Après les frappes israéliennes, la dissuasion iranienne affaiblie
L'Iran et Israël sont engagés dans une « course contre la montre » pour s'armer et dissuader l'autre ; Téhéran et le Hezbollah ont considérablement été affaiblis par les frappes israéliennes des dernières semaines
Les récentes frappes d’Israël sur l’Iran ont touché plusieurs installations militaires et, selon des analystes, affaibli encore la force de frappe de la République islamique, donc sa capacité de dissuasion.
Samedi 26 octobre, Israël a effectué des raids aériens en réponse à l’attaque de missiles iraniens du 1er octobre. Une attaque menée elle-même en représailles à l’assassinat de dirigeants du Hamas palestinien et du Hezbollah libanais, mouvements islamistes soutenus par Téhéran.
Même si l’Iran n’admet que des « dégâts limités », cet énième avatar de l’escalade bilatérale est significatif, pour les analystes occidentaux consultés par l’AFP : les raids ont visé tant les défenses aériennes de l’Iran que sa capacité à frapper.
« Israël a utilisé quelque 100 avions de combat, et possiblement des systèmes de drones », affirme l’institut américain Hudson. « Attaquant sur trois vagues, les forces armées israéliennes ont visé les capacités de production de missiles et l’architecture de la défense aérienne » iraniennes.
Sur les quatre sites de production de combustible solide, utilisé par les fusées et missiles iraniens, trois ont été touchés à Sharhoud, Khojir (dans l’est du pays) et Parchin (près de Téhéran), selon Fabian Hinz, expert de l’Institut international pour les études stratégiques (IISS).
Israël a « délibérément visé un goulot d’étranglement du processus de fabrication qui aura d’importantes conséquences sur la production de missiles », explique-t-il à l’AFP.
Les frappes ont aussi détruit des systèmes anti-aériens russes S-300, ainsi que des radars longue portée.
« Des responsables américains et israéliens ont confirmé que les frappes avaient rendu inutilisables les S-300 » et endommagé des sites de radars « présentés comme capables de détecter les missiles balistiques et avions furtifs », affirme l’American Enterprise Institute (AEI) à Washington.
« Course contre la montre »
Israël a en outre préalablement frappé des groupes pro-iraniens en Irak et Syrie, tout en poursuivant son offensive contre le Hezbollah au Liban.
Ce dernier disposait de missiles longue portée qui permettaient de défendre les installations nucléaires de son allié. Mais ses capacités ont chuté. « Le mouvement dissuadait Israël et ce n’est plus le cas », tranche Fabian Hinz.
Israël peut désormais, plus facilement qu’auparavant, frapper des installations énergétiques ou militaires iraniennes. Et les deux pays, dotés d’industries militaires puissantes, sont condamnés à la surenchère.
« Il y a une course contre la montre entre l’Iran, qui doit produire un maximum de missiles balistiques suffisamment précis et efficaces, et Israël qui doit produire ou acquérir aux États-Unis un maximum de missiles anti-missiles », résume pour l’AFP Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES). « Le premier qui tombe à court de munition se trouvera en situation de très grande vulnérabilité ».
Le bras de fer prend dès lors une dimension planétaire. L’Iran attend les chasseurs Soukhoï Su-35 promis par la Russie il y a 18 mois et doit se réapprovisionner en S-300, voire en leur version plus avancée S-400.
Peu de bonnes options
Mais la négociation est incertaine. Téhéran a livré à son allié des drones Shahed pour sa guerre en Ukraine. Or, ce dernier mobilise tout son arsenal et son industrie de défense pour poursuivre son propre effort de guerre.
« Si l’Iran signe un partenariat stratégique avec la Russie », batteries et chasseurs peuvent « être un cadeau dans la corbeille de la mariée », estime Pierre Razoux. « Mais si les Russes ne les livrent pas, Téhéran n’a plus vraiment les moyens de défendre correctement son espace aérien ».
Israël, lui, compte sur l’appui de Washington, pour autant réticent à laisser les deux pays plonger dans un affrontement direct.
« Un examen de ce qu’Israël s’est abstenu de viser est important pour comprendre les implications géopolitiques des frappes », note l’institut Hudson. « Le poids de l’administration Biden sur les dirigeants politiques et militaires d’Israël a limité l’ampleur des frappes ».
Le programme nucléaire iranien a ainsi été épargné. Pierre Razoux, comme d’autres, émet des doutes sur la capacité israélienne à détruire les installations profondément enfouies dans des bunkers en sous-sol.
« Le programme nucléaire est en outre éparpillé sur plusieurs sites, dont certains situés sous des grandes villes », ajoute-t-il. Les détruire entraînerait un bain de sang auquel Washington ne saurait se résoudre.
Reste que Téhéran est acculé face à une armée israélienne qui, depuis le 7 octobre, a considérablement augmenté sa « tolérance au risque », souligne Fabian Hinz.
Si les Iraniens frappent à nouveau, Israël sera en position idéale pour riposter plus fort. S’ils s’en abstiennent, leur ennemi pourrait y voir une incitation à reprendre les frappes.
L’Iran « va devoir trouver un moyen de rétablir sa dissuasion et je ne vois pas beaucoup de bonnes options pour lui actuellement », conclut l’analyste de l’IISS.