Après #MeToo, plusieurs communautés changent d’avis sur Shlomo Carlebach
La vague d’accusations sur les comportements sexuels de l'icône musicale ont ré-enflammé les débats sur l’héritage compliqué du "rabbin à la guitare"

Chaque jour apporte son lot de nouvelles révélations. Pour la première fois, massivement et collectivement, des centaines de victimes d’abus sexuels joignent leurs voix pour accuser les coupables, même si les abus remontent à des dizaines d’années. Des icônes autrefois intouchables tombent comme des dominos, et des abus précédemment considérés comme « habituels » sont désormais réexaminés sous un tout autre éclairage. Les événements dramatiques des derniers mois forcent aussi la communauté juive à examiner ses propres icônes, parmi lesquelles le rabbin Shlomo Carlebach.
Depuis sa mort il y a 23 ans, au moins huit femmes ont publiquement accusé le « rabbin rock star », qui a touché des millions de personnes avec sa spectaculaire et fédératrice musique juive, de comportements sexuels répréhensibles dans les années 1960 et 70. Un enquêteur a déclaré avoir auditionné 15 femmes prétendant être ses victimes.
Carlebach, considéré comme l’un des compositeurs principaux de la liturgie juive du 20e siècle, a créé une nouvelle approche du judaïsme, en mélangeant l’extase du hassidisme à des airs radicalement nouveaux. Aujourd’hui, sa musique est indissociable des offices de prières, dans tous les courants du judaïsme, au point que de nombreuses personnes ignorent que les mélodies qu’elles fredonnent sont les siennes, et pas simplement des airs traditionnels.
Ceux qui ont connu Carlebach se souviennent des longues étreintes, embrassades et effusions d’amour qui le caractérisaient. C’est en 1998 que des rumeurs inconvenantes ont commencé à circuler, quatre ans après la mort de Carlebach, quand le magazine féminin juif Lilith a publié un article intitulé « Le côté obscur de Rabbi Shlomo Carlebach ». Cet article relayait des témoignages de la part de plusieurs femmes, qui affirmaient avoir subi des relations sexuelles non consenties et reçu des avances de la part de Carlebach, alors qu’elles étaient adolescentes.
Après la parution de cet article, certaines communautés ont abordé son attitude dans des petits débats marginalisés, mais les sympathisants de Carlebach ont condamné l’article, accusant les calomniateurs de diffamer un homme qui n’était plus en mesure de se défendre (les membres de la famille Carlebach avaient refusé d’être interviewés au sujet de l’article). Le débat n’a jamais pris.
Mais désormais, avec l’explosion de la sensibilisation et la campagne #MeToo, et depuis que le dialogue sur les abus sexuels est sur le devant de la scène, certaines communautés repensent leur relation avec Carlebach et sa musique. Certains parmi les fervents partisans du défunt rabbin s’interrogent sur l’intérêt d’un débat, alors que le principal concerné n’est plus vivant et ne peut pas se défendre, d’autres soulignent l’importance de l’honnêteté et de la transparence pour que les communautés puissent gérer les abus, même quand le patrimoine d’une icône est en jeu.
Les questions qui animent le débat autour de Carlebach s’apparentent aux questions soulevées sur le travail artistique des autres agresseurs sexuels qui ont récemment fait les gros titres : peut-on séparer l’homme de son oeuvre ? Et devrions-nous le faire ?
Mais dans le cas de Carlebach, une dimension supplémentaire n’est pas à négliger : que se passe-t-il quand cet « art » est une forme de prière ? Avec ses mélodies si profondément ancrées dans la vie juive – au point que nombreux sont ceux qui ignorent même chanter du Carlebach – peut-on et doit-on séparer la musique de l’homme ?
#HimToo
Les conversations à demi-mot sur Carlebach ont gagné du terrain sur les réseaux sociaux, et des publications Facebook ont généré des dizaines de commentaires. De nombreux articles dans les médias juifs et la blogosphère ont émergé.
Le groupe Facebook « Tout sauf Carlebach », un espace qui rassemble des officiants qui s’opposent à l’utilisation des mélodies de Carlebach. Il compte plus de 900 membres (le groupe interdit les discussions sur ses méfaits présumés, et souligne « qu’il y a plus d’une raison qui pousse les gens à chercher des mélodies alternatives »). Des éducateurs ont commencé à parler de l’attitude présumée de Carlebach en classe.
Les victimes d’abus sexuels, qui ont partagé leur vécu par le biais du mouvement #MeToo, sont sortis de la sphère des réseaux sociaux pour générer des répercussions sur le monde réel. Les centres d’abus sexuels en Israël ont enregistré une hausse de 20 à 50 % du nombre de femmes qui ont signalé une agression ou un cas de harcèlement dans le pays, par rapport à l’an dernier à la même période. C’est le résultat direct du débat public.
« Je pense que les gens qui parlent [des agressions] ne sont pas stigmatisés comme ils l’étaient il y a des années, mais ça ne va toujours pas bien », a déclaré Iris Weiss, qui a rencontré Carlebach quand elle avait 18 ans. Weiss a affirmé que Carlebach avait tenté de l’embrasser de force sur la bouche, elle et toutes ses camarades de classe. De nombreuses jeunes filles ont réussi à le repousser. Cette interaction lui a laissé un sentiment de colère à l’encontre de Carlebach, même des années après, quand sa synagogue a organisé un office Carlebach.
« Je suis surprise que dans le monde actuel, il y ait tant de gens qui disent que c’est impossible que cela se soit produit », a déclaré Weiss. « Si nous continuons à dire ‘Oh non, je ne peux pas croire que cela se soit produit’, cela revient à taxer ces femmes de menteuses, et cela leur fait aussi du mal. »
Le docteur Sarah Imhoff, professeur adjoint en études juives et religieuses à l’université Bloomington, dans l’Indiana, a écrit sur les accusations portées contre Carlebach dans des publications universitaires. Elle a souligné que les agressions sexuelles de l’ordre de l’attouchement ou des caresses ne permettent pas d’avoir de « preuves tangibles », ce qui fait en sorte que certaines filles, qui signalent ce genre de comportement, se voient répondre qu’elles « ont dû l’imaginer ».
« Je crois que #MeToo et [le scandale Harvey] Weinstein peuvent aider les communautés à effectuer un virage et croire les victimes au lieu de les cacher et de les humilier », a déclaré Imhoff.

« À un niveau fondamental, #MeToo et les agressions de Weinstein ont poussé des personnes qui n’y auraient pas pensé, à lancer des débats sur les agressions et le harcèlement sexuel », a-t-elle ajouté.
Imhoff accorde aux réseaux sociaux le mérite d’avoir permis aux femmes qui étaient mal à l’aise avec le comportement de Carlebach, de se retrouver et de leur proposer une plate-forme pour se faire entendre, et ce depuis les forum de discussion dans les années 1990.
« Certaines de ces histoires, prises isolément, peuvent paraître mineures : une étreinte un peu trop longue, un appel en pleine nuit, une conversation étonnamment intime », a écrit Imhoff dans un e-mail. « Les réseaux sociaux ont permis à ces femmes de voir qu’elles faisaient partie d’une série d’abus de la part de Carlebach, que leur malaise et leurs mauvaises impressions sur leurs interactions n’étaient pas qu’un produit de leur imagination. »
Le Dr. Shaul Magid, lui-aussi professeur d’études juives à l’université de l’Indiana à Bloomington, présente le débat actuel comme une lutte concernant le souvenir de Carlebach. Magid, qui connaissait Carlebach dans les années 1970, explique que le rabbin a eu une influence majeure dans sa carrière d’observateur du monde juif.
« La bataille autour de l’héritage de Shlomo va encore durer une dizaine d’années », affirme Magid.
« C’est vraiment dommage que ce soit devenu extrême des deux côtés, dit-il. Un côté nie qu’il ait pu agir ainsi. De l’autre côté, ils reconnaissent qu’il a agi de cette façon et affirment que nous ne pouvons pas écouter sa musique et que quiconque le fait cautionne le harcèlement sexuel. »

La rumeur vs. les faits
Le fait que Carlebach n’a jamais été interrogé par les autorités – et encore moins condamné pour des actes répréhensibles – complique le débat.
Tout comme le fait qu’il n’a jamais eu l’occasion de se défendre étant donné qu’il est mort avant d’être accusé de ces méfaits. Il n’est pas non plus surprenant que personne n’ait à l’époque signalé le comportement allégué de Carlebach aux autorités : ce qui constituait un comportement inacceptable ou abusif dans les années 1970 était radicalement différent de la définition que nous avons en 2018.
Le statut de Carlebach comme rock star rabbinique peut également être mis en avant à une époque où le pays entier subissait une révolution sexuelle. Il y a un déséquilibre de pouvoir inhérent à toute relation entre un fan et un leader charismatique, encore plus exacerbé lorsque les disciples viennent vers ce chef pour un soutien spirituel et émotionnel.
Le rabbin Dr. Natan Ophir, qui a écrit une biographie de Carlebach en 2014, est l’un de ceux qui s’opposent le plus vigoureusement aux allégations d’abus sexuel de Carlebach. Sur les réseaux sociaux, il a notamment attaqué des femmes qui ont partagé leurs expériences personnelles avec Carlebach et qu’elles jugeaient inappropriées ou abusives.
« Ses gestes affectueux ont ‘sauvé’ beaucoup d’âmes seules, mais il a également déçu, et parfois offensé, ceux qui n’ont pas su comprendre ses intentions' », écrit Ophir dans son livre. Il soutenait que Carlebach était visé par la communauté religieuse pour son originalité, et que ce trait de caractère et son refus d’adhérer aux règles orthodoxes traditionnelles régissant le contact physique avec les femmes – ou même concernant les règles sur la présence de voix féminines dans le chant – l’ont rapproché de beaucoup de gens qui se seraient autrement sentis aliénés par le judaïsme orthodoxe.
Dans un courriel adressé au Times of Israel, Ophir a dénoncé toutes les publications et tous les blogs mentionnant les allégations d’inconduite sexuelle de Carlebach. Il a affirmé avoir réalisé des dizaines d’entretiens avec des femmes qui ont prétendu avoir été harcelées ou abusées par Carlebach, et qu’il ne les a pas incluses dans son livre car il ne pouvait pas corroborer leurs témoignages.

Magid, qui a beaucoup écrit sur l’influence de Carlebach, a qualifié les tentatives d’Ophir de discréditer ces femmes de « pernicieuses ».
Pourtant, Magid et d’autres sont dérangés par les comparaisons entre Carlebach et les hommes qui font les gros titres pour leurs manquements.
« À mon sens, Shlomo Carlebach n’était pas un prédateur sexuel comme l’est Harvey Weinstein », dit-il. « Je pense qu’il était une personne qui n’avait pas beaucoup de self-control, et, sur certains aspects, il était faible. »
Dans les dizaines de courriels adressés au Times of Israel, visant à empêcher la publication de cet article (notamment des attaques personnelles visant la journaliste), les sympathisants de Carlebach ont soutenu que la relation problématique entre le rabbin et les femmes était davantage le fruit d’une époque, qu’une véritable prédation.
Séparer l’homme de l’oeuvre
La plupart des dirigeants juifs s’accordent pour dire que la musique de Carlebach est tellement ancrée dans la prière qu’il leur serait impossible de l’en sortir, même s’ils le souhaitaient.
« Cela fait partie de la liturgie juive à ce stade, et cela prouve sa grandeur musicale », a déclaré Magid, qui a vécu pendant un temps à Mevo Modiim, aussi appelé « Moshav Carlebach », près de Modiin, dans le centre du pays.
Carlebach a associé plusieurs éléments disparates de la culture américaine des années 60 et 70. L’amour libre, le judaïsme orthodoxe, la contre-culture, l’amour de la tradition, l’expression post-guerre, les concerts hippies, la ferveur dans la prière, et sa présence résonne toujours. Il y a quatre ans, la comédie musicale « Soul Doctor », sur la vie de Carlebach et sa relation avec la chanteuse-compositrice et militante des droits de l’Homme Nina Simone, est arrivée jusqu’à Broadway.
Son approche de la prière, au moyen du chant et de la danse, était révolutionnaire, ouvrant le judaïsme grâce à des concerts dans les écoles juives, les stades, et même les monastères bouddhistes. Il a créé des passerelles entre les juifs et le monde, et vers les communautés juives reculées.
« Shlomo a été influencé par le renouveau folk des années 50 », explique Magid. « Il s’est servi du genre musical que les gens écoutaient, et a composé la musique liturgique juive dans ce genre musical. »
« Il a été le musicien liturgique le plus important du dernier demi-siècle », a-t-il dit. « Il représentait une forme d’authenticité particulière. »
Mais il y a un grand nombre de juifs pratiquants, qui, tout en reconnaissant la contribution de Carlebach, refusent de donner à son héritage une continuité.

« Sa musique est un outil très puissant », a expliqué le rabbin Elli Fischer, rabbin ultra-orthodoxe et doctorant en histoire juive à l’université de Tel Aviv. « Elle a permis de faire tomber des barrières et d’attirer des personnes vers le judaïsme, et c’est toujours le cas. »
Cependant, a nuancé Fischer, il a du mal à employer les airs de Carlebach dans la liturgie, en raison de la sainteté de la prière. « Je ne serais pas surpris si Mick Jagger faisait la même chose, mais je ne ferais pas entrer du Mick Jagger dans la shul« , a-t-il dit.
Fischer a ajouté qu’il lui était difficile d’entendre des synagogues clamer qu’elles luttaient contre le harcèlement sexuel et réaffirmer que les synagogues sont des espaces sûrs, puis enchaîner sur l’office Carlebach qui aura lieu le Shabbat qui suit.
« Vous venez de détruire votre message », dit-il. « Vous avez adulé cet homme, vous l’avez fait entrer dans l’espace sacré. »
Pour d’autres communautés, le problème est la stigmatisation.
« La question de dissocier l’art de l’artiste ne se pose pas ici, parce qu’ici, le contexte est la louange de la source de sainteté du Créateur », a expliqué le rabbin Barry Kornblau, rabbin de Young Israel of Hollis Hills-Windsor Park dans le Queens, New York, et membre du conseil rabbinique orthodoxe d’Amérique. « [Dans la prière], notre sensibilité envers les autres, envers l’éthique et la morale, doit atteindre des sommets. »

Kornblau craint que les communautés entonnent un air familier, puis soient gênées ou que des traumatismes subis par des femmes qui ont fait les frais du comportement de Carlebach ne refassent surface. « Nombre de ces personnes sont encore en vie, et elles voient la glorification d’un homme qui les aurait agressées, parfois légèrement, parfois gravement », dit-il. « C’est difficile de savoir quoi faire. »
Il a indiqué que sa communauté a décidé, il y a quelques années, d’utiliser des airs Carlebach durant les offices du vendredi soir, sans pour autant se faire appeler « Office Carlebach ».
« Quand cela a été proposé dans ma shul, j’ai accepté avec une certaine réticence, j’étais très mal à l’aise avec l’idée de mettre son nom sur les documents », a expliqué Kornblau. « Il n’est pas un modèle ni une figure religieuse que je souhaite projeter. »
« Même si les gens continuent à chanter ses airs, si son nom n’y est plus associé, ce n’est pas rien », a déclaré Kornblau.
Imhoff, de l’université d’Indiana, a dit avoir remarqué que certaines synagogues préfèrent la dénomination « néo-hassidique » que « Carlebach ».
Une occasion d’enseigner
Fischer a ajouté que le judaïsme a des antécédents en ce qui concerne un dirigeant charismatique qui a irrévocablement influencé la liturgie juive : le roi David. Le brillant psalmiste était aussi un coureur de jupons invétéré qui avait ordonné à Urie le Hitite de prendre part à la guerre, pour qu’il puisse épouser sa femme Bethsabée, bien que le consentement de Bethsabée ne soit évoqué nulle part dans cet arrangement.

( Crédit : Shmuel Bar-Am)
Le rabbin Eliyahu Yaniger, rabbin de la communauté « Carlebach » Shirat Shlomo, à Efrat, a déclaré qu’il considérait que l’histoire de Carlebach, dans toute sa gloire et sa complexité, offre une occasion d’enseigner.
« J’ai passé des années à apprendre sur Shlomo, à lire des histoires sur Shlomo aux membres de ma famille et aux invités, à être frappé par sa dévotion, sa générosité, son originalité, sa disposition à changer la perception de la prière », a expliqué Yaniger. « N’avoir, ne serait-ce que l’une d’entre ces qualités serait une réussite en soi, mais il les avait toutes. J’aime penser qu’il était l’un des lamed vavnik [l’un des 36 Justes cachés dans chaque génération] et je pense que ces rumeurs sont fausses. »
Mais Yaniger a ajouté que ses conversations avec Debbie Gross, du Tahel Crisis Center for Women and Children, qui aide Shirat Shlomo à mettre en place des règles pour éviter les abus sexuels sur les enfants, dans le cadre de l’initiative de l’organisation « Child Protection Certification », l’ont convaincu d’accorder de la valeur aux témoignages des femmes.
« Je pense qu’il ne faut pas les cacher, pour plusieurs raisons », dit-il. « L’une de ces raisons est que nos enfants ou nos proches, qui veulent en savoir plus sur Shlomo, ont l’impression que notre admiration pour Shlomo est basée sur un déni de la réalité, et qu’elle est teintée d’une dissonance cognitive, ils jetteront le bébé avec l’eau du bain, et, d’un point de vue éducatif, ce n’est pas une bonne chose. »

Yaniger a également indiqué que les dirigeants communautaires doivent comprendre que leurs agissements positifs en public ne les immunisent pas contre les conséquences d’un comportement répréhensible en privé. « [Je ne veux pas] qu’ils prennent Shlomo en exemple et qu’ils pensent ‘je peux m’en tirer avec ce genre de comportement’. C’est important qu’ils sachent que cet homme, dont les accomplissements dépassent de loin nos rêves les plus fous, nous le tiendrons pour responsable. Personne n’est épargné. »
Yaniger a qualifié ces conversations de « douloureuses », mais a souligné qu’elles ne doivent pas faire de l’ombre à tout ce que Carlebach a fait. « Il faut rendre hommage au bien, mais, avec certaines réserves, parce que nous ne faisons aucun compromis avec la vérité, avec notre responsabilité, avec les personnes qui ont souffert avec lui », a-t-il dit. « Mais nous devons rendre hommage aux bonnes choses qu’il a faites. Nous ne pouvons pas laisser les bonnes choses se faire éclipser par les mauvaises. »
Certains affirment que Carlebach aurait pris conscience des torts causés par ses actes vers la fin de sa vie.
Le rabbin Menachem Kallus, un étudiant de Carlebach, aujourd’hui chercheur en Kabbale à l’université de Haïfa, a raconté qu’il se souvient d’un événement avec Carlebach dans les années 90, dans le Lower East Side, au cours duquel le rabbin a évoqué certaines des allégations portées contre lui sans les nommer. « Il a dit qu’il regrettait certaines erreurs morales qu’il avait commises quand il était plus jeune », s’est souvenu Kallus. « J’en ai conclu qu’il parlait d’abus. »
« Je pense qu’il avait reconnu qu’il avait mal agi », a ajouté Kallus, qui a rencontré Carlebach dans les années 70. « Je savais, et je pense que tout le monde savait, qu’il était assez souple en ce qui concernait les relations interpersonnelles. »
« Je pense que le fait qu’il le regrettait impliquait qu’il y avait quelque chose de regrettable », a-t-il ajouté. Mais Kallus pense que Carlebach avait commencé un cheminement de reconnaissance des torts qu’il avait causés, bien qu’il n’ait pris aucune mesure concrète pour se faire pardonner avant qu’une crise cardiaque fatale ne mette fin à ses jours le 20 octobre 1994. « Le fait que, à ma connaissance, ces agissements ne s’étaient pas produits durant les dernières de sa vie, indiquent qu’il était déterminé à changer », analysé Kallus.
Kallus a ajouté qu’à sa connaissance, Carlebach ne s’était pas publiquement exprimé sur son attitude avant de mourir. L’article de Lilith évoquait une session d’étude de femmes dans les années 80, quand le rabbin Sara Shendelman a affronté Carlebach sur son attitude envers certaines femmes. Après avoir démenti, il a consenti, « Oy, il faut régler ça ».
Mais d’autres disent que même si Carlebach était dans un cheminement personnel d’admission de ses fautes, il n’a jamais demandé pardon aux principales intéressées, ses victimes présumées.

Quand on croit les femmes
Imhoff estime que les communautés juives ont une leçon à tirer de l’attitude présumée de Carlebach : croire les femmes.
« Ça a peut-être l’air simple, mais ça ne l’est pas », écrit-elle. « Quand les femmes se sentent entendues, elles ont moins honte. Quand les femmes sont prises au sérieux, les autres femmes qui subissent des abus sont plus susceptibles de le signaler. Quand les femmes sont entendues, la communauté a une tendance à l’ouverture plutôt qu’à la dissimulation. Donc, croire les femmes est crucial pour celles qui sont victimes, mais c’est également important pour créer une communauté plus éthique. »
Pour certaines communautés, cela peut se traduire par une discussion ouverte et honnête sur la place de la musique Carlebach dans les offices. L’ouverture d’esprit et le dialogue peuvent être des outils pour apprendre à ceux qui font face à un comportement abusif ou tendancieux à parler dès que possible.
Une femme, M., qui avait déclaré que Carlebach l’avait sexuellement agressée alors qu’elle était adolescente, a expliqué qu’elle souhaite que l’accent ne soit pas mis uniquement sur Carlebach. M. qui a refusé que son nom soit publié, craignant d’être harcelée par les sympathisants de Carlebach, soutient que mettre l’accent sur Carlebach détourne l’attention des agressions sexuelles actuelles.
« [Parler de Carlebach] est un gâchis d’énergie. Il faut faire quelque chose contre ceux qui font du mal actuellement », a-t-elle dit.
« Carlebach a eu des comportements sexuels déplacés avec de nombreuses personnes. Et alors ? Ce n’est plus d’actualité. C’était toléré par une génération qui est aujourd’hui très vieille. La génération [d’aujourd’hui] ne le tolérerait pas. Ils en entendraient parler et diraient ‘Regardons ce qui s’est passé, tentons de faire quelque chose’. Il n’est plus question de ‘balayons ça sous le tapis’. Maintenant, nous pouvons nous faire entendre. »
M. a raconté qu’il lui aura fallu des années de thérapie et de soutien, mais qu’elle a désormais choisi de se concentrer sur les actions positives qui peuvent en découler, plutôt que sur les négatives qui se sont déjà déroulées.
« Mon message pour la communauté juive est de trouver les moyens les plus doux et les plus professionnels pour assurer la sécurité dans nos communautés et dans nos familles », a-t-elle dit. « Il faudra une vérification des antécédents par la police, de l’éducation, un travail de sensibilisation, une responsabilisation des femmes, des méthodes de signalement confidentielles, et que toutes les communautés prennent leurs responsabilités. »
Elle a souligné que les communautés juives doivent trouver un moyen de gérer les coupables avec justice, et parfois compassion, et doivent s’assurer qu’ils soient efficacement suivis.
En effet, l’honnêteté, l’ouverture, l’éducation et la compassions sont des valeurs que Carlebach défendait, selon certains de ses sympathisants.
Carlebach est devenu une telle icône que ses sympathisants tentent de l’ériger en « personnalité irréprochable », affirme Magid. « C’est malheureux : créer une personne irréprochable est à l’opposé du message qu’il tentait de véhiculer. Nous sommes tous brisés. Nous avons tous des défauts. »
« L’erreur serait de tout nier », a ajouté Magid. « Et je peux l’imaginer en train de dire ‘vous n’avez rien compris ! Nous sommes tous des fauteurs’. »
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