanyahu a qualifié les propos de Schumer de « complètement déplacés » et le chef des Républicains au Sénat, Mitch McConnell, a déclaré qu’il était « grotesque et hypocrite pour des Américains qui hyperventilent sur l’ingérence étrangère dans notre propre démocratie d’appeler à la destitution d’un dirigeant démocratiquement élu d’Israël. »
Interrogé sur le discours de Schumer, Biden a répondu que c’était « un bon discours ».
Le candidat républicain à la présidence des États-Unis, Donald Trump, a déclaré dans une interview diffusée lundi que « toute personne juive qui vote pour les démocrates déteste leur religion, déteste tout ce qui concerne Israël et devrait avoir honte d’elle-même ». Ces propos ont été condamnés par de nombreux groupes juifs non partisans, dont l’American Jewish Committee, qui a qualifié les remarques de Trump « d’épouvantables, de source de division et de dangereuses ».
La situation à Gaza complique également les interactions entre les Juifs américains et israéliens, a déclaré Gur Alroey, le futur recteur de l’université de Haïfa, lors de la conférence.
Alroey a récemment accueilli à l’université Samuel Norich, le président du journal juif américain The Forward. Norich s’adresse chaque année aux étudiants de l’université. Mais lors de sa dernière visite, « il y a eu une déconnexion totale entre Sam, d’une part, et les étudiants et moi-même, d’autre part ». Norich a évoqué avec ses hôtes israéliens « les morts, la famine » à Gaza, a expliqué Alroey, « mais nous n’étions pas ouverts à cela. Nous pleurons encore le pogrom du 7 octobre. Pour la première fois en plus de dix ans d’accueil, le dialogue a échoué ».
Parmi les autres intervenants de la conférence figuraient l’ancien ministre de la Justice, Yossi Beilin, et Yifat Selah, une responsable du groupe féministe orthodoxe Emunah.
Yizhar Hess, vice-président de l’Organisation sioniste mondiale (WIZO), a recommandé de considérer les divergences et les frictions dans le contexte plus large de l’histoire dynamique et globalement positive des relations entre Israël, les États-Unis et leurs juifs.
Les Juifs américains ont « dicté leurs conditions » aux Israéliens dans les premières années de l’existence d’Israël, et, maintenant que le rapport de force a changé en leur faveur, les Juifs israéliens essaient de faire de même », a-t-il suggéré.
Notant toutefois la mobilisation des États-Unis et des Juifs américains en faveur d’Israël tout au long de la guerre actuelle et des conflits précédents, il a ajouté : « Rien de tout cela n’aurait été possible sans un lien solide entre les Juifs américains, les plus nombreux de la diaspora, et l’État-nation du peuple juif ».
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