Antisémitisme au Royaume-Uni : les Juifs laïcs reviennent à leurs racines
Le torrent de haine insufflé par le Labour créerait "un sens d'unité et de solidarité sans parallèle" parmi les Juifs britanniques pratiquants et non pratiquants
JTA — Pendant la majeure partie de sa vie d’adulte, Rachel Riley n’était que vaguement consciente de ses origines juives.
Cette présentatrice télé à la popularité de 33 ans fait partie des nombreux Juifs non pratiquants du Royaume-Uni, qui compte 250 000 citoyens juifs et enregistre un taux de fréquentation de ses synagogues à son plus bas niveau historique.
« Quand j’étais enfant, ma mère nous donnait de la pizza aux pepperoni », a-t-elle confié au Times de Londres, soulignant qu’elle ne mangeait pas casher.
A Hanoukka ajoute-t-elle : « nous allumions les bougies de la ménorah, mais nous n’allions pas à la synagogue, et je n’ai jamais observé le Shabbat. »
Mais après avoir subi des insultes antisémites en ligne pour avoir critiqué le parti travailliste britannique – dont le dirigeant d’extrême gauche Jeremy Corbyn a été qualifié d’antisémite pour ses discours et ses opinions anti-israéliennes – Rachel Riley s’est sentie obligée de s’exprimer, y compris au Parlement, contre la prolifération de cette haine et sur la façon dont elle a touché sa propre famille.
« Ma famille est venue après les pogroms. Pendant des siècles, les Juifs ont été persécutés et expulsés de différents pays », explique-t-elle dans son entretien avec le Times.
La redécouverte de son identité juive fait partie d’un processus plus vaste qui crée « une unité et un sens de la solidarité sans précédent entre les Juifs de toutes tendances » au Royaume-Uni, a expliqué au JTA le groupe de surveillance Campaign Against Antisemitism basé à Londres.
La crise générant ce sentiment d’unité est principalement née de l’élection en 2015 de Corbyn à la tête du Parti travailliste. Des milliers de ses partisans ont rejoint le parti pour lui, créant une atmosphère toxique pour les juifs et donnant lieu à des milliers de cas de propos haineux contre les juifs dans les rangs du parti.
L’année dernière, Margaret Hodge, une députée travailliste historique siégeant à la Chambre haute du Parlement britannique, avait fait l’objet d’une enquête par son propre parti pour avoir critiqué le problème d’antisémitisme de Corbyn. Elle a déclaré que la décision du parti lui avait fait penser à ce que l’on ressentait en tant que Juif en Allemagne dans les années 30.
Il s’agissait d’une déclaration si inhabituelle venant d’une personne si peu pratiquante que de nombreux juifs britanniques ignoraient même qu’elle était juive.
« Je n’ai jamais été active dans la communauté juive. Mes deux mariages étaient avec des non-Juifs », avait-elle écrit dans une tribune du Guardian en juillet. « Mais je suis juive », avait-elle ajouté.
La mobilisation de la députée contre l’antisémitisme n’est pas vraiment incongrue – elle l’écrivait dans le Guardian, elle avait rejoint le Parti travailliste dans les années 1960 pour lutter contre le racisme.
Mais les déclarations de Rachel Riley étaient moins attendues. Avant de commencer à s’élever contre l’antisémitisme l’automne dernier, elle était surtout connue pour être l’une des animatrices d’une émission historique de casse-tête de la chaîne Channel 4, « Countdown ». Elle se faisait souvent remarquer pour ses robes ne passant pas inaperçues et par sa capacité à résoudre des énigmes mathématiques.
Peu de Britanniques savaient que cette blonde aux yeux bleus était juive.
Cela a commencé à changer en septembre dernier, lorsqu’elle fait part sur Twitter de son inquiétude après l’apparition d’affiches illégales à Londres affirmant : « Israël est une entreprise raciste ».
Ces affiches, relevant d’une guerre de mots et de panneaux d’affichage entre les partisans de Corbyn et ses détracteurs, étaient liées à l’objection de Corbyn contre l’adoption par son parti d’une définition de l’antisémitisme incluant tout sentiment anti-israélien.
C’est après s’en être émue que Rachel Riley s’est exposée à des insultes antisémites en ligne, a-t-elle déclaré.
Son compte Twitter – d’habitude rempli de demandes d’écolières demandant de l’aide pour résoudre des problèmes de maths – s’était retrouvé submergé d’injures racistes et d’autres insultes de la part de personnes qui, dit-elle, sont des fans de Corbyn.
« Au nom du Parti travailliste, j’ai été qualifiée de propagandiste hypocrite et menteuse, de cheval doté de crocs, d’âne, de blonde écervelée, d’exploitante de l’antisémitisme, de fasciste, d’extrémiste de droite, de sympathisante nazie, de cancer de Twitter, » avait-elle déclaré lors d’un discours prononcé devant le Parlement le 22 janvier avant la Journée internationale de commémoration de la Shoah. Elle a mentionné d’autres insultes : « Un lavage de cerveau, un suprémaciste blanche et antisémite, une prédicatrice de haine, de troll politique de Sion, de fausse juive, d’enfant tyran, de théoricienne du complot. »
Elle a également reçu des menaces physiques, conduisant le studio d’enregistrement de son émission à renforcer sa sécurité.
Au cours du même discours , elle a déclaré que si quelqu’un lui avait dit il y a un an qu’elle commémorerait la Shoah au Parlement, « j’aurais été tellement incrédule ».
Historiquement, l’effet galvanisant que l’antisémitisme peut avoir sur le sentiment d’identité juive de certains Juifs « n’est ni surprenant ni inhabituel », explique au JTA Keith Kahn-Harris, un sociologue et écrivain basé à Londres. « Il faut souvent un antisémitisme brutal et violent pour que les gens découvrent ce que l’on pourrait appeler leur ‘judéité latente' ».
En ce sens, les expériences et les réactions de la présentatrice télé illustrent comment « l’antisémitisme au Royaume-Uni est passé d’un sujet pouvant être contenu à un problème public majeur ».
La prolifération de l’antisémitisme en Grande-Bretagne peut s’évaluer au nombre d’incidents signalés (1 382 l’année dernière – un record historique). Les médias britanniques le reflètent également, puisqu’ils ont commencé à y consacrer une attention sans précédent dès 2016.
Une grande partie du débat porte sur le rôle de Corbyn, qui avait défendu en 2013 une peinture murale antisémite à Londres (il en a ensuite exprimé le regret). En 2009, il qualifiait les groupes terroristes du Hezbollah et du Hamas d' »amis », ajoutant que le Hamas basé à Gaza est « voué au bien du peuple palestinien et à la réalisation de la paix et de la justice sociale à long terme ».
Il a déposé une gerbe sur un monument dédié aux assassins d’athlètes israéliens pendant les Jeux olympiques de Munich en 1972 et déclarait en 2015 que les « sionistes » qui « vivent dans ce pays depuis très longtemps, probablement toute leur vie,” ne « comprennent pas l’ironie anglaise. »
Dans ce contexte, même les Juifs britanniques qui parlent rarement de la politique au Moyen-Orient ou ailleurs se voient attaquer en ligne.
Fin janvier, une autre célébrité juive, l’actrice de “Game of Thrones”, Laura Pradelska, déclarait à la BBC qu’elle avait désactivé les commentaires sur son compte Instagram en raison d’attaques antisémites « liées principalement à Israël », bien qu’elle ne publie presque jamais rien sur le pays.
Les dirigeants de la communauté juive du Royaume-Uni préfèrent les actions discrètes. Mais le précédent grand rabbin de Grande-Bretagne, Jonathan Sacks, qualifie Corbyn d’antisémite, une accusation rejetée par l’intéressé, affirmant qu’il était déterminé à lutter contre l’antisémitisme au sein et hors du Labour. L’année dernière, les trois grands journaux juifs du pays publiaient une tribune conjointe de mise en garde en première page, prévenant que l’élection d’un gouvernement dirigé par Corbyn constituerait une « menace existentielle pour la communauté juive dans ce pays. »
Ces différents événements ont même mobilisé des Juifs non affiliés qui n’ont pas personnellement fait l’objet d’attaques.
« En général, j’évite la politique, mais Corbyn fait en sorte que les Juifs se sentent vraiment mal », explique au JTA une Juive belge habitant le nord de Londres, qui a souhaité rester anonyme. C’est ce qui l’a poussé pour la première fois de sa vie à participer à une manifestation contre l’antisémitisme l’année dernière devant le Parlement britannique.
Pour elle, le débat sur l’antisémitisme en Grande-Bretagne rattrape les Juifs locaux qui « n’ont pas autant souffert que les autres Juifs européens », car la Grande-Bretagne n’a jamais été occupée par les nazis.
Murray Lee, un agent immobilier juif non pratiquant de Londres, assure que le problème de l’antisémitisme en Grande-Bretagne “l’énerve” principalement en tant que Britannique, pas nécessairement en tant que Juif.
Quand on lui demande si le problème lui fait penser à ses ancêtres, ce Juif de troisième génération né au Royaume-Uni, déclare : « il est très difficile de dire non à cela, mais en principe, mes ancêtres sont plutôt britanniques. »