Israël en guerre - Jour 530

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« C'EST TERRIBLE DE VOIR DES ARBRES DE 80 ANS PARTIR EN FUMÉE »

Arbres brûlés, animaux traumatisés : la nature révèle les effets invisibles des guerres d’Israël

Les tirs de missiles portent atteinte aux écosystèmes, affectent l'habitat de la faune et réduisent à néant le travail des gardes-forestiers déjà rendu difficile par le changement climatique

Des pompiers israéliens tentent d'éteindre un incendie allumé par le fragment d'un missile d'interception dans la forêt de Biriya, dans le nord d'Israël, le 4 juin 2024. (Crédit : David Cohen/Flash90)
Des pompiers israéliens tentent d'éteindre un incendie allumé par le fragment d'un missile d'interception dans la forêt de Biriya, dans le nord d'Israël, le 4 juin 2024. (Crédit : David Cohen/Flash90)

JTA – Les arbres proches de la route qui mène à la forêt de Biriya, réserve naturelle du nord d’Israël, évoquent les teintes rouges de l’automne, typiques des paysages américains ou européens, plus rarement israéliens.

Un examen plus attentif révèle que ces arbres ont été calcinés, terrible conséquence des incendies de forêt déclenchés par des roquettes qui ont réduit en cendres des milliers d’hectares de bois, ces victimes collatérales de la guerre d’Israël contre le groupe terroriste du Hezbollah au Liban.

Des incendies se déclarent chaque année dans cette forêt, qui, comme beaucoup d’autres en Israël, est l’oeuvre du Fonds national juif, aujourd’hui appelé KKL-JNF – mais ils sont généralement rapidement circonscrits.

Mais cette année, entre évacuation des populations et conditions météorologiques réellement extrêmes, les choses se sont passées différemment.

Dès le mois de mai, avec la hausse des températures et la fin des pluies hivernales, chacune des roquettes tirées depuis le Liban pouvait causer un incendie. Et il n’y avait pas que les roquettes, mais aussi les intercepteurs israéliens, qui explosaient au-dessus d’eux en répandant des éclats qui se sont enflammés à plusieurs endroits, dans la forêt.

La conjonction de vents inhabituels, d’une chaleur torride et d’une faible humidité ont créé les conditions idéales d’une perturbation profonde d’écosystèmes entiers – une perturbation qui touche les habitats fauniques et qui a réduit à néant des années de travail de la part de gardes-forestiers soucieux de stimuler la biodiversité.

« Nous avons littéralement vu le fruit de leur travail partir en fumée », regrette Eli Hafuta, directeur du secteur de la Haute Galilée et du Golan au KKL-JNF, fondé en 1901 pour valoriser les terres appartenant à des Juifs dans la région et qui est aujourd’hui propriétaire de 13 % du territoire israélien.

« C’est terrible de voir des arbres qui ont résisté pendant 70 ou 80 ans prendre feu », poursuit Hafuta. « Même les arbres les plus jeunes, ceux que mon équipe et moi avons plantés il y a à peine dix ans, peuvent partir en fumée en un quart d’heure. »

Ces incendies qui ont touché la forêt de Biriya sont l’une des nombreuses conséquences sur l’environnement des 15 mois de guerre qu’a endurés Israël. Les dégâts sur la faune et la flore, dans le nord et le sud d’Israël, sont moins visibles que les morts, les blessés ou les maisons détruites.

Cette réaction en chaine s’est poursuivie, cette semaine : le dévoilement de la toute nouvelle forêt, dans le Neguev occidental, en hommage aux victimes de la guerre, qui devait avoir lieu le jour de la fête juive de la nature – Tou Bichvat – jeudi, a été annulé en raison de menaces pour la sécurité de la région. Quelques membres des autorités israéliennes ont décidé d’organiser à la place une cérémonie de plantation plus modeste, dans le Neguev occidental, en un lieu qui porte le nom d’un officier tué par des terroristes du Hamas le 7 octobre 2023.

Les conséquences de cette guerre sur les écosystèmes israéliens ne pourraient être plus fortes que dans la réserve naturelle de la vallée d’Agamon Hula, célèbre pour ses oiseaux migrateurs.

Deux fois par an, des centaines de millions d’oiseaux – grues, pélicans, cigognes – passent par cette vallée, ce qui en fait en temps normal un haut lieu de l’écotourisme et, selon la BBC, l’un des 10 meilleurs emplacements au monde pour l’observation des oiseaux.

Pendant toute la durée de sa fermeture – du 7 octobre 2023 à bien après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu à la frontière nord d’Israël, fin novembre – le centre de rééducation de la faune sauvage d’Agamon, situé dans la réserve, s’est transformé en ce que son personnel qualifie de premier hôpital de campagne pour animaux en temps de guerre.

Des grues au bord du lac de la vallée d’Hula, dans le nord d’Israël, le 23 janvier 2025. (Crédit : Ayal Margolin/Flash90)

« Nous sommes le premier centre de rééducation au monde à avoir fonctionné avec un protocole de guerre », explique la Dre Rona Nadler-Valency, vétérinaire en chef et directrice du centre.

Lorsque les roquettes ont frappé le nord, Nadler-Valency et son équipe ont été évacués et le centre a fonctionné sur un mode distanciel : lorsque cela était possible, le personnel s’est occupé des animaux blessés à domicile. Au bout de trois mois, les personnels sont revenus peu à peu et ont repris leur travail au centre dans des circonstances toujours un peu chaotique.

« Parfois, nous étions en plein milieu d’une opération, avec un animal sur la table d’opération et les sirènes se mettaient à hurler », se rappelle Nadler-Valency. « Il fallait alors se précipiter vers l’abri le plus proche, parfois des dizaines de fois par jour. »

Parfois, Nadler-Valency et son équipe se trouvaient dehors lorsque les sirènes se déclenchaient et il n’y avait là d’autre alternative que de se jeter au sol. « C’était de la folie pure, mais au moins, nous avons pu continuer à travailler », poursuit-elle.

Faute de civils dans le nord, nombre d’animaux blessés ont été amenés au centre par des soldats.

Lilit, par exemple, est une chouette hulotte qui a été amenée au centre après avoir été heurtée par un véhicule militaire. Gravement blessée à la tête, elle est restée un temps aveugle et sourde : on l’a placée sous surveillance et soignée dans une cage d’acclimatation spécialisée.

Les soins ont été rendus difficiles par les tirs de missiles qui obligeaient l’équipe à programmer soigneusement ses visites, mais à force de soins, Lilit a fini par recouvrer la vue, l’ouïe et le vol. Après un mois et demi passé en cage, Lilit a été relâchée dans la nature avec un émetteur sur le dos qui permet à l’équipe de suivre son rétablissement et de s’assurer qu’elle peut chasser et donc survivre – et qui permet aussi mieux comprendre comment les hiboux se réadaptent après semblables blessures.

La Dre Rona Nadler-Valency, directrice de la réserve naturelle de la vallée d’Agamon Hula, a dû interrompre des interventions chirurgicales sur des animaux lors de tirs de roquettes, et ce tout au long de l’année 2024. (Crédit : Deborah Danan/ JTA)

« Des cas comme celui de Lilit », réfléchit Nadler-Valency, « ont été de véritables rayons de soleil au milieu de toute cette folie. »

Les circonstances sont à l’origine d’autres changements que les scientifiques sont en train de suivre.

Yaron Charka, ornithologue en chef au KKL-JNF – en charge de la réserve et de son centre d’accueil des visiteurs, qui a rouvert – a noté une augmentation du nombre des espèces d’oiseaux hivernants cette année.

« Il y a eu une plus grande variété d’oiseaux cet hiver, là où l’hiver dernier, on en avait eu peu », indique-t-il tout en admettant ne pas comprendre pourquoi il en est ainsi.

Chaque hiver, près de 50 000 grues cendrées interrompent leur migration vers le sud, vers l’Afrique, et s’installent un temps dans la vallée de Hula. Mais l’an dernier, leur nombre a chuté de 70 % en raison des tirs de roquettes constants depuis le Liban, situé à 30 kilomètres de la vallée.

Pour autant, Charka se garde bien d’imputer tous ces changements aux affrontements transfrontaliers.

« En temps de guerre, les oiseaux peuvent changer d’itinéraire et nous contourner parfois – cela s’est vu en Ukraine – mais cela n’explique pas tout », ajoute-t-il en notant que le cessez-le-feu est intervenu à la fin de la saison migratoire et que le changement climatique, extrêmement marqué en Israël, provoque également des changements dans les habitudes migratoires des grues.

« Ces deux dernières années, l’arrivée des grues à l’automne, dans la vallée de Hula, a été très tardive », précise-t-il. « Il est important de surveiller cette tendance. »

Yaron Charka, ornithologue en chef du KKL-JNF, devant la réserve naturelle de la vallée d’Agamon Hula, dans le nord d’Israël, en janvier 2025. (Crédit : Deborah Danan)

La fermeture prolongée de la réserve a fait que les grues ont perdu l’habitude de la présence humaine et il a donc fallu camoufler les chariots élévateurs sur lesquels prennent place les visiteurs pour les observer de près sans les déranger.

Le retour des grues s’est accompagné de la résurgence de problèmes bien connus, comme la protection des champs cultivés contre la voracité des oiseaux. Les agriculteurs utilisent depuis longtemps diverses méthodes, parmi lesquelles des canons à gaz ou des miroirs pour éloigner les grues vers des installations d’alimentation ad hoc, mais tout ceci est coûteux et perturbateur, pour la faune comme pour les touristes.

Le Fonds national juif KKL-JNF a développé un laser pour régler le problème de manière plus écologique. Développé en collaboration avec une entreprise israélienne d’écotechnologie, le disposif utilise des caméras, des lasers et l’intelligence artificielle pour détecter la présence de grues et diriger un faisceau laser qui fait croire aux oiseaux qu’ils sont pourchassés et les éloigne. Précédemment employé dans le secteur des nouvelles technologies, Charka espère que le système sera opérationnel d’ici la prochaine migration.

Dégâts causés à la forêt de Biriya, dans la ville de Safed, dans le nord d’Israël, suite à des attaques de missiles tirés depuis le Liban, le 10 juillet 2024. (Crédit : Avshalom Sassoni/Flash90)

Selon la directrice de la réserve, Inbar Shlomit Rubin, il y a eu nettement moins de nids d’oiseaux au printemps – tendance qui lui laisse entrevoir deux explications immédiates.

« Les troubles et l’insécurité ont conduit de nombreux oiseaux à migrer plus au sud, vers des zones plus calmes d’Israël », explique-t-elle. Mais les mammifères et les petits animaux, eux, n’ont pas pu s’échapper .

« Les bruits de la guerre ont causé un stress immense », poursuit Rubin. « Le stress a un effet délétère sur la fertilité. »

Depuis le cessez-le-feu, le KKL-JNF a lancé une enquête approfondie sur les zones incendiées au cours de l’année écoulée afin d’évaluer leur potentiel de régénération naturelle. Pour l’instant, la plupart de ses travaux portent sur les interventions urgentes dans les zones accessibles aux visiteurs.

La remise en état et la régénération des zones touchées sera nécessairement une entreprise de long terme, mais Hafuta se dit optimiste, rappelant la remarquable capacité des forêts à se régénérer. Il estime que près de 70 % des arbres brûlés commenceront à se régénérer naturellement dans les dix-huit prochains mois.

Selon Rubin, ces dernières semaines, la faune a également commencé à revenir dans les zones touchées.

« Nous avons remarqué une tendance très subtile, marginale. Si les effets de long terme restent inconnus, nous gardons l’espoir que [la guerre] n’aura pas d’impact significatif dans les prochaines années », conclut Rubin.

« Le traumatisme qu’a vécu cette région mettra du temps à guérir, mais nous sommes sur la bonne voie. »

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