Au procès de l’attentat de la rue Copernic à Paris, témoignage de victimes « dévastées »
De rares parties civiles ont témoigné à voix haute jeudi, devant la cour d'assises spéciale, de leur "traumatisme", "enfoui" de longues années
« Le silence. » Près de quarante-trois ans après l’explosion d’une bombe près de la synagogue de la rue Copernic à Paris, de rares parties civiles ont témoigné à voix haute jeudi, devant la cour d’assises spéciale, de leur « traumatisme », « enfoui » de longues années.
La petite salle d’audience parisienne n’a jamais été aussi comble que depuis l’ouverture il y a dix jours de ce procès, qui se tient après une longue enquête mise plusieurs fois en sommeil, et des revirements judiciaires.
Pourtant, c’est bien l’absence qui frappe en cette matinée consacrée aux auditions de parties civiles.
Celle déjà de l’unique accusé de cet attentat qui proteste de son innocence, le Libano-Canadien Hassan Diab, 69 ans, qui a chargé ses avocats de le représenter.
Celle ce jour des proches de deux des quatre victimes décédées dans l’attentat, le 3 octobre 1980, quand une bombe posée sur une moto a explosé vers 18H35, tuant quatre passants dans la rue Copernic et blessant des dizaines de personnes.
Oron Shagrir a fait le déplacement depuis Jérusalem pour évoquer sa mère Alisa, « assassinée à l’âge de 42 ans » alors qu’elle achetait « quelques figues fraîches » rue Copernic, en visite à Paris avec son plus jeune fils.
Seul représentant de cette famille « dévastée » présent au procès, Oron Shagrir cite son père qui « a dédié toute sa vie à la mémoire de (sa) mère », son frère dont le « traumatisme » de cet événement « perdure ».
Saisie par l’émotion, Patricia Barbé préfère lire la lettre qu’elle a écrite à l’occasion des 40 ans de l’attentat pour son père Jean, tué à 41 ans quand elle n’en avait pas encore 16. Depuis ce jour où il n’est « plus jamais rentré pour (l’)embrasser », sa vie est « à jamais fragilisée ».
Hilario Lopez Fernandes est l’un des fantômes de ce dossier. De lui, on saura juste qu’il était gardien d’immeuble, qu’il se tenait sur le pas de sa porte avec son fils de quatre ans quand la bombe a explosé, qu’il est décédé deux jours plus tard à l’hôpital.
A la barre de la cour d’assises, c’est l’ancien rabbin de la synagogue libérale, Michael Williams, qui se charge de convoquer la mémoire d’un autre disparu, Philippe Bouissou, un motard de 22 ans qui se rendait chez sa petite amie.
« Pendant 20 ou 25 ans », les parents de Philippe Bouissou, « décédés aujourd’hui », venaient chaque 3 octobre « à la tombée de la nuit, au crépuscule, pour se recueillir devant la synagogue, on mettait des fleurs blanches aux fenêtres », raconte le rabbin.
Lui-même ne s’est pas constitué partie civile. « On ne me l’a jamais demandé », commente le Britannique de 78 ans.
« Il n’est jamais trop tard », lui glisse le président de la cour, Christophe Petiteau, lui expliquant brièvement la procédure.
La prise en charge des victimes en 1980 ou plutôt son absence revient dans la bouche de plusieurs parties civiles.
Elle montre un gouffre avec le soin désormais porté, qu’il soit psychologique ou judiciaire, aux victimes de terrorisme.
Après la déposition de Michael Williams, l’avocat général Benjamin Chambre se dit « sidéré » qu’il n’y ait pas eu en octobre 1980 « un recensement » des 320 fidèles présents dans la synagogue. « Cela ne se passe plus ainsi », assure-t-il.
Ceux qui n’avaient pas été blessés ou l’avaient été légèrement, par des éclats de verre principalement, étaient rentrés chez eux, sans aucun suivi. Presque aucun n’a été entendu par les policiers.
Seules 24 parties civiles, dont six associations, s’étaient constituées au cours de l’information judiciaire. Plusieurs ne sont plus en vie.
Corinne Adler célébrait à 13 ans sa bat-mitzvah dans la synagogue quand « cette bombe placée pour nous viser à la sortie de l’office », dit-elle, a explosé vingt-cinq minutes trop tôt.
Face à la cour, la sage-femme d’aujourd’hui 56 ans raconte ce « traumatisme enfoui » avec lequel elle a appris à vivre et à « fonctionner », et ce « silence », qui ne sera en partie brisé que trente ans plus tard, quand elle commencera à se « considérer comme une victime ».