Après Orlando, des rabbins appellent à agir plutôt que de prier
Un groupe de 850 leaders religieux américains s'en prennent au puissant lobby pro-armes NRA pour promouvoir une législation sur le contrôle des armes

Le rabbin Menachem Creditor était sur le point de commencer l’office du matin de Shavouot dans sa synagogue à Berkeley, en Californie, quand on lui a annoncé la tuerie d’Orlando du 12 juin. Sa première réaction, a-t-il dit, a été de la « rage ».
« Vous avez l’impression de faire un pas en avant et puis vous êtes encore une fois agressé par une horreur indicible », a confié Creditor, un des fondateurs des Rabbis Against Gun Violence [Rabbins contre la Violence des Armes].
L’une des trois fêtes de pèlerinage du judaïsme, la fête de Shavouot célèbre le don de la Torah à Moïse au mont Sinaï. Dans les synagogues à travers le monde, les Juifs se déconnectent de l’Internet (pour deux jours en dehors d’Israël) en lisant le livre de Ruth et partagent des repas laitiers festifs.
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Dans la partie centrale de la prière, les Dix Commandements sont lus comme une reconstitution de leur lecture par Moïse aux Enfants d’Israël. Stipulant clairement « Tu ne tueras pas », ces principes centraux de la tradition judéo-chrétienne occidentale interdisent également les « idoles. »
Cependant, tout comme les Israélites ont douté alors de Dieu et fabriqué le veau d’or, Creditor a vitupéré contre « la propension américaine à vénérer l’idole des armes à feu. »
‘Je n’en peux plus de composer des prières. Nous devons voter contre toute personne qui vote avec le NRA’
« Je n’en peux plus de composer des prières », a déclaré le chef spirituel de la synagoque Netivot Shalom lors d’une conversation lundi soir une après la fin de Shavouot. Au lieu de cela, il se prépare pour une bataille contre la National Rifle Association [NRA], une organisation à but non lucratif de 5 millions de membres qui milite pour le droit de posséder des armes à feu.
« Nous devons voter contre toute personne qui vote avec la NRA, » affirme Creditot.

Depuis son lancement en janvier, Rabbis Against Gun Violence a atteint le nombre de 1 100 membres, dont environ 850 sont des rabbins américains. Son activisme est en grande partie basé sur des efforts de sensibilisation du public, comme le prochain « Stand Up Shabbat » pour marquer la tragédie d’Orlando et la commémoration de la tuerie de l’église Charleston il y a un an, ainsi qu’une récente campagne #WearOrange.
L’organisation agit en partenariat avec d’autres groupes anti-armes à feu pour essayer de parvenir à leur objectif final : éradiquer « l’épidémie de la violence des armes à feu », a expliqué Creditor.
Et maintenant, avant les élections de novembre, il affirme que l’organisation participera à une campagne de la coordination mettant en garde les candidats qu’ « aucun siège n’est sûr s’ils votent avec la NRA. »
L’épidémie de la violence des armes à feu
Caractérisée par la tuerie d’Orlando, pour Creditor et les autres militants comme lui, « l’épidémie de la violence des armes à feu » n’a pas de remède simple.
« Nous apprenons de plus en plus de détails, mais ce que nous savons c’est qu’il est beaucoup trop facile dans notre pays pour des personnes dangereuses de se procurer des armes et de les utiliser avec des conséquences mortelles. Un accès tellement facile aux armes à feu signifie que nous ne sommes en sécurité nulle part – que ce soit dans les discothèques, les lieux de culte, les salles de cinéma, les lieux de travail ou les écoles – et des vies sont en jeu », a écrit Rabbis Against Gun Violence dans un communiqué.
Selon l’organisation à but lucratif Gun Violence Archive, rien qu’en 2016, les États-Unis ont connu 23 506 incidents violents liés aux armes, dont 6 030 ont entraîné la mort et 12 347 des blessures. Parmi ces incidents, un millier environ étaient accidentels. Et 158 sont considérés comme des « fusillades de masse. »

Sur son site Internet, Archive Gun Violence (GVA) affirme que sa mission est de répertorier les incidents de violence par armes à feu « pour fournir des données brutes vérifiées à ceux qui ont besoin de les utiliser dans leurs travaux de recherche, d’action militante ou d’écriture. »
« Nous devons eexiger que nos élus agissent et travaillent pour éloigner les armes des mains dangereuses »
Les données sont brutes. Sous le titre, « les 72 dernières heures, » un onglet sur le site Web de GVA met à jour les homicides et blessures dans les innombrables incidents signalés à travers les États-Unis qui sont recensés et validés quotidiennement à partir de 1 500 sources.
Le lobby pro-armes est dirigé par la puissante NRA à travers son Institute for Legislative Action (ILA), créé en 1975. Selon son site Web, l’institut « emploie plus de 80 personnes, avec une équipe de lobbyistes à temps plein pour défendre à Washington le Second Amendement, auprès des institutions fédérales et locales ».
Pour Rabbis Against Gun Violence et les autres groupes anti-armes, « l’influence disproportionnée » de la NRA à Washington, est une première cible sur le chemin de l’élimination de la perte insensée d’environ 90 Américains par jour par balles. « Nous devons exiger que nos élus agissent et travaillent pour éloigner les armes des mains dangereuses », déclare l’organisation.
Dévoiler où va l’argent de la NRA
Dans un projet actuel intitulé « Est-ce que votre représentant au Congrès américain a reçu des dons de la NRA ? » le Washington Post a révélé que depuis 1998, la NRA a donné 3 782 803 dollars aux actuels membres du Congrès.
La page Web comprend une carte interactive des Etats-Unis, où en cliquant sur un Etat, les internautes peuvent découvrir combien la NRA a donné aux membres du Congrès de cet État spécifique. Les dons vont de 1 000 dollars jusqu’à plus de 60 000 dollars.

Du côté républicain, le sénateur du Missouri Roy Blunt a reçu 60 550 $ de la NRA; et en Virginie, le président de la commission judiciaire de la Chambre des représentants Bob Goodlatte a reçu 52 500 $ depuis son entrée en fonction en 1993. Le représentant Steve Chabot (Ohio) a encaissé 54 100 $ de la NRA dans ses 19 ans passés au Congrès. Depuis son entrée au Congrès en 1999, le président de la Chambre des représentants Paul Ryan (Wisconsin) a reçu 36 800 $.
Quelques démocrates sont également cités sur la liste, le premier étant Sanford Bishop (Géorgie), qui a également rejoint le Congrès en 1993, et qui a reçu la NRA la somme de 40 650 $.
Parmi les membres juifs du Congrès, le nouveau représentant républicain de New York Lee Zeldin a reçu 7 450 $ de la NRA depuis son entrée en fonction en 2015.

Ces dons ont-ils de l’influence ? Selon le site Web de l’ILA, en Géorgie, dans le Missouri, l’Ohio, en Virginie et dans le Wisconsin, où les politiciens ont reçu des dons élevés, par exemple, aucun permis n’est nécessaire pour acheter ou porter des armes, à part un permis pour porter une arme de poing.
Dans l’État de New York, où le total des sommes cumulées des dons de la NRA à des membres du Congrès (40 350 $) est relativement faible, la législation est plus stricte. Dans la ville de New York, cela concerne les carabines et les fusils de chasse.
Dans des États comme le Massachusetts et le Connecticut, dont les membres du Congrès actuel n’ont pas reçu des dons de la NRA, les lois entourant la possession d’armes sont beaucoup plus strictes, selon le site.
Le bourbier de la vérification des antécédents
Une grande partie de la législation politiquement bloquée que les militants anti-armes cherchent à promouvoir concerne la vente d’armes. Cependant, depuis l’augmentation des contrôles sur les antécédents de la personne jusqu’à l’enregistrement des armes à feu ou la restriction de l’accès à des fusils militaires, il y a des signes prudents d’un changement.
Le 15 juin, le sénateur Chris Murphy (Connecticut) et d’autres sénateurs démocrates ont organisé une obstruction systématique de 15 heures lors d’un débat sur le contrôle des armes à feu.
Comme rapporté dans Politico, deux amendements démocrates sur les armes à feu pourraient être votés : une proposition de la sénatrice de Californie Dianne Feinstein visant à interdire la vente aux personnes figurant sur les listes fédérales de surveillance du terrorisme, et une proposition de Murphy et des sénateurs Cory Booker (New Jersey) et Chuck Schumer (New York) qui rendrait obligatoire la vérification des antécédents personnels pour les ventes lors d’expositions d’armes et sur Internet.
« Nous sommes parvenus à un stade où nous allons faire voter sur ces amendements importants », a déclaré Murphy au Politico jeudi matin.
Dans le cas des vérifications des antécédents, après l’assassinat de 9 persones le 17 juin 2015, à l’église méthodiste à Charleston, le directeur du FBI James B. Comey a admis qu’une vérification plus attentive de Dylann Roof aurait pu empêcher qu’il achète un fusil militaire AR-15.

« Cette affaire nous a déchiré le coeur à tous, » a déclaré Comey dans le Washington Post quelques semaines après le carnage. « Mais l’idée qu’une erreur de notre part est liée à l’achat par ce gars d’une arme à feu qu’il a utilisée pour abattre ces braves gens nous est très douloureuse. »
La mise en œuvre des verifications des antécédents personnels est relativement nouvelle, suite à la loi Brady Handgun Violence Prevention Act de 1993. Lancé par le FBI en 1998, le National Instant Criminal Background Check System (NICS) est un système qui détermine si une personne a le droit d’acheter des armes à feu grâce à un dépistage systématique informatique basé sur son nom et année de naissance.
Selon son site Web, la NRA s’oppose aux vérifications des antécédents parce qu’ils « n’empêchent pas les graves criminels à se procurer en armes et parce que la NRA s’oppose à l’enregistrement des armes à feu. »

« Des études ont montré que les personnes emprisonnées pour des crimes par armes à feu se procurent pour la plupart les armes par le vol, le marché noir, ou grâce à des membres de la famille ou à des amis, et que près de la moitié des armes à feu vendues illégalement passent par des hommes de paille – des personnes qui passent avec succès la vérification des antécédents et achètent des armes à feu pour les criminels », selon la NRA.
Daniel Webster, le directeur du Center for Gun Policy and Research et professeur de santé publique à l’université Johns Hopkins, confirme les affirmations de la NRA sur les circuits par lesquels les criminels se fournissent en armes dans un long article publié en juin 2014 dans le New Republic.
« Quand les criminels se procurent des armes, ils le font par des amis, de la famille, ou le marché noir », a écrit Webster. Toutefois, a-t-il ajouté, « sans exigences universelles de vérification des antécédents, il y a peu de moyen de dissuasion à la vente d’armes à des criminels ou des trafiquants d’armes à feu. Les lois fédérales rendant obligatoire la vérification des antécédents dissuadent le transfert des armes à des criminels. Les processus plus complets de sélection et de vérification des antécédents, où les acheteurs potentiels d’armes à feu demandent en personne des permis d’acheter des armes de poing, sont associés à une baisse des taux d’homicides et de suicides ».
‘Les lois fédérales rendant obligatoire la vérification des antécédents dissuadent le transfert des armes à des criminels’
De même, Webster préconise des lois plus sévères sur les permis.
« En 2007, le Missouri a abrogé sa loi sur les permis. S’en sont suivis de nombreux crimes par armes à feu initialement achetées dans cet Etat. À l’époque, le taux d’homicides par armes à feu diminuait lentement dans le reste du pays. Dans le Missouri, il est monté en flèche », affirme Webster. (Peut-être est-ce un hasard si le sénateur du Missouri Blunt se retrouve en tête du tableau sur les dons de la NRA.)
Que dit le public américain ?
Plusieurs sondages d’opinion indiquent un large soutien pour l’exigence de la vérification des antécédents pour tous les acheteurs d’armes à feu – une extension de la loi actuelle. Selon un sondage national de l’université Quinnipiac de juillet 2014, 92 % des électeurs américains approuvent les vérifications, y compris 92 % des propriétaires d’armes à feu.
Une enquête de l’Institut Pew du 13 août 2015 a révélé que « 85 % des Américains – sont en faveur d’une plus grande vérification des antécédents – dont une grande majorité de démocrates (88 %) et des républicains (79 %). »
Ce qui est intéressant, cependant, est que 50 % des Américains estiment qu’il « est plus important de contrôler la possession d’armes », tandis que 47 % estiment qu’il « est plus important de protéger le droit des Américains à posséder des armes. » Le public américain est presque dans l’impasse sur cette question essentielle.

De retour à Berkeley, suite à la fusillade d’Orlando, le rabbin Menachem Creditor reste perplexe face aux défenseurs de la possession des armes.
Faisant référence à l’histoire de Caïn et Abel, il dit que : « Nos textes sacrés nous disent que le sang de nos frères et sœurs crie depuis la terre ».
‘Qu’est ce que Dieu demande de nous ?’
« Nos âmes sont liées à nos sœurs et frères chrétiens de Charleston, à nos sœurs et frères LGBTQ de Orlando, et à tous les Américains touchés par la violence des armes, » a poursuivi Creditor.
« Je pense que nous devons pouvoir demander à tous les membres de quelque foi religieuse qui ne sont pas impliqués dans cette question, ‘Qu’est-ce que Dieu demande de nous ? ».
« Tous les croyants et tous les élus sont invités à répondre à cette question, » conclut-il.
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