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Au Pakistan, la routine de l’avortement, faute de contraception

Les femmes pakistanaises doivent très souvent recourir à un avortement clandestin, de nombreux médecins refusant de le pratiquer pour des raisons religieuses

Ayeesha, une employée de l'ONG pakistanaise Aware Girls, forme des collègues à la ligne d'écoute "Sahailee" ("amie" en ourdou) dédiée à l'avortement, à Peshawar, Pakistant le 17 décembre 2018 (Crédit : ABDUL MAJEED/AFP)
Ayeesha, une employée de l'ONG pakistanaise Aware Girls, forme des collègues à la ligne d'écoute "Sahailee" ("amie" en ourdou) dédiée à l'avortement, à Peshawar, Pakistant le 17 décembre 2018 (Crédit : ABDUL MAJEED/AFP)

A 35 ans, Zameena a déjà eu cinq bébés. Et contrairement à son mari, elle n’en veut pas de sixième. Enceinte, elle a décidé d’avorter, comme plus de 2,2 millions de Pakistanaises chaque année, faute d’avoir pu utiliser un contraceptif.

« Il y a trois ans, quand ma fille est née, la doctoresse m’a dit que je devais arrêter d’avoir des enfants », raconte cette habitante de Peshawar, dans le nord-ouest du pays, qui se dit « faible » physiquement.

Egalement mère de quatre garçons, Zameena, un prénom d’emprunt, affirme avoir suggéré plusieurs fois à son mari de recourir au planning familial. Mais celui-ci, « religieux », a refusé, dit-elle, car « il veut une lignée de fils ».

« Comme ma belle-mère a eu neuf enfants, il me répond que si elle n’en est pas morte, je devrais rester en vie. » Zameena va donc interrompre sa grossesse en secret.

L’avortement est autorisé au Pakistan, pays musulman conservateur, si la santé de la mère est en péril. Nombre de médecins invoquent pourtant leur foi pour refuser de le pratiquer.

Ayeesha, une employée de l’ONG pakistanaise Aware Girls, lors d’un appel sur la ligné d’écouté « Sahailee » (« amie » en ourdou) dédiée à l’avortement, à Peshawar, Pakistant le 17 décembre 2018 (Crédit : ABDUL MAJEED/AFP)

Malgré cela, les Pakistanaises avortent en très grand nombre, les autorités fermant les yeux sur ce tabou social.

Seules, elles ingèrent généralement du Misoprostol, qu’elles achètent en pharmacie. Cette molécule, destinée au traitement des ulcères, provoque l’expulsion de l’embryon. Elle peut toutefois générer de graves complications, parfois mortelles.

« Mortes d’avoir voulu avorter »

Lorsqu’elle s’entretient par téléphone avec l’AFP, Zameena murmure depuis un coin de sa maison, de peur qu’on l’entende. Quelques heures plus tôt, elle a contacté une conseillère d’une association locale, Aware Girls (« Filles conscientes »), sur une ligne d’aide à l’avortement.

Ayeesha, à l’autre bout du fil, l’a longuement écoutée, rassurée. « Ton problème sera résolu », a-t-elle répété, tout en lui conseillant quel médicament acheter et sa posologie.

« Quand les femmes appellent, elles sont prêtes à faire n’importe quoi pour avorter », explique Ayeesha, 26 ans. « Mon travail sauve leur vie. »

« La plupart d’entre nous connaissons des femmes qui sont mortes d’avoir voulu avorter », renchérit Gulalai Ismail, cofondatrice d’Aware Girls.

D’où le lancement en 2010 de « Sahailee » (« amie » en ourdou), une permanence téléphonique. D’après Gulalai Ismail, elle « comble un énorme fossé » dans un pays où l’éducation sexuelle est inexistante et où les hommes tirent prestige de familles nombreuses.

Chaque mois, Ayeesha reçoit 350 appels. Ses interlocutrices « ne savent généralement rien de la contraception » féminine, explique-t-elle. « Elles connaissent les préservatifs, rien d’autre. »

D’après des statistiques officielles, seules 35 % des Pakistanaises utilisent un contraceptif.

Ceux-ci sont pourtant subventionnés et bon marché. La tablette de pilules s’achète dès 20 roupies (0,12 euro). Un stérilet vaut 400 roupies (2,5 euros). Greenstar, une ONG qui les promeut, affirme que 35 000 pharmacies proposent ses produits.

Mais les utilisatrices ne suivent pas. Dans un pays jeune à l’histoire violente et mouvementée, la promotion de la contraception est souvent passée au second plan.

Mohllahs

« Les autorités n’ont pas été capables de faire du planning familial une urgence pour le Pakistan », s’étrangle le Dr Haroon Ibrahim, de Greenstar. « Ce n’est que de la rhétorique et du charabia politique. »

Seul le général Ayub Khan, à la tête du Pakistan entre 1958 et 1969, et Benazir Bhutto, Première ministre en 1988-1990 et 1993-1996, ont mis l’accent sur la question.

Les premières campagnes, dont le slogan était « do bache hi ache » (« deux enfants c’est bien » en ourdou), ont été rejetées par les religieux et par ceux qui appellent à un Pakistan plus peuplé face au géant indien, son rival.

Aujourd’hui encore, la contraception est dénigrée, accusée de provoquer l’infertilité, note Zeba Sathar, une démographe responsable de l’ONG Population council à Islamabad, qui dénonce un « échec systémique ».

Le Premier ministre Imran Khan, en décembre, a reconnu ce manque de « volonté » politique, avant de promettre des campagnes pro-contraception « utilisant les médias, les téléphones portables, les écoles et les mosquées ».

« Les mollahs ont un rôle clé à jouer », a-t-il insisté.

Mais le Conseil d’idéologie islamique pakistanais, la plus haute instance religieuse, dont le rôle est de conseiller le gouvernement, ne coopérera pas. Les campagnes gouvernementales de contrôle des naissances « doivent être stoppées immédiatement », a-t-il fait savoir à l’AFP.

Le statu quo a pourtant de graves conséquences sanitaires. Moins de la moitié des grossesses sont voulues au Pakistan, estime l’institut américain Guttmacher, dont les recherches sur la santé reproductive et la contraception font référence.

Une démographie « menaçante »

Un quart d’entre elles sont interrompues, ce qui s’est traduit par 2,25 millions d’avortements en 2012, selon la dernière étude de Guttmacher, qui place le Pakistan parmi les pays recourant le plus à l’IVG dans le monde.

« Nous avons laissé tomber les femmes dans ce pays », s’indigne Hassan Mohtashami, ancien responsable du Fonds des Nations Unies pour le Développement au Pakistan. « L’avortement n’est pas une méthode de planning familial. »

L’organisation Marie Stopes, dont les cliniques fournissent des soins post-abortifs, a dressé le profil de sa patiente type : trentenaire, mariée à 18 ans, pauvre, non éduquée et qui a déjà trois enfants.

« Ici, les femmes meurent simplement parce qu’elles sont fertiles mais qu’elles manquent d’informations », soupire Xaher Gul, un cadre de Marie Stopes.

L’urgence n’est pas que sociale. Le Pakistan, sixième pays le plus peuplé au monde (207 millions d’habitants), pourrait franchir le cap des 300 millions d’âmes avant 2040, selon l’ONU.

Or le pays manque déjà cruellement d’eau.

La démographie pakistanaise est une « menace » pour « l’existence » du pays, s’est récemment alarmé Mian Nisar, ex-chef de la Cour suprême.

En Iran voisin et au Bangladesh, deux pays musulmans, le planning familial a été instauré avec succès dans les années 1980. Le Bangladesh, alors aussi peuplé que le Pakistan, compte aujourd’hui 40 millions d’habitants de moins.

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