Assassinat de Samuel Paty : L’implication de 2 accusés au crible de l’antiterrorisme
L'un des enquêteurs a évoqué le parcours du prédicateur islamiste Abdelhakim Sefrioui, "sympathisant des Frères musulmans" cherchant à "instrumentaliser" les valeurs de la République.
Des enquêteurs de l’anti-terrorisme ont dressé lundi un portrait accablant d’Abdelhakim Sefrioui et Brahim Chnina, deux des principaux accusés au procès des personnes mises en cause dans l’assassinat de Samuel Paty, avant leur interrogatoire la semaine prochaine.
En publiant sur les réseaux sociaux des messages puis des vidéos « mensongères et « haineuses » contre le professeur d’histoire-géographie, « Abdelhakim Sefrioui et Brahim Chnina ne pouvaient ignorer faire de Samuel Paty une cible », déclare, à la barre de la cour d’assises spéciale de Paris, une enquêtrice de la sous-direction de l’anti-terrorisme (SDAT) identifiée comme « Sdat 289 ».
Dans le box, les deux hommes âgés respectivement de 65 et 52 ans, regardent ailleurs.
Poursuivis pour avoir participé « à l’élaboration et la diffusion de vidéos présentant des informations fausses ou déformées destinées à susciter un sentiment de haine » à l’encontre du professeur d’histoire décapité par un jeune terroriste radical tchétchène le 16 octobre 2020, ils encourent chacun trente ans de réclusion criminelle.
Intervenant en visio, un premier enquêteur, identifié comme « Sdat 172 », a évoqué le parcours militant du prédicateur islamiste Abdelhakim Sefrioui, « sympathisant des Frères musulmans », dont le Hamas palestinien est issu, cherchant à « instrumentaliser » les valeurs de la République.
En 2004, il crée le collectif pro-Hamas Cheikh-Yassine (dissous le 21 octobre 2020) participant à de très nombreuses manifestations anti-Israël, « pour certaines interdites, brûlant des drapeaux d’Israël et affichant ouvertement son soutien au [groupe terroriste palestinien du] Hamas ».
« Il n’hésite pas à s’afficher aux côtés de personnalités comme Dieudonné », poursuit l’enquêteur qui évoque également la mobilisation du militant islamiste « sur la question du port du voile dans l’espace public et à l’école ».
« Sdat 289 » s’attarde quant à elle sur les jours qui ont précédé l’assassinat de Samuel Paty et qui va réunir les deux hommes pour le pire.
Tout commence le 7 octobre 2020. Brahim Chnina père de la collégienne à l’origine des rumeurs mensongères sur Samuel Paty envoie des messages à ses contacts relayant les mensonges de sa fille sur une prétendue discrimination à l’encontre des élèves musulmans.
Chnina donne l’adresse du collège et le nom du professeur.
« L’abject a encore eu lieu »
« Vous avez l’adresse et le nom du professeur pour dire Stop ! », écrit Brahim Chnina sans préciser ce qu’il entend par « stop », poursuit l’enquêtrice.
Abdelhakim Sefrioui est un des premiers à contacter Brahim Chnina pour dénoncer le professeur qualifié de « voyou ». Cette qualification équivaut à « une fatwa », selon l’imam de Drancy Hassen Chalghoumi. « Un voyou est un homme qui n’a aucune valeur; Ce n’est pas la peine d’utiliser le mot tuer », explique-t-il, en soulignant que « l’instigateur d’une fatwa n’a pas à passer à l’acte. Le gourou prépare le terrain pour un exécutant ».
Le matin du 8 octobre, les deux hommes se retrouvent devant le collège. Sefrioui, qui se présente de façon mensongère comme « représentant des imams de France », menace la directrice d’organiser une manifestation de musulmans devant l’établissement.
Sefrioui trouve « inadmissible » d’avoir dû attendre dehors avant d’être reçu par la principale.
« Si on avait été juifs, ça ne se serait pas passé comme ça », lance-t-il à la principale.
Brahim Chnina diffuse une première vidéo intitulée « Touche pas à mes enfants ». La vidéo d’un peu plus de deux minutes est diffusée à l’audience. On y voit Chnina, portant un masque chirurgical, surjouer l’indignation. « Il est théâtral, ferme les yeux », commente l’enquêtrice.
Le 11 octobre, Sefrioui se fait metteur en scène pour réaliser sa propre vidéo intitulée « l’islam et le prophète insultés dans un collège public ». La vidéo est également diffusée à l’audience. Sefrioui se met lui-même en vedette. « L’abject a encore eu lieu », commence le prédicateur au début de son film. L’enquêtrice montre des rushes où Sefrioui souffle les réponses à la collégienne menteuse.
Le prédicateur fait un parallèle douteux entre ce qui s’est passé selon lui au collège et le massacre de 8 000 musulmans bosniens à Srebrenica en 1995… Il fustige aussi le discours, tenu quelques jours auparavant aux Mureaux, du président Emmanuel Macron concernant la lutte contre les séparatismes.
La vidéo est accompagnée de chants religieux en arabe qui ne sont pas sans rappeler les chants entendus dans les vidéos de revendication des attentats du 13 novembre 2015.
Ces vidéos, relève « Sdat 289 », sont devenues « virales ». « Il y a une volonté de faire le buzz », indique-t-elle.
Des messages haineux affluent au collège, qualifié de « collège de racistes ». « On va s’occuper de votre collège et de M. Paty », dit un des messages.