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Interview

Antisémitisme, Shoah, élus en Israël : L’historien Yehuda Bauer se confie

L'éminent professeur, âgé de 97 ans, parle de sa participation à la création d'Israël, de l'état politique actuel du pays et du livre qu'il espère terminer l'année prochaine

Le professeur Yehuda Bauer, spécialiste de la Shoah, s'adresse aux dirigeants réunis lors d'un dîner à la résidence du président à Jérusalem dans le cadre du Forum mondial de la Shoah, le 22 janvier 2020. (Crédit : Olivier Fitoussi / Flash90)
Le professeur Yehuda Bauer, spécialiste de la Shoah, s'adresse aux dirigeants réunis lors d'un dîner à la résidence du président à Jérusalem dans le cadre du Forum mondial de la Shoah, le 22 janvier 2020. (Crédit : Olivier Fitoussi / Flash90)

À 97 ans, Yehuda Bauer, le plus grand historien israélien de la Shoah, ne chôme pas dans sa maison du quartier tranquille de Beit HaKerem, à Jérusalem. Assumant la charge de travail d’un homme beaucoup plus jeune, il traduit des documents pour Yad Vashem tout en travaillant sur un nouveau livre qu’il espère publier l’an prochain.

Lorsque le Times of Israel lui a rendu visite, il avait à ses côtés un peu de « lecture légère » : la page d’opinions du jour d’un quotidien israélien de gauche et un roman qu’il est en train de lire, Memoirs of an Antisemite, qui décrit la montée au pouvoir des nazis à travers les yeux d’un narrateur distant et vaguement antisémite.

Au cours de sa longue carrière, Bauer a publié plus de 40 ouvrages sur la Shoah et l’antisémitisme, ainsi que sur les réactions des Juifs. Ses premières recherches portaient sur la résistance organisée des Juifs au régime nazi, mais ses travaux plus récents abordent des thèmes plus vastes comme l’antisémitisme et l’importance historique de la Shoah.

La question importante de savoir si les générations futures se souviendront de la Shoah, qui préoccupe la communauté juive organisée depuis des décennies, ne semble pas inquiéter Bauer. Il s’inquiète plutôt de la mauvaise représentation de la Shoah. Lors d’une longue interview réalisée en juillet, il a abordé, entre autres, les dangers de l’extrême nationalisme, la définition de l’antisémitisme et son nouveau livre en cours de rédaction.

Les chiffres confirment les craintes de Bauer concernant les déformations historiques. Des sondages réalisés aux États-Unis et en Europe ont montré qu’une grande partie du grand public n’a pas de connaissances de base sur la Shoah et que, sans être dans le déni pur et simple, elle se fait souvent l’écho des mythes qui entourent le génocide. Selon Bauer, les Israéliens ne sont pas non plus à l’abri de ces mensonges.

« La mémoire de la Shoah est préservée, très souvent d’une mauvaise manière, avec des malentendus, des conclusions et des analyses erronées. Mais elle est toujours présente », a-t-il déclaré.

Les responsables de ces analyses erronées sont les hommes politiques israéliens, « quelle que soit leur couleur [politique], mais surtout ceux de droite ».

Yehuda Bauer dans son appartement du quartier de Beit HaKerem, à Jérusalem, le 3 juillet 2023. (Crédit : Charlie Summers/Times of Israel)

« Ils l’interprètent de manière nationaliste. Ils utilisent la Shoah comme un outil politique », a-t-il déclaré. « C’est particulièrement vrai pour le Premier ministre. Il n’a aucune idée, tout simplement aucune idée de ce qui s’est passé. Il traite avec l’Iran, il en sait quelque chose de l’Iran ; mais il ne sait rien de la Shoah. »

Dans le passé, Bauer a critiqué Netanyahu pour ses déclarations concernant la Shoah, notamment sa fameuse affirmation selon laquelle Hitler n’avait eu l’idée du génocide des Juifs d’Europe qu’après sa rencontre avec le mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini. Bauer a rectifié le tir, notant que les Allemands avaient commencé à anéantir les Juifs six mois avant la rencontre entre Hitler et le mufti.

Irrité par les « discours nationalistes » prononcés lors de la cérémonie annuelle de commémoration de la Shoah organisée par Yad Vashem à l’occasion de Yom HaShoah, la journée israélienne de commémoration de la Shoah, Bauer a pris la décision de boycotter l’événement.

« Les discours qui y étaient prononcés étaient tellement stupides que je ne pouvais plus les supporter », a-t-il déclaré. « Ils commençaient toujours par un témoignage [fourni par quelqu’un], puis les orateurs parlaient de l’Iran, des Palestiniens, etc. Comme si cela avait quelque chose à voir avec la Shoah. »

Désillusion politique

Bauer est né en 1926 à Prague, en Tchécoslovaquie, et a immigré en Palestine sous mandat britannique en 1939. Dans sa jeunesse, avant l’indépendance d’Israël, Bauer était membre du parti socialiste Mapam et, avant 1948, il s’est aligné sur le flanc gauche du parti, s’opposant à ses éléments les plus nationalistes incarnés par l’ancien commandant du Palmach, Yigal Allon, qui s’est ensuite séparé du parti pour former le sien.

« J’ai d’abord pensé qu’il y avait une possibilité d’État binational [sous le mandat], un accord avec ce que je considérais comme les parties progressistes de la société arabe. J’espérais qu’il y aurait une sorte d’accord binational, mais je me suis rendu compte que c’était impossible. Je suis devenu un partisan théorique d’une solution à deux États – je dis théorique parce qu’en pratique, cela ne fonctionne pas », a-t-il déclaré.

Le président Reuven Rivlin, au centre, accueilli par les professeurs Yehuda Bauer, à gauche, et Ruth Arnon, le 19 octobre 2014. (Crédit : Michal Fattal)

Bauer est encore plus cynique quant aux perspectives de paix aujourd’hui, en particulier sous le gouvernement actuel, dont les politiciens sont, selon lui, des « fascistes, des fondamentalistes nationalistes religieux violents et des criminels. »

En parlant du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, Bauer a tracé une ligne de démarcation nette entre la description « fasciste » et « judéo-nazi », un terme inventé par son défunt collègue Yeshayahu Leibowitz pour décrire les nationalistes israéliens d’extrême-droite.

« Leibowitz est allé jusqu’à un extrême que je ne trouve pas correct », a-t-il déclaré. « On ne peut pas accuser les Israéliens, même les fanatiques nationalistes religieux, de néo-nazisme. »

« On ne peut pas accuser les Israéliens, même les fanatiques religieux nationalistes religieux, de néo-nazisme. »

Il partage toutefois l’avis de Leibowitz sur les conséquences désastreuses de la poursuite de la présence israélienne en Cisjordanie.

« Nous occupons des gens qui nous haïssent, et ce n’est pas une bonne chose. Tant que le type de gouvernement nationaliste que nous avons est au pouvoir, il n’y a aucune possibilité de solution », a-t-il déclaré.

« N’importe qui, âgé de 18 ans, homme ou femme, armé de la tête aux pieds, peut entrer dans n’importe quelle maison palestinienne à trois heures du matin et s’en prendre à quelqu’un, causant un traumatisme au reste de la famille, aux enfants en particulier », a-t-il déploré.

« Cela crée évidemment de l’opposition. C’est une bonne recette pour les attaques terroristes contre les Juifs. »

Comment définir l’ineffable haine du juif ?

Bien que Bauer affiche un extrême mépris pour le nationalisme, il fait lui-même l’objet d’une critique similaire de la part d’universitaires de son propre bord politique – la gauche – pour son rôle dans l’élaboration de la politique relative à ce qui est ou n’est pas de l’antisémitisme.

Conseiller de l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA) depuis sa création en 1998, Bauer a participé à la formulation de la définition de l’antisémitisme de l’organisation, qui est de plus en plus mêlée à la politique entourant le conflit israélo-palestinien.

Ceux qui s’opposent à cette définition affirment qu’elle vise à faire taire les critiques acerbes à l’encontre d’Israël, mais Bauer n’est pas du tout d’accord.

« La définition stipule très clairement qu’une opposition à la politique du gouvernement israélien n’est pas antisémite », a-t-il déclaré, tout en restant vague quant à la partie du document à laquelle il faisait référence.

L’historien a minimisé son implication dans la rédaction de la définition, mentionnant seulement qu’il avait participé aux discussions précédant sa publication. Il l’a néanmoins défendue face aux critiques.

« Bien sûr, elle aurait pu être meilleure. Tout peut toujours être meilleur. C’est ce qui est sorti, et j’ai pensé que c’était mieux que rien », a-t-il déclaré. « Il s’agissait d’un certain processus, et j’en ai fait partie, c’est tout.

Le professeur Yehuda Bauer, historien spécialiste de la Shoah. (Crédit : Capture d’écran YouTube)

Il a fait remarquer que la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme, une autre définition signée et soutenue par des universitaires de gauche, était « contradictoire dans sa formulation » et qu’elle était tombée en désuétude peu de temps après sa publication.

La définition de l’IHRA a été adoptée par les gouvernements de la grande majorité des pays européens et de nombreux États américains.

Un travail en cours

Bauer ne considère pas l’antisémitisme comme un problème juif, mais comme un problème qui a un impact sur la société dans laquelle il se développe. L’effet de l’antisémitisme sur des sociétés plus vastes, notamment l’Allemagne nazie, est au cœur de son ouvrage en cours de rédaction.

Bien qu’il soit resté vague, il a mentionné que le livre se concentrera sur un mémo de 1936 écrit par Hitler, poussant l’Allemagne à entrer en guerre.

La raison en était l’hostilité au « bolchevisme ». Hitler a déclaré que le seul but du bolchevisme était « d’introniser les Juifs sur le monde. C’est pourquoi l’Allemagne ‘devait’ entrer en guerre. L’antisémitisme a donc été un élément majeur de l’histoire générale », a noté Bauer.

L’universitaire a prononcé des discours similaires par le passé, avertissant les dirigeants mondiaux que l’antisémitisme « n’est pas une maladie juive, mais une maladie non-juive » susceptible de « détruire [leurs] nations » en plus des communautés juives.

Bauer a déclaré qu’il prévoyait de terminer son livre dans un an, ajoutant qu’il espérait vivre assez longtemps pour le mener à bien.

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